Jiří Kuběna, un poète qui peint

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«Le prince des poètes de Moravie», c’est ainsi qu’on qualifie parfois Jiří Kuběna. Cet homme considéré comme un des plus grands poètes de langue tchèque de notre temps, nous a réservé une surprise. Il a révélé ses dons de peintre. Actuellement les Pragois peuvent voir dans la galerie Montmartre une collection de ses peintures à l’huile et de ses dessins qui datent, pour la plupart, de la fin des années 1960.

Jiří Kuběna
L’exposition des tableaux de Jiří Kuběna fait resurgir du passé un cénacle créé déjà dans les années 1950 et qui réunissait plusieurs jeunes écrivains de la même génération regroupés autour de Václav Havel. Dans le groupe appelé «První parta (La Première brigade)» il y avait outre Kuběna et Havel aussi par exemple la poétesse Viola Fischerová, le dramaturge Josef Topol, et l’écrivaine Věra Linhartová. Ils allaient tous marquer, d’une façon ou d’une autre, la littérature tchèque de la seconde moitié du XXe siècle, et un deux, Václav Havel, est devenu en plus un personnage emblématique de la dissidence tchèque et plus tard président de Tchécoslovaquie et de République tchèque.
Les Mémoires de Jiří Kuběna
C’est donc en compagnie de ces personnalités littéraires qu’a évolué le poète Jiří Kuběna. Le poète, de son propre nom Jiří Paukert, est né en 1936 dans la famille d’un colonel de l’armée de l’air qui était cependant aussi journaliste et écrivain. Après des études d’histoire de l’art d’archéologie classique à l’Université de Brno, Jiří travaille au Centre régional des monuments historiques tout en édifiant une importante oeuvre poétique. Il est guide dans les monuments historiques et en 1994 il devient chef administratif du château de Bítov, une des forteresses les plus romantiques de Moravie. Et c’est dans ce château fort qui se dresse au-dessus du confluant de deux rivières que le poète devenu châtelain vit jusqu’à nos jours.


Dans la vie de Jiří Kuběna vouée à la poésie il y a eu quand même un moment d’hésitation. Après l’occupation de son pays par les armées du pacte de Varsovie en 1968, il n’a pas pu éviter un certain scepticisme vis-à-vis de la parole en tant que moyen d’expression. Dans un pays occupé où toute manifestation de liberté devenait dangereuse voir impossible, le poète a remplacé la plume par le pinceau:

«C’était le début de la normalisation, donc la période de la pire oppression spirituelle. Même sans le vouloir, on devait se poser la question de savoir comment on allait traiter la parole puisque tout cela était sans perspectives. Ce n’était pas un calcul rationnel. Alors, on pouvait y répondre par le mutisme. Le tableau est international. Il est compréhensible partout. C est probablement ainsi que cela s’est passé.»

C’est donc grâce à cette période où la littérature semblait condamnée à la servitude ou au silence que Jiří Kuběna a mobilisé en son for intérieur ses dons de peintre et que nous pouvons voir aujourd’hui une exposition de ses toiles inspirées par les grands thèmes qui alimentaient d’ailleurs aussi sa poésie. La peinture n’a finalement occupé qu’une courte période dans l’itinéraire de l’artiste. Il est bientôt revenu à l’écriture car il sentait que la parole poétique était sa véritable vocation. Et il a renoncé à la peinture parce qu’il ne voulait pas y diluer son inspiration.


La Volière chantante
Les sources d’inspiration de l’oeuvre poétique de Jiří Kuběna semblent intarissables. Il est auteur d’une trentaine de recueils dont le premier «Zpívající voliéra (La Volière chantante)» a été écrit par le poète à l’âge de 17 ans. Il met l’accent sur les qualités sonores de ses vers car il considère la poésie comme un élément fait de paroles et de musique. Il fait revivre des mythes antiques et les traditions moraves. Sa création est aussi profondément marquée d’une part par son catholicisme et d’autre part par un érotisme qui ose dire son nom. Jiří Kuběna ne cherche pas à occulter que c’est l’amour des garçons qui est la source majeure de son inspiration.


Les inspirations antiques et érotiques sont évidentes aussi sur les tableaux de Jiří Kuběna. Martin C. Putna, directeur de la bibliothèque Václav Havel, compare ses tableaux à l’oeuvre de grands poètes qui avaient, eux aussi, le double don de la poésie et de la peinture:

«Ce dédoublement n’est pas un phénomène unique dans l’histoire de l’art. On le trouve chez William Blake ou chez Jean Cocteau. Et je pense que de même que pour William Blake et ou Jean Cocteau, dont les oeuvres sont considérées comme partie intégrante des arts plastiques européens, l’œuvre peinte de Jiří Kuběna entrera d’une certain façon dans l’histoire des arts plastiques tchèques. Il se peut que beaucoup de critiques diront que ce n’est pas moderne, que personne ne peint aujourd’hui de cette façon, mais j’imagine que le poète répliquerait: ‘Et alors? C’est moi qui peins de cette façon.»


Jiří Kuběna et Václav Havel
Aujourd’hui le châtelain de Bítov règne sur la poésie tchèque. Lauréat de la médaille d’or du président de la République, il poursuit la publication de ses oeuvres qui paraissent aux éditions Vetus Via, il organise des expositions et des rencontres de poètes. Il semble infatigable. C’est lui qui a pris la relève des géants de la poésie tchèque du XXe siècle Otakar Březina, Vítězslav Nezval et Jakub Deml. Même son ami Václav Havel constate avec satisfaction que l’oeuvre de Jiří Kuběna est finalement sortie de l’ombre :

«J’ai toujours apprécié sa poésie qui est tout à fait originale. Aujourd’hui il est déjà prince des poètes de Moravie mais pendant longtemps il est resté en marge de la société, proscrit, inconnu, inaperçu. Et je crois que Jiří est un grand poète et un grand créateur.»