La chronique de Dalimil, promenade dans le passé lointain du peuple tchèque
L'année 2005 a été l'année des découvertes. Tandis que les chercheurs tchèques on fait de nombreuses découvertes en médecine, en physique, en archéologie, à Paris on a retrouvé un document précieux du Moyen-Age, un fragment de la chronique de Dalimil orné de somptueuses enluminures. La chronique de Dalimil, une des oeuvres fondamentales de l'histoire et de la littérature tchèques est donc revenue à la une de l'actualité.
Le livre est empreint d'un ardent sentiment patriotique. L'auteur qui est probablement d'origine noble, souligne la responsabilité des monarques envers leurs pays et leurs peuples. Il critique les modes venues de l'étranger, incite à la résistance contre ces influences néfastes, s'oppose aux mariages des nobles tchèques avec les femmes d'autres pays et à l'éducation de leurs enfants, selon des modèles étrangers. Il ne cache nullement son attitude antigermanique et apprécie, par exemple, la décision du prince Oldrich d'épouser Bozena, une simple fille du peuple, au lieu de choisir une princesse allemande. Les réflexions, les critiques et les conseils de l'auteur ne vont jamais seuls, mais accompagnent et illustrent les faits historiques ou les légendes qu'il évoque.
La chronique est écrite dans un vieux tchèque dont la syntaxe et le vocabulaire diffèrent parfois du tchèque moderne, mais reste compréhensible même pour le lecteur du XXIe siècle. Son langage simple et plein de métaphores pertinentes utilise parfois aussi des expressions et des locutions populaires. Ses valeurs littéraires sont indubitables, et elle ne perd pas de son importance même sept siècles après sa création.
C'est à François Avril, connaisseur français de vieux manuscrits, que nous devonsla récente découverte du fragment de la traduction latine de la chronique de Dalimil. Le fragment richement enluminé a fait l'objet d'une vente publique à l'hôtel Drouot de Paris, et c'est la Bibliothèque nationale de Prague qui l'a finalement acquis pour 364 644 euros. Le texte passait d'abord pour un vieux manuscrit hongrois, mais François Avril a démenti cette erreur :
"Et puis je me suis rendu compte que c'était un manuscrit qui concernait directement l'histoire de la dynastie des Premyslides en Bohême et qui était accompagné d'une série de peintures tout à fait extraordinaires, un manuscrit jamais signalé, tout à fait inconnu et visiblement très important. (...) Et je me disais: c'est bizarre parce qu'un texte en latin généralement c'est plus solennel, plus pompeux, et je me demandais si ce n'était pas un texte traduit en latin d'un original peut-être tchèque. J'ai cherché et cherché, et ce n'était pas facile parce que les ressources sur l'historiographie tchèque sont importantes, mais elles ne sont pas faciles à trouver à Paris."
Finalement, François Avril a trouvé à l'Institut des langues slaves à Paris une édition bilingue, en tchèque et allemand, de la Chronique de Dalimil et l'a comparé au fragment encore non identifié ...
"Et donc, en me basant sur l'édition en vieil allemand, un allemand pas facile naturellement, je me suis aperçu que ce texte collait littéralement et exactement, mot pour mot, vers pour vers, au texte latin que j'avais sous les yeux et que j'avais étudié. Je me suis donc rendu compte qu'en fait, ce texte était une traduction latine tout à fait inconnue, jamais signalée et sans d'autres copies du texte de cette chronique tchèque de Dalimil."
La chronique de Dalimil date de 1314. Quelles sont, cependant, les origines de ce fragment latin ? Qui avait besoin d'une traduction de la chronique et par qui a-t-elle été créé ? S'agissait-il, comme certaines hypothèses le suggèrent, d'une commande du roi Jean de Luxembourg ou de son fils, le future empereur Charles IV ? Selon François Avril c'est un autre point d'intérêt de ce manuscrit. "C'est que, dit-il, tout, dans la décoration et dans l'écriture, donc la paléographie, la décoration secondaire peinte de ce manuscrit, indique que le manuscrit a été créé par des artistes et copistes italiens. Cela ne fait pas le moindre doute, on l'a créé en Italie du Nord, plutôt dans le Nord-Est de l'Italie, une région où l'empereur Charles IV a longuement résidé dans ses années de jeunesse. Les liens de Charles IV avec l'Italie, au début de son règne, son extrêmement frappants. Enfin, il était physiquement présent en Italie du Nord pour toutes sortes de raisons politiques."
La découverte du manuscrit jette donc un peu de lumière sur les rapports et les influences culturelles dans l'Europe médiévale. Il s'agit, selon François Avril, d'un document extrêmement important qui n'a pas fini de nous poser des questions. On peut dire qu'il témoigne des liens solides qui existaient au XIVe siècle entre la Bohême et l'Italie du Nord.
"On a toujours pensé, par exemple, dit François Avril, à propos de la grande enluminure de Bohême de la moitié du XIVe siècle ou des années 1460, le fameux " Liber viaticus" de Prague, que le peintre de ce manuscrit, d'un style tout à fait splendide, avait une connaissance profonde de la grande peinture italienne. Donc, on a là un grand témoignage supplémentaire de ces liens, témoignage qui me paraît vraiment important."