Jean-Philippe Tremblay, un réalisateur engagé contre la concentration des médias

'Shadows of liberty', photo: MFDF Jihlava

Présent le week-end dernier à Jihlava, au cœur du pays, pour présenter son film « Shadows of liberty » dans le cadre du 16e festival international du film documentaire, le réalisateur Jean-Philippe Tremblay a accordé un entretien à Radio Prague. Ce Québécois résidant en Angleterre revient sur une œuvre qui a trouvé un écho auprès du public tchèque et qui dénonce la concentration des médias aux Etat-Unis et leur collusion avec de grandes entreprises et les pouvoirs politiques.

Jean-Philippe Trembley,  photo: YouTube
« En Angleterre, j’ai eu l’opportunité de participer à une compagnie avec d’autres gens qui étaient intéressés à faire des documentaires long-métrages sur les sujets les plus importants. En fait, notre but, c’était de faire des documentaires pour changer le monde, pour éduquer les gens, pour vraiment faire quelque chose de différent de ce qui existe en ce moment à travers le monopole des médias. Et puis, j’ai fait des recherches sur plusieurs sujets. On s’est aperçu que certains projets, documentaires ou sociaux, avaient été réalisés sur les sujets du monopole des médias et des relations économiques et politiques à travers les médias. Selon ma petite équipe et moi, il restait à faire un film documentaire long-métrage contemporain sur ce thème. On s’est aussi dit que c’était le film le plus dur à réaliser et à produire. Ca nous à motiver dans le sens où c’est nous qui allions le faire, qui allions représenter le sujet, la communauté. »

Dans la discussion qui a suivi le film, vous avez dit qu’il aurait été impossible de financer ce film sans créer votre boîte de production (DocFactory). Comment avez-vous procédé pour financer ce film ?

'Shadows of liberty',  photo: MFDF Jihlava
« Pour financer des films, il faut de l’argent, il faut des gens qui veulent subventionner ce genre de projet. Ce n’est pas facile parce que la plupart du temps ce n’est pas des sujets où il y a des retours importants. Le documentaire n’est pas une grosse machine économique. On ne fait pas ça pour l’argent, on fait ça pour l’amour des projets, l’amour des gens avec qui on travaille, et puis pour la passion du cinéma documentaire. J’ai eu l’opportunité de rencontrer des gens qui pensaient comme moi et qui pouvaient et voulaient subventionner le projet. Il y a une grosse différence entre ‘pouvoir le faire’ et ‘le faire’. »

Pour revenir au film, c’est un documentaire de critique des médias qui est construit par chapitre, chaque chapitre abordant un « travers » des médias. Comme avez-vous construit et découpé votre film ? Comment avez-vous choisi les exemples qui illustrent ces « travers » des médias ?

'Shadows of liberty',  photo: MFDF Jihlava
« Encore une fois, ça a été beaucoup de recherche. Quand le projet a débuté, je suis parti aux Etats-Unis durant deux ans pour faire ces recherches, pour voyager un peu autour du pays, pour rencontrer des journalistes, prendre part à des conférences… En fait, nous avions beaucoup d’histoires et cela se divisait en deux avec des histoires de journalistes qui typiquement reportaient une affaire ou une information et pour une raison ou une autre, ils étaient arrêtés dans leur travail par le gouvernement ou par les grandes entreprises propriétaires des médias. J’ai choisi six histoires de ces journalistes qui essaient de faire leur travail pour le peuple, pour l’information, pour nous informer correctement. Des informations qui révèlent des affaires de collusion et de corruption dans les plus hautes sphères du pouvoir, qu’il s’agisse du gouvernement ou des grandes entreprises.

'Shadows of liberty',  photo: MFDF Jihlava
Et puis, il y avait aussi l’histoire américaine parce que dans nos sociétés, le journalisme est un aspect fondamental de nos sociétés démocratiques. La démocratie a été construite autour de l’information pour le peuple, pour nous informer de nos gouvernements, de ce qui se passe à travers le monde dans les grandes entreprises. Des règlements ont été mis en place pour préserver le journalisme indépendant. Mais depuis les trente dernières années, ces protections autour du journalisme ont été soulevées, ont été enlevées. Elles n’existent plus car les gouvernements subissent des pressions économiques, ils partagent des intérêts avec des entreprises à profit. Ce ne sont pas seulement des entreprises médiatiques : elles contrôlent les médias, mais elles ont d’autres domaines d’activités. Certaines ont par exemple des contrats de défense dans des guerres autour du monde comme en Irak ou en Afghanistan.

La structure du film, c’était vraiment ça. C’était de rapporter les six histoires les plus importantes de l’histoire médiatique des Etats-Unis. On peut ainsi comprendre où nous en sommes aujourd’hui avec des médias qui nous content toute sorte de propagandes. On a également voulu montrer qu’il y a d’autres sortes de médias indépendants. Mais quand on est indépendant, on est confronté aux gouvernements et aux entreprises et il est difficile de rendre viable ce genre de projet. »

Vous montrez le film ici à Jihlava. Comment avez-vous trouvé l’accueil du public, les questions qui ont pu vous être posées ?

'Shadows of liberty',  photo: MFDF Jihlava
« C’est assez extraordinaire. Je trouve ça tellement chaleureux d’être invité à des festivals pour présenter le film. On est bien reçu. Les salles sont de bonne qualité. Je pense qu’il y a quatre cents sièges ici, ça faisait la file… Ils ont dû refuser des gens… Je trouve ça assez extraordinaire. Mais pour être franc, c’est l’accueil qu’on a rencontré dans presque tous les festivals où on a présenté notre film que ce soit au Canada, en Norvège, au Royaume-Uni, ici en République tchèque… Et puis on a également été invité aux Pays-Bas à Amsterdam pour le festival du film documentaire IDFA au mois de novembre. C’est assez fantastique. Je suis impressionné à chaque fois que je vois les gens. Moi aussi, je vais voir d’autres films et il y a en tellement d’excellents mais parfois les salles ne sont pas pleines. Mais quand j’assiste à mon film, ce n’est pas le cas et je ne sais pas pourquoi car nous n’avons presque pas de publicité. La réception est extraordinaire. Les gens sont toujours surpris du film, de la façon dont on traite le sujet. »

Ce qui a étonné également dans la discussion après votre film, c’est qu’il n’a pas été projeté aux Etats-Unis alors que c’est un film justement sur les médias dans ce pays.

'Shadows of liberty',  photo: MFDF Jihlava
« C’est exact. Le film a été très bien reçu partout dans le monde dans des festivals au Mexique, au Canada, en Australie, en Europe… Nous sommes à l’affiche avec d’autres très beaux films, simplement ceux-ci ont pu être projetés aux Etats-Unis contrairement au mien. Il a pourtant été fait pour que les américains le voient et en débattent. Dans le film, il y a 38 personnalités et 32 sont américaines. Ce sont de très grands penseurs, des journalistes de premier plan que ce soit dans les conglomérats médiatiques ou dans le domaine du journalisme indépendant. »

Un mot sur la République tchèque. Quelles sont vos impressions ?

« J’adore la République tchèque. Ca a toujours été un rêve pour moi parce que j’ai découvert le pays à travers le cinéma et la photographie. De plus, le sujet de notre film est vraiment actuel en République tchèque. Les gens disent que c’est la même chose ici, qu’il y a une emprise des grands groupes sur les médias. C’est donc un échange passionnant. Je trouve le pays de toute beauté et j’ai hâte d’y revenir. »