La leçon d’un ancien moine bouddhiste

Photo: Michal Gunther, CC BY-SA 4.0 International

« La liberté est la seule chose qui existe vraiment », écrit Lukáš Marvan dans son livre intitulé « Záblesky svobody » (Les éclairs de la liberté). Son livre illustre avec beaucoup de franchise la situation d’un homme marqué profondément par le bouddhisme et qui se retrouve dans la société matérialiste et épicurienne qui est la nôtre.

Six mois dans un monastère au Sri Lanka

Lukáš Marvan,  photo: ČT
En 2002 le journaliste tchèque Lukáš Marvan devient moine bouddhiste. Il part avec un groupe de moines tchèques et passe six mois dans divers monastères du Sri Lanka. Sa décision est l’aboutissement d’une longue quête :

« J’étais attiré par l’existence de quelque chose qui n’est pas évident au premier abord, que nous ne voyons pas tout de suite, mais qui existe pourtant, peut-être. Il y a énormément de livres sur les expériences spirituelles et mystiques, j’ai lu Meyrink et Castaneda, j’ai commencé à m’intéresser à tout cela mais je ne le comprenais pas du tout. Et puis, en 2000, un ami m’a prêté le livre qui s’appelle ‘Le cœur de la méditation bouddhiste’ écrit par le moine Nyanaponika et j’ai eu tout à coup l’impression que je connaissais tout cela, que je comprenais. J’ai donc commencé à fréquenter le centre de méditation ‘Lotus’ où j’ai fait la connaissance d’un moine bouddhiste qui m’a proposé de devenir moine, moi aussi. Mais je pense que j’avais vraiment le désir de reconstituer ma pensée pour voir plus profondément dans les choses. »

'Le moine – Le journal du vénérable Mantakusala,  photo: Eminent
La vie monastique au milieu de la forêt vierge est belle mais il n’est pas facile pour cet homme venu de la civilisation occidentale de s’habituer à sa nouvelle existence. Pour parvenir à un degré supérieur de liberté, il doit purifier son esprit et son corps. C’est la méditation qui devient son occupation quotidienne et son existence devient une recherche constante de la voie spirituelle. Après son retour en République tchèque, Lukáš Marvan écrit un livre qu’il intitule « Le moine – Le journal du vénérable Mantakusala », ouvrage dans lequel il évoque sous la forme d’un journal cette expérience qui l’a tout-à-fait transformé :

« Je désirais surtout maîtriser ma pensée. Au monastère, vous n’occupez pas votre esprit tous les jours par diverses impulsions, ce que nous sommes habitués à faire dans la vie quotidienne. Nous allons au travail, nous regardons la télévision, nous lisons les journaux, nous parlons à nos proches, nous élevons nos enfants, nous payons nos impôts, etc. Au monastère, il n’y a rien de tel et la pensée tout à coup inoccupée commence à se purifier et il en sort des choses pas très belles. Maîtriser ce processus est très difficile et je souhaitais beaucoup y parvenir. »

Recherche de la spiritualité dans la société de consommation

Les moines à Sri Lanka,  photo: AntanO,  CC BY-SA 3.0 Unported
Après son retour, Lukáš Marvan est confronté cependant à de nombreuses difficultés. L’ancien moine bouddhiste se voit obligé de faire face à toutes les exigences et aussi à toutes les séductions de la civilisation occidentale. Les exigences de la voie bouddhiste semblent incompatibles avec les impératifs et le rythme de la vie de la société de consommation. Il n’est pas facile de trouver le temps et l’espace pour la méditation dans un monde dont les valeurs sont surtout économiques, où l’homme est évalué selon l’argent qu’il gagne et où la recherche de la spiritualité est perçue comme une manie bizarre. Revenu du Sri Lanka, Lukáš Marvan n’est plus le même homme. Il subit tous les aléas de son existence, mais son désir de parvenir à la liberté intérieure ne lui permet plus de se plier aux habitudes et aux convenances.

Il trouve un travail dans un journal mais les articles qu’il écrit et dans lesquels il investit beaucoup d’énergie, lui semblent tout à coup complètement inutiles. Ses propres articles ne l’intéressent plus et lorsqu’il est obligé de quitter son poste de journaliste, il ressent un certain soulagement. Il doit démêler également le nœud compliqué des rapports avec ses proches. Son premier mariage s’achève par un divorce, et il sent plutôt de la compassion pour la femme qui ne fera plus partie de sa vie. Il cherche à cultiver par contre ses rapports avec sa fille Šimona, devenue adulte. Son tempérament le pousse cependant à ne pas rester seul. Il s’engage dans une liaison avec une femme mariée ce que le rend plutôt nostalgique du temps où il a vécu dans la pureté du corps et de l’esprit. Il se voit obligé également de chercher une nouvelle occupation et devient porte-parole du corps des sapeurs-pompiers dans la ville de Ústí nad Labem où il s’établit. Et pendant tout ce temps, Lukáš Marvan écrit. Il poursuit son œuvre poétique entamée déjà dans les années1990 et publie en l’espace de deux décennies six recueils de poésies :

Lukáš Marvan,  photo: YouTube
« La poésie, c’est quelque chose à part, elle m’a toujours attiré, mais c’est pour moi une espèce de divertissement. Quant à la prose, je dois dire une chose qui peut paraître un peu bizarre. J’avais l’impression que chacun de nous a ici une tâche à accomplir, une chose qu’il doit faire. Et moi, je sentais que je devrais apporter un témoignage. Quand je suis revenu du monastère, j’ai écrit « Le moine - Journal du vénérable Mantakusala’. Il s’agit de mes journaux de moine où je décris ma vie monacale de tous les jours. Par contre le livre ‘Les éclairs de la liberté’ (Zablesky svobody) raconte ma vie après mon retour au pays. J’avais vraiment une impression très, très forte qu’il fallait aller jusqu’au bout et témoigner de ce qui s’était passé après, ce que j’ai su faire de l’enseignement reçu, à quoi c’était bon, pourquoi je suis retourné et ce que j’ai appris. »

Les éclairs de la liberté

'Les éclairs de la liberté',  photo: Druhé město
Le livre « Les éclairs de la liberté » est paru en 2014. Douze ans se sont écoulés donc depuis le retour de Lukáš Marvan du monastère sri-lankais. L’ancien moine se retourne sur cette période et cherche à évoquer les différentes étapes de sa vie post-monacale avec le maximum de sincérité. Il confronte la vie dans les monastères asiatique avec la réalité quotidienne de l’existence de l’homme occidental et démontre comment la connaissance du vide, de la vacuité et de l’essence éphémère de la réalité a influencé sa vie. Il offre un témoignage sur le chemin parcouru pendant la dernière décennie, un chemin plein d’obstacles, de chutes et d’épreuves. Ce processus de la recherche de coexistence d’un bouddhiste avec la société occidentale lui permet aussi de découvrir et de cerner ses propres faiblesses et ses propres limites. Son livre est cependant aussi un témoignage sur la recherche de la paix intérieure, sur le retour vers soi-même. Lukáš Marvan parle ouvertement de sa famille, de son divorce, des rapports avec sa fille, de la recherche d’un nouvel amour, de la maladie de sa mère et de sa réconciliation avec son père. Dans les derniers chapitres il parle aussi de Jana la femme qui partage désormais sa vie. En 2010, Jana lui donne un fils, Kristián, et il vit cette naissance comme la rencontre d’un être qu’il connaissait déjà. « Nous sommes enfin ensemble » conclue-t-il.

De la déception à la catharsis

Photo: Michal Gunther,  CC BY-SA 4.0 International
Lukáš Marvan ne cache pas dans son livre non plus la plus grande déception de cette période de sa vie. Il découvre avec incrédulité puis avec une surprise douloureuse que son maître bouddhiste qui a joué le rôle principal dans sa recherche de la voie spirituelle, est un homme à double visage, un homme qui prêche les principes bouddhistes sans les observer lui-même. C’est comme si le pilier principal de la vie spirituelle de Lukáš Marvan s’effondrait. Mais après des mois d’incrédulité il se rend à l’évidence et parvient à une espèce de catharsis. Si son maître spirituel ne mérite plus sa confiance, il doit tirer une leçon de cette désillusion blessante et se tourner vers lui-même. Il se rend compte que son maître véritable, le seul maître auquel il peut se fier, ne réside qu’en lui-même. C’est ce maître intérieur qui le conduira le plus sûrement vers la réalisation de l’enseignement bouddhiste qu’il résume par ces paroles:

« Une maîtrise habile de la vie. L’enseignement de Bouddha n’est rien d’autre que l’art de maîtriser habilement la vie, c’est-à-dire de renoncer en notre for intérieur à la haine, à l’avidité et à l’aveuglement. »