Les résultats des élections régionales et sénatoriales en Tchéquie vues par la presse
Victoire du parti populiste ANO de l’ancien Premier ministre et homme d’affaires Andrej Babiš, retour en force des communistes, débâcle du Parti pirate, camouflet pour la coalition au pouvoir. Et abstention historique. La presse tchèque a passé au crible les résultats des élections régionales et sénatoriales partielles du week-end écoulé.
La « victoire écrasante » d’Andrej Babiš
Quelle que soit la manière dont on le tourne, même en prenant en compte le fait qu’un peu plus de 67 % des plus de sept millions d’électeurs n’ont pas exprimé leur préférence – ce qui, par ailleurs, devrait inquiéter tous les partis en lice et tend d’ordinaire à favoriser les mouvements populistes – le résultat des élections régionales et sénatoriales partielles viennent entériner le caractère inamovible du mouvement ANO et de son électorat. Ce n’est pas parce que ses représentants – son chef de file Andrej Babiš, en tête – ont été particulièrement silencieux pendant les récentes crues dévastatrices, ou qu’ils sont moins présents dans les grands médias, faute d’être au pouvoir, que le mouvement ANO a disparu. Bien au contraire, comme l’indique le titre d’un commentaire du quotidien économique Hospodářské noviny qui estime que la raison de cette victoire d’Andrej Babiš aux élections régionales réside précisément dans « l’astuce du politicien à moitié oublié ».
Et de préciser : « La victoire écrasante d’Andrej Babiš est principalement due au fait qu’il a réussi à transformer les élections régionales en élections nationales presque partout. Il a lancé une grande campagne qui était en fait une variante de la campagne de Jiří Paroubek en 2008. A l’époque, le président du parti social-démocrate ČSSD avait promis de rendre au peuple, par l’intermédiaire des régions, les frais de santé introduits par le gouvernement de Mirek Topolánek (ODS) (de droite, ndlr), et il avait gagné avec un score de 35 % dans les régions, une victoire qui est entrée dans l’histoire. Andrej Babiš n’a pas été aussi clair dans ses propos, mais son principal slogan ‘Nous vous rendrons ce que le gouvernement vous a pris’ a tout aussi bien fonctionné. »
Un « message clair » au gouvernement de coalition
Si Petr Pavel a estimé que les résultats de ces élections étaient un « indicateur de l’évolution de la situation », le chef de l’État a dit néanmoins ne pas les considérer comme « un référendum sur le gouvernement », rappelant que les enjeux aux échelles régionale et nationale sont différents. Mais de nombreux commentateurs jugent toutefois sévèrement le score obtenu par la coalition. Le quotidien Deník N rappelle que c’est le deuxième scrutin en quelques mois qui survient comme un coup de semonce pour les partis au pouvoir :
« Cela montre clairement que la coalition au pouvoir n’a pu se mobiliser que lorsqu’un gouverneur populaire, sans lien direct avec le gouvernement, se présentait. Pour Petr Fiala et les autres dirigeants de la coalition, il s’agit d’un message clair. Après leur lourde défaite aux élections européennes, alors que les cinq partis n’ont obtenu que 37 % des voix, il est clair qu’ils n’ont pas de socle électoral sûr. Le mécontentement à l’égard de la politique du gouvernement était apparu dans un certain nombre de sondages que les sociologues n’ont cessé de publier au cours des derniers mois. (…) Fiala et consorts devront présenter un projet susceptible de séduire à nouveau les électeurs potentiels. Pour l’instant, il ne semble pas qu’ils en aient un. Deux fois de suite, les partis au pouvoir n’ont pas réussi à le faire, et s’ils n’y parviennent pas maintenant, ils perdront l’an prochain. »
Un des commentateurs du site Lidovky, la version désormais exclusivement numérique de l’historique quotidien Lidové noviny, et qui jusqu’à récemment appartenait au groupe médiatique d’Andrej Babiš, n’y va pas avec le dos de la cuiller, dans une analyse pour le moins acerbe où il met en exergue le travail de terrain du gouverneur de Bohême du Sud, Martin Kuba, qui, s’il est membre du parti ODS, membre de la coalition gouvernementale, a défendu haut la main son siège et rejette la politique « anti-Babiš » à tout prix de son propre parti : « Il n’y a qu’une chose à faire », rappelle le commentateur de Lidovky : « Faire de la bonne politique. Veiller à ce que les gens vivent bien, et lorsqu’on est au pouvoir, ne pas trop voler, ou alors ne pas le montrer lorsque cela arrive. »
Il pointe ainsi du doigt la stratégie des partis de coalition dont il estime qu’il ne suffit pas de se présenter en garants de la démocratie, sans proposer quelque chose de concret derrière : « Absorbée dans sa bulle, avec des conseillers trentenaires qui se contentent de pousser leurs leaders à tweeter le plus rageusement possible, [la coalition] planifie déjà de ‘défendre la démocratie’ et évoque la prochaine ‘élection fatidique’. Bien sûr, on peut prétendre que la majorité de la nation est composée de populistes, d’extrémistes purs et durs et de relais de Poutine. Vous trouverez toujours des gens dans votre camp pour souscrire à cette vision. Et peut-être qu’en effet, c’est en partie le cas. Mais la tâche d’une politique démocratique est d’essayer de gagner cette majorité à votre cause, de lui donner une raison de voter pour [vous et non pour votre adversaire]. »
Le naufrage du « bateau pirate »
Double échec – et particulièrement cuisant – pour le Parti pirate qui accuse à la fois la défaite globale de la coalition au pouvoir dont il fait partie, et la sienne propre, avec un score si bas (3,5 % au lieu de 12 % en 2020) que la direction de la formation politique a démissionné ce lundi. Le commentateur de l’hebdomadaire Respekt revient sur le phénomène que représente ce parti dans l’ensemble de l’Union européenne, et sur la scène tchèque, mais dont la mécanique semble s’être enrayée en route :
« Lorsque les Pirates ont, à la surprise générale, remporté un certain succès aux élections [législatives, ndlr] de 2017, ils ont séduit les électeurs en se présentant de manière attractive comme un parti progressiste, basé sur le numérique, qui savait quoi et comment faire les choses grâce à des analyses et des données, et qui allait sévir contre la corruption, le clientélisme et les dinosaures de la politique. À l’époque, ils s’apparentaient à une start-up avide, une jeune entreprise désireuse de changer le statu quo et prête à affronter les politiques classiques bien installés. Aujourd’hui, les Pirates ressemblent davantage à une entreprise encombrante, dotée de processus internes complexes que personne ne comprend vraiment, et dont les dirigeants, tout en ne sachant pas comment faire face à la baisse des revenus, ne veulent pas quitter leur poste. »
Pour le commentateur de l’hebdomadaire de référence du pays, les Pirates pêchent par là où ils ont réussi et doivent désormais affronter la dure réalité :
« Lorsqu’une entreprise veut mettre fin à une baisse de ses bénéfices, elle fait des changements radicaux, parfois désignés par le mot peu glorieux de ‘restructuration’. Les Pirates essaient maintenant de faire la même chose (…) mais les changements ne seront visibles que lors des élections législatives. En d’autres termes, si la direction des Pirates n’a pas compris, après la déroute électorale de juin dernier, qu’elle devait quitter les postes qu’ils ont au gouvernement, cela devrait désormais être le message principal de ces dernières élections. (…) Les Pirates n’ont pas d’autre choix. S’ils restent au gouvernement, même la meilleure des campagnes de marketing ne les sauvera pas auprès de leurs électeurs. »
Le « re-branding » efficace du Parti communiste
La petite surprise du score du Parti communiste, sous l’étiquette d’une coalition de gauche, confirme la stratégie payante de sa cheffe de file Kateřina Konečná, éprouvée lors des dernières européennes : pari réussi pour la leader de ce parti jamais réformé depuis la chute du régime communiste en 1989 qui a choisi un « re-branding » efficace pour tenter de noyer une réputation historique peu vendeuse et attirer de nouveaux adeptes, comme le note ce commentaire du quotidien Hospodářské noviny :
« Lors des élections régionales, les communistes ont réalisé ce que Karl Marx pensait impossible. Ils ont ressurgi des ‘poubelles de l’histoire’. Le parti, qui avait disparu de la scène politique lors des dernières élections législatives, a fait peau neuve sous la direction de Kateřina Konečná et a obtenu des sièges dans la plupart des conseils régionaux sous l’étiquette ‘Ça suffit !’. Il est tout à fait révélateur de constater que les communistes n’ont échoué que dans la région où ils se sont présentés sous leur vrai nom, soit la région de Karlovy Vary. Après leur succès aux élections européennes, il est de plus en plus probable que les communistes entreront également à la Chambre des députés l’an prochain et deviendront ainsi un partenaire de coalition bienvenu pour Andrej Babiš. Il est donc possible que les communistes, non-réformés, et bien que sous un autre nom, se retrouvent de nouveau au pouvoir 36 ans après la révolution de Velours. »
Le regard de la presse slovaque
Et comme le regard extérieur du voisin immédiat et le plus proche des Tchèques est également important, tout particulièrement dans un contexte où la scène politique de ce même voisin est elle-même à couteaux tirés en raison des victoires récentes des populistes et que la presse tchèque ne se prive pas non plus d’en commenter les aléas, en Slovaquie aussi les médias réagissent aux résultats électoraux en Tchéquie : « Les élections à la Chambre des députés n’auront pas lieu en Tchéquie avant l’année prochaine - ces résultats et les sondages montrent déjà que le gouvernement actuel de Petr Fiala a un gros problème », écrit le journal SME.
Selon le quotidien slovaque, le cabinet a environ un an pour convaincre les électeurs qu’il a des réalisations à son actif : « Alors que sur la scène internationale, les mesures prises par le gouvernement Fiala, telles que l’aide à l’Ukraine et les mesures de représailles contre la Russie, sont louées, sur la scène nationale, le gouvernement est critiqué pour ne pas avoir répondu aux attentes des électeurs - les réformes tant attendues dans le domaine de l’éducation ou des soins de santé ne se sont pas matérialisées et le redressement financier sous la forme d’un paquet de consolidation a été condamné par la majorité des Tchèques », ajoute le journal.
Denník N estime pour sa part que la nette victoire du mouvement d’Andrej Babiš indique qu’il sera également le grand favori des élections législatives en 2025. Andrej Babiš n’avait « pas de concurrent » pour ces régionales, assène encore cet autre quotidien de référence en Slovaquie.