La brasserie à vapeur de Lobeč
La brasserie de Lobeč, du nom d’un petit village situé dans la région de Kokořín, en Bohême centrale, a une histoire longue de près de 500 ans. L’installation d’un mécanisme à vapeur en avait fait, au début du XXe siècle, une des brasseries les plus modernes de l’époque. Cependant, après une série d’événements malheureux, la production de bière a été arrêtée dans les années 1940, et l’édifice s’est alors détérioré. Il aura fallu attendre près de 70 ans pour que vie soit redonnée à la brasserie. Aujourd’hui, de la bière est donc de nouveau produite à Lobeč et la brasserie est inscrite sur la liste du patrimoine culturel tchèque. Radio Prague a assisté à une visite guidée de ce site historique.
La découverte d’un trésor caché
« Bonjour, soyez les bienvenus dans notre monument industriel, la brasserie à vapeur de Lobeč, près de la ville de Mšeno. Je m’appelle Pavel Prouza. Je suis l’administrateur de la brasserie et son propriétaire. »Avec le musée dédié à l’archéologue et écrivain Eduard Štorch, la brasserie à vapeur est la principale attraction touristique de Lobeč, petit village de 150 habitants. Sa fondation remonte au XVIe siècle, soit donc trois siècles avant celle de la célèbre brasserie Plzeňský Prazdroj. Paradoxalement, il s’agit aussi aujourd’hui de l’une des plus jeunes brasseries de République tchèque, la production de la bière n’ayant été relancée qu’en 2015 par les époux Jana et Pavel Prouza.
Il y a dix ans de cela, le bâtiment de la brasserie, de style Renaissance, était abandonné et dans un état délabré, sans portes et fenêtres et avec la toiture gravement endommagée. Jana et Pavel Prouza, tous deux architectes de profession, ont découvert les lieux en 2007 et se sont vite rendu compte qu’ils étaient tombés sur un trésor caché témoin d’une riche histoire. Le couple a donc décidé d’acheter la brasserie pour la retaper et l’ouvrir au public en tant que monument historique.
Une histoire mouvementée
Si la date exacte de sa fondation n’est pas connue, on sait néanmoins que c’est en 1586 que la brasserie a été mentionnée pour la première fois dans les chroniques. A l’époque, il s’agissait d’une brasserie artisanale avec une production fruit d’un travail entièrement manuel. Pavel Prouza :« La brasserie a pris sa forme actuelle à la fin du XIXe siècle, grâce au propriétaire du domaine et de la brasserie, l’avocat et homme politique pragois Rudolf Cicvárek. Ce dernier l’a transformée en une brasserie à vapeur moderne. »
Rudolf Cicvárek est une personnalité clé pour le développement de la brasserie, mais pas seulement. Il est avant tout un touche-à-tout hors normes, comme l’explique Pavel Prouza :
« C’était un homme habile et ambitieux. Etudiant en droit, Rudolf Cicvárek rejoint l’armée austro-hongroise et, ses bons résultats aidant, il atteint vite le grade de lieutenant. Ensuite, il se lance dans la politique en tant qu’assistant du maire de Prague. Après avoir ouvert son cabinet d’avocat, Rudolf Cicvárek décide de devenir député. Pour être élu, il doit néanmoins devenir le propriétaire d’un domaine seigneurial, une condition nécessaire à l’époque pour tous les candidats au Parlement. Son père, un riche industriel, lui achète donc le domaine de Mšeno-Lobeč. Rudolf Cicvárek est un bon seigneur. Outre la modernisation de la brasserie, il y fait par exemple construire une voie de chemin de fer afin de pouvoir y importer le charbon. »
« Aventurier dans l’âme, Rudolf Cicvárek décide, en 1902, de vendre son domaine. Il quitte alors la Bohême pour s’installer en Pologne voisine où il élève des porcs. Ses animaux victimes du rouget, Rudolf Cicvárek abandonne toutefois sa ferme et achète une demeure sur le territoire de l’actuelle Biélorussie. Agressés par des bandits à leur domicile, le couple Cicvárek décide de déménager encore. Rudolf devient donc fonctionnaire et décroche un poste au consulat austro-hongrois à Shanghai, en Chine, où il passera dix-sept ans. Il fait de nombreux voyages pour vendre du bois sur les îles de Java et de Bornéo. Vieil homme, il revient en Bohême et se consacre à l’écriture de livres sur l’Asie. Ses ouvrages sont reconnus par différents scientifiques. Sa ‘Nouvelle Chine’ devient une œuvre majeure de la sinologie tchèque de l’époque. Rudolf Cicvárek meurt à l’âge de 90 ans. »C’est donc à la fin du XIXe siècle, sous Rudolf Cicvárek qui investit beaucoup d’argent, que la brasserie se modernise, s’agrandit de plusieurs étages et bâtiments, ainsi que d’une tour destinée à faire sécher les grains d’orge. Ces travaux d’agrandissement sont dirigés par le célèbre constructeur de brasseries austro-hongrois Josef Rosenberg. Mais c’est surtout l’installation d’une machine à vapeur qui va changer l’histoire de la brasserie à jamais. L’entreprise est alors une des premières de son genre à se doter de cette nouvelle technologie, désormais utilisée pour le moulage, le pompage de l’eau, le transport des produits et le remuage :
« La nouvelle brasserie industrielle diffère de la brasserie artisanale notamment par sa plus grande capacité. Imaginez 4 000 litres d’un moût de céréales. Il est impossible de les remuer manuellement. C’est la raison pour laquelle la brasserie utilise de grands mélangeurs à chaîne installés au fond des cuves de cuisson. »
En raison d’une capacité plus importante, mais aussi de la production d’un nouveau style de bière à fermentation basse – la lager – la brasserie est également équipée d’un nouveau système réfrigérateur, en forme de grande cave divisée en trois nefs. Les blocs de glace entassés au milieu permettent aux brasseurs de maintenir tout au long de l’année une température constante de 4 °C. Pavel Prouza :« Après la modernisation, et jusqu’au début de la Première Guerre mondiale, la brasserie de Lobeč vit un âge d’or. C’est notamment grâce à un bon maître brasseur, Josef Tománek, originaire de Bohême du Sud, que la bière de Lobeč devient célèbre. Mais quinze ans plus tard, Josef Tománek part travailler ailleurs. La brasserie de Lobeč emploie successivement plusieurs brasseurs, mais la popularité de sa bière baisse. La mauvaise situation économique aboutit, en 1927, au rachat de l’entreprise par son grand concurrent, la brasserie voisine de Podkováň, une des plus anciennes brasseries dans les pays tchèques. Celle-ci, contente de pouvoir se débarrasser de la concurrence régionale, y arrête la production en 1943. »
La guerre finie, la brasserie ne reprend plus jamais ses activités, ses locaux sont nationalisés par le régime communiste et transformés en établissement agricole, ateliers et entrepôts. Le mécanisme à vapeur est démonté et détruit. Après la Révolution de velours, en 1989, les bâtiments sont abandonnés, certains de leurs murs et le toit sont démolis et servent de matériel de construction.
Visiter la brasserie
Rouverte par les époux Prouza, la brasserie est inscrite en 2009 sur la liste du patrimoine culturel tchèque. Depuis 2013, elle fait également partie du projet Route européenne du patrimoine industriel (ERIH). Les architectes prennent la rénovation de ce site historique très au sérieux : ils vérifient tous les détails dans les archives et sur des vieilles photos et mettent l’accent sur l’authenticité du lieu. Pour leur approche complexe, ils ont même été récompensés, en 2015, du prix Patrimonium pro futuro, décerné par l’Institut national du patrimoine.De mars à novembre, Pavel Prouza organise des visites guidées, qui permettent au public de découvrir l’histoire de la brasserie à vapeur de Lobeč, son fonctionnement jadis et aujourd’hui, ainsi que les étapes de la production de la bière à l’aide de recettes et technologies traditionnelles. Nous découvrons ainsi une malterie de style Renaissance, le bureau du maître brasseur ou des caves. Pavel Prouza poursuit :
« Nous nous trouvons dans l’ancienne salle de cuisson de la brasserie. La bière était déjà produite dans cette pièce à l’époque de la Renaissance. Il s’agissait alors d’une basse salle voûtée. Le deuxième étage n’a été construit que lors des travaux de modernisation à la fin du XIXe siècle. Un trait caractéristique des salles de cuisson de l’époque représentent de grandes fenêtres qui permettaient d’aérer pour refroidir la pièce. Le deuxième étage a été construit afin de pouvoir y installer des technologies de cuisson. Des cuves de cuisson ont été installées en hauteur, sous le plafond. Ainsi, la brasserie n’avait pas besoin de pompes et bénéficiait de la gravitation. Au-dessus de cette salle se trouvaient des réservoirs d’eau. L’eau donc coulait directement dans ces cuves. »
Une exposition présentant l’histoire de la brasserie à travers des photos d’archives ou une collection d’anciennes bouteilles est également à voir dans les greniers.La bière de Lobeč
Depuis 2015, après 72 ans de pause, la brasserie de Lobeč produit de nouveau également sa propre bière. Jusqu’à 13 types y sont brassés, aussi bien de lager que d’ale, d’IPA ou de stout. Pour leurs produits, les époux Prouza ont d’ailleurs reçu aussi plusieurs médailles de différents concours internationaux.