La fête du cochon à Tlumacov, en Moravie
Il y de cela maintenant quatre semaines, nous étions deux jeunes Français, amoureux de la Moravie, à vous avoir emmenés, un vendredi, à Olomouc, en Moravie centrale, pour une petite virée nocturne à travers la ville. Nous vous avions quittés, fatigués mais enrichis de découvertes et de connaissances, le samedi, au petit matin sur le quai de la gare. Nous nous apprêtions alors à prendre le train en direction de Tlumacov, un petit village situé à une vingtaine de kilomètres à l'ouest de Zlin, ville dont est originaire le célèbre industriel de la chaussure, Tomas Bata. Mais la raison de notre venue à Tlumacov n'était ni Zlin, ni ses chaussures. Les Stasek, famille de là-bas que nous connaissons bien depuis plusieurs années, nous avait en effet invités à participer à une fête du cochon organisée chez eux. Car encore aujourd'hui, la fête du cochon, généralement organisée à l'approche de la fin de l'année, reste une vraie tradition toujours bien ancrée dans de nombreuses familles tchèques. Après une nuit quelque peu agitée à Olomouc, c'était donc une autre belle journée « à la morave » qui se profilait à l'horizon...
La nuit, moment rare et magique où la notion du temps s'estompe, était passée vite. Nous quittions Olomouc à regrets, certes, mais ravis aussi de poursuivre notre aventure morave et de rejoindre Tlumacov. A 5H00 du matin, la gare d'Olomouc était, elle-aussi, déjà bel et bien réveillée. Il est vrai qu'avec un soleil qui se lève grosso modo une heure plus tôt qu'à Paris ou Bruxelles, le rythme de vie des Tchèques s'en retrouve logiquement décalé. A 5H24, nous embarquons à bord d'un train omnibus tout d'abord en direction de Prerov, carrefour ferroviaire de 50 000 habitants situé à une vingtaine de kilomètres au sud-est d'Olomouc où nous arrivons vingt-cinq minutes plus tard. Puis à Prerov, à 6H04, nous montons à bord d'un autre train, cette fois-ci en direction de Breclav, ville-frontière avec la Slovaquie. Après une demi-heure et 22 kilomètres de voyage, nous arrivons enfin à Tlumacov, notre destination initiale et finale. Le village, encore endormi, lui, et bercé par le courant régulier de la rivière Morava s'étend sur la plaine environnante. A l'été 1997, la Morava, déchaînée, était pourtant sortie de son lit pour ravager la région et la partie basse du village. Six ans et demi plus tard, les seules traces visibles encore existantes sont les marques, parfois à plus de deux mètres de haut, que les gens ont tracées sur les murs de leurs maisons. La première mention historique sur Tlumacov remonte à 1141. A l'époque, l'évêque d'Olomouc avait fait recenser tous les biens de l'Eglise en Moravie. Puis bon an, mal an, de l'invasion des Tartares au XIIIe siècle, en passant par celle des Suédois en 1634, pendant la Guerre de Trente ans, puis la Première Guerre mondiale, la crise économique qui s'en est suivie, l'occupation nazie, jusqu'à la libération le 6 mai 1945, Tlumacov est resté ce qu'il a toujours eté : un village avant tout agricole d'aujourd'hui 2300 habitants chez qui travail, sens de la débrouillardise et bon sens sont des valeurs qui se transmettent de génération en génération. Malgré son relatif anonymat, le village est malgré tout connu et reconnu dans toute la République pour son haras et l'élevage de chevaux de race, et notamment de trotteurs. De Tlumacov, on apprécie avant tout la paisibilité et la douceur de vivre une fois les beaux jours revenus. On peut, certes, apprécier son église Saint-Martin mentionnée pour la première fois dans les chroniques au XIVe siècle, sa statue de Tomas Garrygue Masarik, président de la 1ère République tchécoslovaque, ou encore, là-aussi, la colonne de la Sainte-Trinité, sans toutefois en faire tout un fromage comme à Olomouc.
Ce qui importe à Tlumacov, comme dans beaucoup d'autres villages de Bohême et de Moravie, c'est de profiter du temps qui passe, comme chez les Stasek, cette famille qui nous a donc invités à sa fête du cochon. 7H00 sonne lorsque nous arrivons chez eux. Après les embrassades de circonstance, madame Stasek constate notre état avancé de fatigue. Elle nous verse donc, dans un petit verre, le remède miracle de la région, la « slivovice » qui fait la fierté de toute la Moravie. Et effectivement, cette eau-de-vie à base de prunes a le pouvoir de nous réveiller et de nous remettre aussitôt d'aplomb. Nous enfilons donc les bottes et les bleus de travail trop grands de monsieur Stasek et descendons dans la cour derrière la maison. Le boucher aiguise déjà ses couteaux. Avec sa petite bedaine qui dépasse de sa grosse chemise noire et rouge à carreaux et ses cheveux frisés qui dépassent de son bonnet de marin, pas de doute, le boucher, le chef d'orchestre, c'est bien lui. La famille Stasek élève chaque année trois à quatre cochons destinés à être abattus. Ce samedi, lendemain de Saint-Nicolas, c'est au tour de celui élevé par l'un de leurs deux fils, Martin. Ce dernier, malgré ses quatorze ans, ne manque pas à son devoir pour aider le boucher. Un neveu de la famille se joint à l'équipe, puis un autre, et enfin un oncle, très vite ils sont une petite dizaine à s'activer joyeusement autour de la bête désormais dépecée. Entre-temps, comme s'il fallait se donner encore un peu plus de coeur à l'ouvrage, les verres de « slivovice » tournent de main en main et les éclats de rire se font de plus en plus perçants. Au-dessus de la cour, dedecek et babicka, parents de monsieur Stasek observent la scène flanqués derrière le carreau de leur vitre, heureux de constater que les membres de leur petite famille rassemblés se sentent bien entre eux. La soupe de cochonailles se prépare, tout comme le boudin, les andouilles et andouillettes. La journée passe, aussi vite que la nuit à Olomouc. Le travail terminé, il est alors temps de se réunir en cercle et de trinquer une dernière fois...