La Chronique de Dalimil, un texte qui « habite l’imaginaire des Tchèques » (II)

Suite et fin de notre entretien avec l’historienne française Eloïse Adde-Vomáčka qui a consacré plusieurs années de recherches et de travail à un texte médiéval majeur dans l’histoire tchèque, la Chronique de Dalimil. Mi-avril, sa traduction de la Chronique est d’ailleurs sortie en France. Dans la première partie de cet entretien Eloïse Adde-Vomáčka soulignait que ce texte, antiallemand, avait été récupéré à l’époque du Renouveau national et du nationalisme du XIXe siècle ou pendant la Deuxième Guerre mondiale, et brandi comme symbole de l’identité nationale tchèque. Radio Prague lui a demandé si cette Chronique avait encore des résonnances actuelles aujourd'hui :

La Chronique de Dalimil
« Actuelles, je n’irais pas jusque-là, car malgré tout, les relations se sont pacifiées entre Allemands et Tchèques. Mais cela reste un moment clé : tous les Tchèques connaissent ce texte. Même s’ils ne le connaissent pas dans son contenu, il habite l’imaginaire des Tchèques. En ce sens, il est toujours très présent, comme constitutif d’une identité nationale et culturelle tchèque. Il faut savoir que c’est le deuxième texte écrit en tchèque et c’est le premier texte, en tchèque, à porter sur l’histoire des Tchèques et des questions tchèques. En cela, il est resté comme une référence que tout le monde connaît. »

Cette Chronique a été rédigée en vieux tchèque. Vous êtes Française et ne parliez pas tchèque lorsque vous avez commencé à vous intéresser à ce texte. Quel travail la traduction a-t-elle donc représenté pour vous ?

« Cela a été très difficile. Au début, j’ai vraiment eu un moment de doute. Je me demandais si j’avais fait le bon choix. Avec le temps et un peu d’abnégation, c’est allé mieux. J’ai eu aussi beaucoup d’aide de la part de certaines personnes à l’Université Charles comme Martin Nejedlý, Marie Bláhová, ou encore Zdeněk Uhlíř, directeur du département des manuscrits et des vieux imprimés à la Bibliothèque nationale. Beaucoup de gens ont cru en ce que je faisais, donc cela m’a beaucoup soutenue. Evidemment, il y a eu beaucoup de travail pour apprendre le tchèque moderne et le vieux tchèque. C’était un double travail, mais cela a fini par marcher ! »

La Chronique de Dalimil,  photo: Archives de Radio Prague
Ce texte écrit en tchèque a ensuite été traduit en latin et en allemand. Savez-vous s’il existe des traductions dans d’autres langues ou le français est-il un cas unique ?

« En langue moderne, cela n’a été traduit qu’en français. C’est pour cela que ma traduction était attendue. Marie Bláhová de l’Université Charles m’avait dit qu’il y avait eu un projet de traduction en anglais, mais la personne s’était désistée. Les traductions en latin et en allemand sont des traductions médiévales qui ne sont donc pas fidèles. La traduction latine a en outre été retrouvée à l’état de fragments et elle est donc très incomplète. La traduction allemande servait l’objectif de la communauté des Allemands de Bohême de bien montrer qu’ils ne faisaient pas partie des Allemands que la Chronique de Dalimil attaquait. Il y a donc de nombreux mots qui ont été changés, et on n’est pas dans une traduction fidèle et scientifique. La traduction en langue moderne, comme je l’ai proposée, c’est la seule qui existe à l’heure actuelle. »

Suite à ce travail, vous intéressez-vous à d’autres textes en vieux tchèque ?

L'œuvre de Smil Flaška de Pardubice
« Bien sûr. Avec Martin Nejedlý, nous avons le projet de traduire 'Le nouveau conseil' (Nová rada, en tchèque) de Smil Flaška de Pardubice. C’est aussi un texte important de la littérature du XIVe siècle. Avec lui, on avait traduit une relation de voyage de l’écuyer Jaroslav qui faisait partie de la délégation chargée de proposer à Louis XI en France un projet d’union des Etats chrétiens, une sorte de préfiguration de l’Union européenne au XVe siècle. Comme je travaille sur des sources tchèques et qu’elles ne sont pas accessibles en français, si je veux que mon message soit entendu en France, il faut aussi faire ce travail de rendre accessibles ces sources sur lesquelles portent mes travaux. »

A qui votre travail s’adresse-t-il ? Bien sûr, il y a le monde universitaire et des chercheurs, celui des spécialistes de l’histoire tchèque. Mais pour quelqu’un qui s’intéresse à l’histoire médiévale, à l’histoire de l’Europe ou des pays tchèques, est-ce un livre accessible ?

« C’est difficile à dire : c’est vrai que je suis habituée d’écrire pour un public de chercheurs ou d’étudiants de l’enseignement supérieur. Après, je pense qu’il y a des passages accessibles à un public plus large. Je ne limiterais pas aux personnes qui s’intéressent à l’histoire tchèque, mais je l’étendrais aux personnes qui s’intéressent à l’histoire des idées. C’est un texte qui se veut être un projet politique, donc j’aborde toute cette question de la politisation, de l’apparition d’une culture politique au Moyen-âge, ce qui n’est pas évident, car elle n’a pas les mêmes outils que la nôtre. Je pense que là, ça peut aller au-delà des chercheurs spécialisés dans l’histoire et l’histoire tchèque. »