La Comédie française à Prague : des Précieuses ridicules qui décoiffent

Serge Bagdassarian et Catherine Hiégel, photo: CTK

Avec la fin de la présidence française de l’UE se clôt aussi la saison culturelle française spéciale organisée notamment par l’Institut français de Prague. Et c’est avec la Comédie française qu’elle s’est achevée les 14 et 15 janvier, par la présentation d’une mise en scène moderne des Précieuses ridicules de Molière et de la pièce italienne La Festa de Spiro Scimone. Le 15 janvier était une soirée un peu spéciale puisque c’était également le jour anniversaire de la naissance de Molière. L’occasion de rendre hommage à l’auteur, comme il est de coutume à la Comédie française... Les Précieuses ridicules, pièce en un acte et en prose, étaient présentées à Prague dans une mise en scène réalisée pour la Comédie française par le Britannique Dan Jemmet. Un choix de mise en scène ébouriffant puisque le metteur en scène a choisi de planter la pièce de Molière dans un décor seventies kitschissime : strass, paillettes et musique disco... Prague était une des étapes de cette tournée exceptionnelle de la Comédie française dans plusieurs pays d’Europe centrale et orientale, à l’occasion de la présidence française de l’UE. J’ai demandé à Catherine Hiégel, décapante Magdelon dans la pièce, quelles avaient été les réactions à cette adaptation hilarante des Précieuses, qui prouve, une fois de plus, que Molière n’a pas pris une ride :

Catherine Hiégel,  photo: CTK
« Elle a surpris. Elle a surpris dans le bon sens parce que je crois que les publics européens ont une image un peu figée de la Comédie française. Heureusement pour elle, elle vit et bouge. Je crois qu’ils attendaient une image plus conventionnelle. Mais en France aussi c’était la même chose. Ils attendent les costumes, les perruques, les éventails et que là, ce n’est pas du tout cela. Après, je sens qu’ils rentrent très bien dans le spectacle. Mais ce n’est pas facile car il y a le problème du surtitrage, de la langue. Autant la Festa a une langue du quotidien, contemporaine et donc plus facile à surtitrer, autant les précieuses, dans leur immense bêtise, parlent énormément, et disent la chose la plus simple avec énormément de mots. Donc la traduction d’un langage précieux, ridicule est certainement difficile. Mais quand on regarde les Précieuses ridicules par Dan Jemmet, je crois que ce qui compte le plus en France comme partout en Europe, c’est l’image, ce qu’elle raconte. C’est monté de façon très chorégraphique. C’est l’image qui l’emporte sur le texte. »

En guise d’une pièce classique en costumes classiques, le metteur en scène a donc adapté les Précieuses ridicules dans les années 1970...

« Oui, c’est cela. Pour parler un peu de nos ridicules à nous qui sont là, qui sont bien présents. C’est, je crois, un vice à la mode, si je peux me permettre. »

Serge Bagdassarian et Catherine Hiégel,  photo: CTK
Est-ce que les différents registres de langue de l’époque correspondent à l’adaptation moderne de la mise en scène ?

« Vous savez, il y a aujourd’hui des gens, là même certainement, à côté, qui s’exprime de manière compliquée pour dire une chose assez simple. Il n’y a pas à le retranscrire. Chez les Précieuses c’est très excessif au XVIIe siècle aussi : personne ne s’exprimait comme cela. Mais comme elles sont idiotes, elles ont pris le mouvement précieux au pied de la lettre. C’est un peu comme les Femmes savantes, elles sont rentré dans tous les excès. Il y a des gens aujourd’hui qui ont aussi des excès de langage. Le vocabulaire est différent, mais les excès de langage existent toujours. Elles ont aussi le goût de la mode, de l’apparence, de ce qui se dit, se fait, d’où on doit être, où on doit être vu. Vous ne voyez pas des images de gens comme cela autour de vous ? (rires) »

Pourriez-vous me parler de cette autre pièce, La Festa ? Cette tournée est à l’image de l’Europe puisque c’est une pièce italienne, montée par un metteur en scène bulgare...

Catherine Hiégel et Serge Bagdassarian,  photo: CTK
« On commence par la Festa. L’auteur, Scimone, va venir. Je vais d’ailleurs le rencontrer à cette occasion. La Festa, c’est le père, la mère et le fils. Le père et la mère sont mariés depuis trente ans, donc vous pouvez imaginer le quotidien d’un couple de plus de trente ans. Cela se passe dans un milieu très simple, pauvre je crois. C’est le jour anniversaire des trente ans de mariage. On rentre dans l’abîme terrible du quotidien, le silence du quotidien. On voit comment les rapports des êtres se défont et ce qu’il en reste. C’est drôle et un peu dramatique à la fois. »

C’est une importante tournée de la Comédie française à l’étranger. Cela doit nécessiter des moyens financiers importants...

« Ca a été une longue histoire. C’est donc une tournée où nous parcourons dix pays d’Europe. Je crois que c’est la première fois qu’on fait une tournée aussi longue. Elle s’étire sur trois mois. Libérer des acteurs c’est facile, décider des spectacles aussi, quand on a un peu le sens artistique. Mais le montage du budget a pris un an. Alors il y a des sponsors : des aides des pays visités, des aides des Instituts français des pays où nous passons et le ministère de la Culture, je dois le dire, a fait un très grand effort aussi, probablement parce que cela correspondait à la présidence française de l’UE et que symboliquement cela avait aussi beaucoup de sens pour la France. »

Comment se porte le théâtre en France ? Vous disiez que la Comédie française était la seule troupe permanente en France...

Gérard Giroudon et Catherine Hiégel,  photo: CTK
« Chez nous les artistes, les auteurs, les metteurs en scène sont à foison. Ce n’est pas là que se situe le problème, le problème est financier. Les subsides donnés aux théâtres nationaux, publics qui sont nombreux en France, diminuent. Et le coût de la vie augmente. La situation des théâtres en France est difficile, parfois dramatique. »

N’y a-t-il pas une issue dans le mécénat privé ?

« Oui, il y en a une, mais elle est faible. Le théâtre n’est pas un objet culturel qui rapporte comme la danse et la musique. Et maintenant, c’est la clé : il faut que ça rapporte. Or le théâtre ne rapporte pas. Pour un mécénat, c’est plus un luxe, ce n’est pas un intérêt financier. Les grands mécènes, je ne sais pas où ils sont... »