Triste fin pour la compagnie aérienne historique ČSA/Czech Airlines
La compagnie aérienne tchèque ČSA (Czech Airlines), autrefois un symbole de fierté nationale et l'un des transporteurs aériens les plus anciens au monde, est en train de disparaître des radars.
Encore un mois et puis s’en va : le dernier vol officiel ČSA atterrira à Prague depuis Paris dans la soirée du 26 octobre. Le même jour, la compagnie quittera officiellement l’alliance Skyteam, qui réunit plus d’une vingtaine de transporteurs dont Air France et Delta Air Lines. Ce sera également le dernier vol identifié avec les initiales OK, le code d’identification historique de ČSA.
Fondée en 1923, elle a transporté des millions de passagers à travers le monde, connectant la Tchécoslovaquie puis la Tchéquie aux grandes capitales et destinations internationales. Cependant, après des années de difficultés financières et de crises, la situation économique de ČSA semble désormais irréversible, et l’avenir de la compagnie apparaît sombre.
La chute de ČSA ne s'est pas produite du jour au lendemain. La compagnie a traversé plusieurs décennies de défis économiques, de réorganisations et de changements de direction, souvent aggravés par des décisions stratégiques hasardeuses et un contexte économique mondial en mutation.
Pantouflage et concurrence accrue
Dans les années 1990, après la chute du communisme, l'industrie aéronautique mondiale a évolué rapidement avec la libéralisation des marchés et l'émergence des compagnies low-cost. ČSA, comme de nombreuses autres compagnies nationales européennes, n’a pas su s’adapter à ces changements de manière suffisamment rapide. L'ancienne flotte vieillissante et les tarifs souvent jugés élevés ont commencé à peser lourdement sur les finances de l'entreprise, face à une concurrence accrue, notamment celle des transporteurs à bas coût.
Le problème a été également, selon les spécialistes du secteur, que l’ancienne compagnie publique a été victime du pantouflage, le recasement de politiciens à sa tête, comme ce fut le cas avec l’ancien ministre de la Défense et cadre du Parti social-démocrate Jaroslav Tvrdík, devenu entretemps président de la Chambre de commerce tchéco-chinoise et le dirigeant du club de foot pragois Slavia, dans lequel il avait fait investir un groupe chinois qui est parti depuis.
Il a succédé à l’époque à Miroslav Kůla, interrogé récemment par la télévision publique tchèque :
« La fin de la compagnie aérienne ČSA a commencé avec l’arrivée de Jaroslav Tvrdík, avec ses projets mégalomanes… C’était quelqu’un qui n’y connaissait quasiment rien à l’aviation, entouré de managers qui n’y connaissaient rien non plus. Il a acheté des dizaines de voitures Audi, payé très grassement des sociétés de conseil et dépensé des fortunes en publicité. »
Malgré plusieurs tentatives de modernisation et de réorganisation, la compagnie n'a jamais véritablement réussi à se réinventer. À cela s'ajoutaient des difficultés structurelles internes : des coûts opérationnels élevés, des retards dans le renouvellement de la flotte, et une direction qui a parfois manqué de vision claire. Une quinzaine d’Airbus a été achetée au lieu de la soixantaine d’appareils affichée comme ambition par son président.
Après plusieurs tentatives infructueuses pour vendre Czech Airlines à Korean Air, l'État a finalement réussi en 2013. Cependant, comme ČSA n'était qu'une petite compagnie avec quelques avions, Prague n'a reçu qu'une maigre somme d'argent de la part des Coréens - moins de 70 millions de CZK.
Et, trois ans plus tard, la compagnie asiatique a décidé de revendre son bien à la nouvelle compagnie privée tchèque, Smartwings.
Le coup de grâce de la pandémie
Si ČSA était déjà en grande difficulté avant la pandémie de COVID-19, la crise sanitaire mondiale a accéléré la chute de l’entreprise. Comme pour l'ensemble du secteur aérien, les restrictions de voyage imposées en 2020 et la chute drastique du trafic passagers ont considérablement réduit les revenus de la compagnie. Le marché aérien, déjà fortement perturbé par les incertitudes géopolitiques et la hausse des coûts du carburant, a subi un effondrement sans précédent. Les recettes de ČSA ont chuté, et avec une dette croissante, l'entreprise n'avait plus les moyens de continuer à fonctionner.
Au début de 2021, la direction de la compagnie a dû annoncer que ČSA n’avait plus suffisamment de liquidités pour couvrir ses coûts, et un processus de faillite a été enclenché. Plusieurs centaines d’employés ont été licenciés, et la flotte a été réduite au strict minimum. À ce stade, ČSA n’opérait plus que quelques routes européennes, et sa présence à l’international s’est effondrée.
En parallèle, la question de l’implication de l'État dans le sauvetage de ČSA a été un sujet de débat. Contrairement à d'autres pays européens qui ont injecté des milliards d’euros pour sauver leurs compagnies nationales, le gouvernement tchèque s'est montré réticent à voler au secours de ČSA, arguant que la compagnie ne pouvait plus être sauvée sans une transformation radicale et des fonds considérables, ce qui n’était plus viable.
Les appels à l’aide publique se sont intensifiés, mais sans résultat concret. La faiblesse du soutien de l'État a exacerbé la situation, laissant la compagnie sans filet de sécurité face aux turbulences économiques mondiales.
Argenterie familiale
D'un point de vue symbolique, la disparition de ČSA marquera la fin d’une époque pour la Tchéquie. La compagnie, fondée moins de cinq ans après la création de l’ancienne Tchécoslovaquie, était un emblème de la souveraineté nationale, volant sous les couleurs du pays dans le monde entier. Sa disparition peut être perçue comme un échec non seulement commercial, mais aussi politique et culturel, témoignant de l'incapacité des dirigeants successifs à adapter un pilier de l’industrie nationale aux défis du XXIe siècle.
En 1993, à la partition de la Tchécoslovaquie ČSA a fait partie de « l’argenterie familiale » pour laquelle Prague a obtenu gain de cause, laissant Bratislava repartir de zéro, sans compagnie aérienne nationale du côté slovaque.
Pour la Tchéquie, il s'agit désormais d'une vraie page qui se tourne, marquant la fin d'une ère où Czech Airlines faisait partie intégrante du paysage aérien international.
En tant que compagnie aérienne indépendante, Czech Airlines ne dessert en ce début d’automne que deux aéroports : Madrid et Paris. Et même cela prendra fin le mois prochain. Les avions portant le logo de ČSA continueront à voler, mais uniquement en tant que marque appartenant aux propriétaires de Smartwings.