Karlovy Vary : deux films tchèques en compétition cette année
Le 57e Festival du film de Karlovy Vary est à mi-parcours avec une cérémonie de clôture prévue samedi. Pour évoquer cette édition 2023, la présence de films français, mais aussi comment les problèmes géopolitiques peuvent s’inviter dans un événement culturel de cette ampleur, Radio Prague Int. a interrogé le directeur artistique du festival, Karel Och, qui a d’abord rappelé que deux films tchèques étaient en compétition cette année.
« On est très heureux d’avoir ces deux cinéastes tchèques qui sont des artistes très doués. Nous sommes convaincus qu’ils ont de l’avenir, y compris à l’étranger. Nous sommes témoins d’un changement de générations dans cinéma tchèque, avec notamment Matěj Chlupáček qui est un vrai phénomène. Il n’a que 28 ans mais il a déjà fait un film avant et a déjà beaucoup produit. We Have Never Been Modern (Úsvit) est un film très assuré, très original et réussi qui marie un style d’époque avec des thèmes assez contemporains comme le droit d’avoir une identité différente. A Sensitive Person (Citlivý člověk) de Tomáš Klein est un film plein d'énergie, mais aussi assez sombre, tiré d’un roman de Jáchym Topol. J’ai un attachement très personnel avec ce livre, mais aussi avec l’adaptation de Tomáš Klein. Il y a des thèmes qui me touchent beaucoup comme le père, les enfants et la recherche de son chemin, de son foyer. Le film est assez extrême. J’aime beaucoup les films qui vous prennent par les épaules et qui vous secouent. Lors de la projection, j’ai pu voir l’effet qu’il a fait sur les gens, et je pense qu’ils sont toujours en train de le digérer. »
D’habitude il y a 12 films en compétition cette année, là il y en a seulement 11. Est-ce que vous pourriez expliquer pourquoi ?
« Malheureusement, le gouvernement chinois a décidé d’interdire la présentation d’un film chinois en Tchéquie à cause des relations bilatérales entre les deux pays qui sont plutôt mauvaises, en raison notamment de notre nouveau président et de ses positions, contraires à celles de son prédécesseur. La conséquence d’avoir un très bon président maintenant, qui dit les choses comme elles sont, est qu’on ne peut pas avoir de film chinois au festival. C’est une situation regrettable, surtout pour les cinéastes. J’ai reçu une lettre du réalisateur chinois et il était très affligé. On l’avait déjà invité l’an dernier pour son film Clap Your Hands, mais il n’avait pas pu accepter notre invitation car il n’avait pas la permission pour l’exploitation du film à l’étranger. Cette année, il nous a demandé une nouvelle fois si nous voulions diffuser le film parce qu’il avait enfin obtenu l’autorisation. Nous l’avions accepté car nous aimons son film. Mais quelques jours avant une de nos conférences de presse, la situation a changé. »
La politique s’invite dans l’organisation des festivals. Il n’y a pas non plus de films russes et biélorusses au festival ?
« Non. L’an dernier, il y avait eu une polémique avec un film russe qu’on avait décidé de garder dans le programme car on l’avait invité avant l’invasion. Même si ce film était soutenu par le gouvernement russe, on ne voulait pas qu’il soit victime des événements. Naturellement, la situation est différente aujourd’hui parce que malheureusement cette guerre dure déjà depuis plus d’un an. Nous avons décidé de ne pas considérer les films soutenus par le gouvernement russe, sauf les films indépendants mais en réalité, il y en avait vraiment peu. Il y a beaucoup moins de tournages et de nombreux cinéastes russes ont également honte de ce qui se passe dans leur pays. »
Au niveau des invités, cette année est assez exceptionnelle, avec Russell Crowe, Ewan McGregor, Alicia Vikander, Robin Wright. Côté français Vincent Perez…
« On est très heureux. Vincent Perez est quelqu’un qu’on a tenté d’inviter à plusieurs reprises parce qu’on avait fait une rétrospective avec Patrice Chéreau il y a 15 ans avec La Reine Margot ou Ceux qui m’aiment prendront le train. Et nous voulions aussi faire connaître Vincent Pérez en tant que cinéaste. Quand je suis allé au bureau d’Unifrance au mois d’avril pour regarder les films français qui pourraient nous intéresser, j’ai eu l’occasion de voir Une Affaire d'honneur.
J’ai été frappé par le mélange parfait entre l’ancien et le moderne dans le film. Je ne vais pas dire par son féminisme parce que ce serait une simplification, mais il se trouve que le film met en scène une femme féministe et essaye de montrer son rôle dans la société. C’est un personnage vrai. Le monde ancien et le monde moderne se rencontrent très bien dans le film de Vincent Perez. »
Vous avez aussi présenté lors du festival la version restaurée du Mépris de Jean Luc Godard. Il y aussi un film : Godard par Godard. C’est toujours important pour le festival de revenir sur les grands classiques ?
« Oui, c’est très important. Cette année, c’est mon 23e festival et depuis le début, j’ai toujours essayé de mettre en avant aussi les films classiques. Le festival soutient chaque année la restauration de films tchèques. J’ai la chance d’assister tous les ans au festival Lumière à Lyon qui est dédié aux films classiques : de temps en temps on prend un de ces films et on le présente chez nous. C’est très important parce que même pour les jeunes cinéastes, pas seulement pour le public, c’est l’occasion de regarder des films plus ou moins connus sur grand écran. Cette année, nous avons présenté un film de John Cassavetes, Minnie and Moskowitz, qui fait partie de ses films moins connus. Pendant toute la journée, les gens sont venus me dire que c’était une vraie découverte pour eux. Donc oui, c’est très important. »
C’est vrai que le festival soutient la restauration des films tchèques classiques. Cette année, vous avez organisé la première du film Každý den odvahu (Du courage pour chaque jour). Est-ce que vous pouvez raconter l’histoire de cette projection au festival, parce qu’il semblerait que ce soit une vraie première.
« Ce film a été tourné en 1963. C’est un film qui ne cache pas la vérité de l'époque. Il traite de la société tchécoslovaque des années 1960, au moment où elle a commencé à un peu s’ouvrir. C’était un premier pas courageux de la part des cinéastes de montrer la réalité telle qu’elle était. Il me semble que le président Antonín Novotný a fait retarder la première. Et finalement il n’y a jamais eu de première officielle, le film est sorti directement en salles. La première du film a donc eu lieu il y a quelque jours : c’était très émouvant car nous avons invité le chef opérateur et l’acteur principal, Jan Kačer, qui est une légende du cinéma tchèque. »
Peut-on dire quelques mots sur la présence de films français au festival cette année ?
« Comme toujours, cette présence est assez forte. On est très heureux d’avoir un film présenté en première mondiale dans la section compétitive Proxima, qui s’appelle Maman déchire d’Emilie Brisavoine. On est très contents qu’elle soit venue présenter ce portrait de sa mère qui est un personnage assez compliqué. C’est un film très original, sombre mais qui essaye aussi de ne pas être trop mélancolique. La réalisatrice cherche en fait une manière pour continuer sa vie. Elle utilise les moyens artistiques pour le faire, et c’est ce qui est frappant ici. Parce que quand les cinéastes partagent leurs histoires personnelles, ils ne réussissent pas toujours à intéresser le public, ce qui n’est pas le cas de son film. »