Jihlava : un documentaire pour dénoncer la concentration des médias américains

'Shadows of liberty', photo: MFDF Jihlava

La 16e édition du Festival international du film documentaire de Jihlava, le plus important évènement du genre en Europe centrale, s’est achevée le week-end dernier. Parmi les 177 documentaires projetés, beaucoup étaient des films engagés, dont quelques-uns autour du thème des médias dans la société. « Shadows of liberty » (Les ombres de la liberté) était l’un d’entre eux. Présenté en « séance libre » devant une salle comble, ce documentaire du réalisateur québécois Jean-Philippe Tremblay est une critique sans concession de la concentration des médias aux Etats-Unis et de l’asservissement des médias dominants aux sphères politiques et économiques. Radio Prague a assisté à la projection de ce documentaire avant de rencontrer le réalisateur.

'Shadows of liberty',  photo: MFDF Jihlava
C’est dans la salle de cinéma improvisée de la Maison de la Culture de Jihlava, bâtiment qui fleure bon l’architecture communiste des années 1960, que de nombreux festivaliers ont poursuivi leur marathon cinématographique avec le documentaire « Shadows of liberty », un film qui attaque les monopoles médiatiques aux Etats-Unis et leur dépendance à des impératifs économiques et parfois politiques. Pour éclairer son propos, Jean-Philippe Tremblay a rencontré une multitude de journalistes, chercheurs et personnalités engagés dans une approche alternative de l’information et/ou dans la critique des médias dominants. Parmi eux David Simon, le créateur de la série « The Wire », Julian Assange, le fondateur de Wikileaks, Amy Goodman, à l’origine de l’émission Democracy Now !, ou encore l’acteur et militant pour les droits civiques Dick Gregory. A partir de ces échanges, le film a pu prendre forme autour de deux thématiques, comme le précise Jean-Philippe Tremblay :

« Quand le projet a débuté, je suis parti aux Etats-Unis durant deux ans pour faire des recherches, pour voyager un peu partout dans le pays, rencontrer des journalistes, prendre part à des conférences… En fait, nous avions beaucoup d’histoires, et tout cela se divisait en deux, avec d’abord des histoires de journalistes qui, typiquement, rapportaient une affaire ou une information, puis qui, pour une raison ou pour une autre, étaient arrêtés dans leur travail par le gouvernement ou par les grandes entreprises propriétaires des médias. »

'Shadows of liberty',  photo: MFDF Jihlava
L’autre développement privilégié par Jean-Philippe Tremblay et son équipe est celui d’une approche plus globale de l’évolution de la législation en matière de concentration des médias, ainsi que de l’apparition progressive de gigantesques conglomérats qui ne sont plus uniquement médiatiques, notamment depuis le « Telecommunications Act » de 1996. Aujourd’hui, six conglomérats (NBC Universal, The Walt Disney Company, News Corporation, Time Warner, Viacom et CBS Corporation) se partagent 90% du marché des médias américains, des médias dont l’objectif de rentabilité est désormais la priorité. Jean-Philippe Tremblay :

« Et puis, il y avait aussi l’histoire américaine, parce le journalisme est un aspect fondamental de notre société démocratique. La démocratie a été construite autour de l’information pour le peuple, pour nous informer de nos gouvernements, de ce qui se passe à travers le monde dans les grandes entreprises. Des règlements ont été mis en place pour préserver le journalisme indépendant. Mais depuis plusieurs décennies, et surtout ces trente dernières années, ces protections autour du journalisme ont été soulevées, ont été enlevées. Elles n’existent plus, car les gouvernements subissent des pressions économiques, ils partagent des intérêts avec des entreprises à profit. »

La riche discussion qui a suivi la projection témoigne de l’intérêt du public tchèque pour le sujet, qui relevait d’ailleurs que cette concentration des médias est un problème également de ce côté-ci de l’Atlantique. Marine est lectrice de français à Jihlava et elle a beaucoup apprécié un film qui l’a étonné :

'Shadows of liberty',  photo: MFDF Jihlava
« Je ne savais pas et j’ai trouvé incroyable que dans un pays ‘normalement’ démocratique, les médias soient aussi monopolisés. Je n’étais pas au courant que c’était aussi ‘trafiqué’, donc ça m’a beaucoup intéressé. »

Jean-Philippe Tremblay, de son côté, était également heureux de l’accueil réservé à son film :

« C’est assez extraordinaire. Je trouve ça tellement chaleureux d’être invité à des festivals pour présenter le film. On est bien reçu. Les salles sont de bonne qualité. Je pense qu’il y a quatre cents sièges ici, ça faisait la file… Ils ont dû refuser des gens… »

Vous pourrez retrouver l’entretien complet réalisé avec Jean-Philippe Tremblay dans notre prochaine rubrique culturelle.