Œuvre fondamentale de l’histoire tchèque, la Chronique de Dalimil a été traduite en français
Texte majeur dans la formation de l’identité et de la nation tchèques, la Chronique dite de Dalimil a été, deux siècles après la Chronique de Cosmas écrite elle en latin, la première histoire de la Bohême rédigée en tchèque, depuis ses origines mythiques jusqu’à l’époque de son auteur, au début du XIVe siècle. Historienne française actuellement chercheuse à l’université du Luxembourg, Eloïse Adde-Vomáčka a consacré plusieurs années de recherches et de travail à cette œuvre fondamentale, et monumentale, de la littérature tchèque. Mieux même, mi-avril, a été publiée sa traduction en français de cette Chronique de Dalimil, sous-titrée « Les débuts de l'historiographie nationale tchèque en langue vulgaire au XIVe siècle ». A Radio Prague, Eloïse Adde-Vomáčka a expliqué comment et pourquoi elle s’est intéressée à ce texte médiéval :
Qu’est-ce qui vous a intéressée dans ce texte ?
« D’une part j’ai trouvé intriguant le fait qu’il ne soit pas connu en France. Et puis en me penchant un peu plus sur le texte, j’ai découvert qu’il avait joué un rôle très important, et pas seulement au Moyen-âge, puisqu’il a été fréquemment repris à des moments-clefs de l’histoire tchèque comme une représentation d’une certaine manière de la nation tchèque. »
Quelles ont les réactions de vos collègues et de vos professeurs lorsque vous leur avez fait part de votre projet de vous consacrer à cette Chronique ?
« Enthousiastes en France parce que personne ne connaissait ce texte. Par contre, un peu en souriant au départ en République tchèque parce que c’est un texte majeur de la littérature et de l’histoire tchèques. On se demandait ce que j’allais bien pouvoir faire, surtout que je ne parlais pas encore le tchèque. Il a d’abord donc fallu que j’apprenne la langue et suffisamment bien pour pouvoir lire et comprendre ce texte écrit en vieux tchèque. Mais très vite j’ai vu qu’il y avait de l’intérêt et que j’étais capable, avec mon bagage français, d’apporter une vision autre pour le public et les spécialistes tchèques du texte. »
Concrètement, qu’avez-vous apporté à ces historiens tchèques ?
« C’est un texte antiallemand qui a été repris très souvent lors des grandes crises face aux Allemands et aux Autrichiens, que ce soit lors du Renouveau national tchèque au XIXe siècle ou lors de la Deuxième Guerre mondiale. Du coup, je me suis aperçue que la perception et l’interprétation du texte avaient été altérées par ces crises. Je me suis donc employée à voir à quoi correspondait la conception de la nation dans la Chronique et à insister sur les aspects plus politiques : le lien entre politique et nation, entre les aspects sociaux et la conception de la nation. C’est là que je pense avoir apporté quelque chose de vraiment nouveau. »On pourrait se demander qui était ce Dalimil. Or ce texte a été écrit par un auteur resté inconnu. Que sait-on néanmoins de lui ?
« On ne sait rien ! C’est très difficile sur la base du peu d’informations dont nous disposons sur l’auteur. La seule chose que nous avons est sa Chronique. On peut déduire certaines choses de tout ce qu’il écrit tout en étant dans la spéculation pure, car ce texte est porteur d’une idéologie nobiliaire très forte et il est antiallemand. Mais cela signifie-t-il pour autant que l’auteur était forcément un noble ? Ce pouvait être aussi un bourgeois chargé d’écrire un texte pour un noble. Bref, on n’en sait absolument rien. Beaucoup d’hypothèses ont été écrites sur le sujet. Il y a même des livres qui sortent pour résoudre cette énigme. Mais personnellement je ne saurais me prononcer sur son identité. »
Alors pourquoi s’appelle-t-elle Chronique de Dalimil, car c’est un intitulé qui lui a été donné au XVIIe siècle ?
« Oui, parce que le célèbre historien Václav Hájek de Libočany citait parmi ses sources un auteur qui s’appelait Dalimil Meziříčský, tandis qu’un manuscrit de la Chronique, le manuscrit de Fürstenberg, est appelé Chronique de Boleslav. Et le fameux Dalimil Meziříčský était en poste à Stará Boleslav. Du coup, c’est Tomáš Pešina de Čechorod (un Jésuite, ndlr) qui, effectivement au XVIIe siècle, a fait l’amalgame entre ce manuscrit de Fürstenberg de la Chronique de Dalimil, qui est appelée Chronique de Boleslav, et le Dalimil cité dans les sources de Václav Hájek de Libočany… Puis le nom est resté, car il y a tellement de chroniques que c’est plus facile de l’appeler Chronique de Dalimil qu’autrement. Mais, effectivement, il faut se mettre d’accord sur les termes et bien préciser que ce n’est pas le véritable nom de l’auteur. »Comment les auditeurs et lecteurs qui auraient envie de découvrir cette Chronique et de lire votre traduction peuvent-ils se la procurer ?
« Le texte est édité aux publications de La Sorbonne (il a été publié le 15 avril dernier, ndlr). On peut donc s’adresser directement à la maison d’édition, sinon il est en vente aussi sur Amazon et le site de la FNAC, en outre plutôt à bon marché : 23 euros, ce qui est assez rare pour ce genre de travaux dont les volumes flirtent souvent avec les 80-100 euros. »
Il s’agit également d’un très beau livre…
« En effet, j’ai tenu à mettre des illustrations. A la fin de l’ouvrage se trouve donc un petit cahier avec une quinzaine d’illustrations pour donner une idée de la mise en page et de l’écriture, bref voir en quoi consistait un manuscrit médiéval avec ses variantes. »
Nous diffuserons et mettrons en ligne très prochainement une seconde partie de cet entretien avec Eloïse Adde-Vomáčka.
Pour en savoir plus sur le contenu de La Chronique de Dalimil, vous pouvez également consulter la première interview qu’Eloise, alors chercheuse au Centre français de recherches en sciences sociales à Prague, avait accordé à Radio Prague en 2011 : http://www.radio.cz/fr/rubrique/histoire/la-dimension-politique-de-la-chronique-de-dalimil, ainsi que la rubrique « Rencontres littéraires » : http://www.radio.cz/fr/rubrique/literature/la-chronique-de-dalimil-promenade-dans-le-passe-lointain-du-peuple-tcheque-1.