Jiri Orten

Il y a longtemps que tu n'es plus,

tu es morte, c'est mieux ainsi,

la mort t'apportera le salut,

purifiera ton giron et tes seins,

et moi je pourrai te lire

toutes ces chansons que j'écrivais,

alors que tu me trahisait,

lorsque ton amour me quittait,

quittait mon âme, mon corps, l'espace,

et il ne restait plus rien

que le vent, ce chevalier du Néant.

Ces vers sont un extrait du poème D'où es-tu revenue? du recueil La mauvaise voie de Jiri Ohrenstein, poète, qui malgré son jeune âge a réussi à créer des oeuvres d'une plénitude surprenante qui brille comme l'étoile polaire sur le ciel de la poésie tchèque. D'origine juive, Jiri Ohrenstein a préféré changer son nom en anagramme, Orten.

J. Orten a passé une enfance harmonieuse dans la ville de Kutna Hora, où il est né dans une famille de commerçants, le 30 août 1919. Au cours de ses études au lycée moderne, Jiri Orten développe, sous l'influence de sa mère, comédienne amateur, son penchant pour le théâtre. J. Orten se montre très doué; il joue bien, il récite admirablement et commence à écrire des poèmes et de la prose.

Le jeune Jiri se décide de partir pour Prague car il pense pouvoir y épanouir ses talents dramatiques. Il doit faire face à la désapprobation de sa famille. La seule personne qui le soutient est le frère de sa mère, le juriste Joseph Rosenzweig. J. Orten interrompt donc ses études au lycée et, en fin d'été 1936, il part pour la capitale. Il lui faut patienter un an avant de suivre les études au Conservatoire dramatique. En attendant, il étudie à l'école des langues et gagne de l'argent comme archiviste. Ses minces revenus servent à soutenir sa famille. Après le décès prématuré de son père, Jiri s'attache encore plus à sa mère qu'il a depuis toujours aimée très tendrement. Depuis Prague, il lui écrit des lettres touchantes l'informant des milles riens quotidiens.

Déjà depuis son arrivée à la capitale, J. Orten entre dans le tourbillon de la vie culturelle. Il prend rapidement contact avec les artistes de son âge, tels que les poètes Frantisek Halas et Kamil Bednar. Il n'a que dix-sept ans, lorsqu'il publie ses réflexions, poèmes, la courte prose, dans la presse quotidienne, dans les différents journaux et revues comme Hej rup!, Eva, la Revue des Etudiants... Il est récitant de poèmes, joue dans différentes pièces comme les Mamelles de Tirésias de G. Apollinaire, il dramatise la Pomme d'anis de Francis Jammes pour la Collectivité dramatique des jeunes. Depuis l'âge de dix-neuf ans, J. Orten commence à écrire son journal, écrit reflétant ses ambitions, ses rêves les plus intimes, les extraits de la lecture qu'il appréciait particulièrement. Le journal, divisé en trois parties : le Livre bleu, le livre tigré, le livre rouge, peut être considéré en tant que joyau de la littérature tchèque. Les trois livres reflètent le mûrissement spirituel et artistique du poète. En juillet 1938, le jeune poète se rend à Paris pour y passer un mois. Il est absolument enchanté par cette ville, considérée comme le paradis des artistes.

La constitution du protectorat de Bohême-Moravie en mars 1939 et les lois de Nuremberg font souffrir l'âme hypersensible de J. Orten. Ses espoirs sont écrasés par les évenements dramatiques et douloureux, sa vie bascule. Il ressent le poids d'un mal sinistre à travers un antissémitisme croissant. Sa liberté de déplacement est limitée. Il lit beaucoup et les livres remplacent le contact avec les gens. En cette triste période, Jiri Orten publie Le livre du printemps, souvenir d'une enfance heureuse. Le cercle vicieux se referme, il lui est interdit de quitter Prague. Le poète gagne sa vie par des travaux occasionnels, d'enseignement ou pendant la moisson, pendant une brève période, il travaille pour la Congrégation juive... Malgré la situation dramatique, il refuse de quitter le pays car il est persuadé que si un poète désire s'élever sur le plan artistique, il ne peut rompre les liens avec sa patrie et sa langue maternelle. Puis J. Orten est éperduemment amoureux de Vera Fingerova, étudiante en art dramatique. Son grand amour envers Vera Fingerova provoque un tourbillon de sentiments; une euphorie qui sombre en déception, suivie d'une rupture douloureuse. Vera Fingerova reste pourtant jusqu'à la mort prématurée du poète, l'inspiration de sa créativité.

Juif, il se fait exclure du Conservatoire, en 1940, et en cette même année il écrit La voie du gel. Le recueil reflète l'ambiance étouffante de l'époque, une destruction et une transformation de l'image réelle. J. Orten essayait le plus possible de vivre en temps présent, sachant jusqu'à combien le présent était fugitif. Le motif du temps qui fuit se répète souvent, surtout dans les recueils Les pleurs de Jeremie et Ravenelle, publiés sous le pseudonyme de Jiri Jakub.

Les deux derniers recueils de Jiri Orten, Les Elegies et la Mauvaise voie sont une édition posthume. Les Elegies sont une oeuvre crée sous une tension interieure et extérieure évidente. C'est là qu'Orten étale son talent incontestable de grand poète. Pratiquement chaque vers est une gradation de l'absolu. On ressent l'éclatement des sentiments et des douleurs refoulées...

Je vous écris ma chère, vous qui n'existez peut-être plus,

Peut-être vous trouvez-vous à l'endroit des rêves enfuits,

votre âge dangereux vous a peut-être englouti.

Etes-vous morte? Allégez alors, madame, la pesanteur

de votre tombe et faites faner les roses mortuaires.

Demandez à la décomposition de vous lire la lettre

Sur ma désintégration.

Le 29 août 1941, Jiri Orten s'est fait percuté par une ambulance allemande. Il est transporté à l'hôpital où l'on constate une hémorragie cérébrale et une hémorragie pulmonaire. Jiri Orten meurt le 1er septembre 1941, âgé de vingt-deux ans. Sa mort était un hasard malchanceux, mais libérateur car, peu apres son déces, les premiers Juifs sont déportés dans les camps de concentration. Jiri Orten aurait probablement fini ses jours dans une chambre a gaz... Et même s'il avait survécu, il aurait certainement été balayé par le régime communiste.