La pensée et l’humour de Václav Havel revivent à Bègles
Plusieurs écoles et bibliothèques portent aujourd’hui le nom de Václav Havel. Un lycée portant le nom de l’ancien président tchèque se trouve aussi à Bègles, commune qui fait partie de la banlieue sud de Bordeaux. Le lycée de Bègles travaille actuellement sur un projet qui a l’ambition de faire une véritable place à Václav Havel et à la culture tchèque au sein de l’établissement. Le projet, soutenu par des représentants régionaux, est conçu est réalisé par Vincent Béchau et Marie-Laure Bourgeois, deux créateurs qui désirent donner aux lycéens la possibilité de comprendre et d’apprécier les qualités humaines et artistiques de Václav Havel, ses pensées et son humour. Marie-Laure Bourgeois a présenté cette initiative au micro de Radio Prague.
« Nous avons répondu dans le cadre de ce qu’on appelle ici « le 1% artistique » : une partie du financement public alloué pour la construction du lycéeest destiné à une intervention artistique. Voilà, donc il y a eu un concours auquel on a répondu et dont on a été les lauréats. Dans le concours, il était demandé d’évoquer les valeurs artistiques, d’humanisme et de résistance qui sont incarnés par Václav Havel et puis de mettre en valeur le projet, c’est-à-dire la construction du lycée par la création d’un parcours qui permette à l’art de s’inscrire, je vous le cite, « dans le périmètre d’une architecture environnementale qui intégrera un lieu d’exception dans le lycée ». Voilà. Donc nous sommes partis de là. Notre réponse a été vraiment de s’appuyer sur les écrits de Václav Havel et sur sa vie… »
Pourquoi les étudiants d’Aquitaine devraient s’intéresser à l’ancien président tchèque ?
« D’une part, parce que je crois que quand on est dans un lycée qui porte le nom d’une personne, c’est tout de même intéressant de connaître à quoi cela fait référence. C’est vrai qu’en lisant, en regardant les actes posés par Václav Havel, il nous semble important que les lycéens comprennent la notion de responsabilité et d’engagement mais aussi toute la présence et le rire de Václav Havel, son sens de l’écoute et son attention aux autres. »
Václav Havel a été une personnalité très complexe. D’abord dramaturge, puis dissident et enfin homme politique, il a été aussi un penseur écouté et respecté au niveau international. Quel sont les traits, les facettes de cette personnalité que vous voulez souligner par votre projet ?« Je veux vous dire que nous ne connaissions Václav Havel que de très loin. Donc pour répondre à ce projet, on a commencé à lire quelques-uns de ses livres. Les choses qu’on a retenues pour déterminer les dispositifs qu’on allait mettre dans ce projet, étaient d’abord sa présence humaine et son sens de l’écoute. Par exemple il y a une anecdote qui nous avait beaucoup amusés et qu’on avait lue dans la biographie de Václav Havel écrite par Eda Kriseová. Un jour, par un très grand froid, il circulait dans sa voiture et a vu dans son rétroviseur la voiture de police, qui le suivait en permanence, partir dans le fossé. Il s’est arrêté et leur a tendu une corde pour pouvoir sortir leur voiture du fossé. Il avait donc quand même beaucoup d’humour et d’attention à l’autre, même quand c’étaient des gens qui le poursuivaient en permanence et qui étaient franchement dérangeants pour lui. »
Comment, par quel moyen, envisagez-vous d’engager les étudiants du lycée, éventuellement la population locale, dans la réalisation de votre projet ?
« Je vais peut-être continuer à citer encore les points sur lesquels on s’est appuyé parce que je vous parle de sa présence humaine et de son sens de l’écoute. Bien évidemment, on s’est aussi appuyé sur le fait que c’est par ses écrits et ses pièces de théâtre qu’il faisait passer tout son questionnement social et politique et aussi son engagement. Voici un exemple de l’importance qu’il apportait au dialogue et de la place qu’il conférait au rire et à l’humour. Lors d’une négociation qui avait du mal à aboutir et qui tournait un petit peu en rond, il avait proposé de faire une minute de rire pour détendre l’atmosphère et pour repartir sur de nouvelles bases. Voilà, on s’est appuyé sur des choses comme ça. Le mot qui était important pour lui, c’était « věcnost », le concret, être dans l’affaire. Du coup, les dispositifs qu’on propose dans le lycée sont vraiment des éléments pour permettre aux lycéens de s’engager, eux-mêmes. Je peux vous faire un descriptif de l’ensemble de notre proposition ? »Oui, bien sûr. Allez-y…
« Quand les lycéens vont entrer dans le hall du lycée, c’est un grand hall avec de grandes parties vitrées, on va y mettre une image dans laquelle on voit seulement le sourire de Vaclav Havel avec sa main qui est derrière son oreille à l’écoute. Cette image est un extrait d’une photo de Pavel Štecha. Lorsque les lycéens, et pas seulement eux mais aussi le personnel enseignant et administratif, entrent dans le lycée, ils sont accueillis avec ce sourire et cette main à l’écoute pour leur proposer d’être eux-mêmes dans cette attitude d’écoute et de sourire. Ensuite nous sommes restés sur ce sourire, on fait un peu des piqures de rappel avec ce qu’on appelle des « smiles » en faisant référence aux petits signes qu’on fait dans les messages, dans les e-mails. Ces « smiles » sont de grands sourires, des arcs et des cercles qui sont installés à différents endroits du lycée, à des points-charnière entre différentes disciplines ou des points de rencontre entre l’internat et l’externat. Ces ‘smiles’ peuvent être utilisés comme des étagères sur lesquelles on peut disposer des éléments à partager librement. On fait que vraiment le proviseur et le personnel encadrant du lycée n’interviennent pas dans ce qui est déposé par les lycéens sur ces étagères. C’est vraiment de leur responsabilité de savoir ce qu’ils vont déposer sur ces étagères. »Dans le cadre du projet, vous installez dans le lycée aussi plusieurs podiums, plusieurs estrades. Ne serait-il pas possible de monter avec les lycéens une des pièces de théâtre de Václav Havel qui ont été pratiquement toutes traduites en français ?« Effectivement, dans le projet, en s’appuyant sur le fait que Václav Havel écrivait et jouait lui-même des pièces de théâtre, on installe donc dans la cour du lycée trois grands surfaces - il y en a une qui fait 15 mètres par 8 - et qui sont proposées en même temps comme des tables avec un banc tout autour. Ces bancs permettent donc de monter sur les tables qui deviennent comme des scènes. Il y a même tout un dispositif d’éclairage et une régie qui permettent de les utiliser vraiment comme des scènes.
Du coup, il est proposé aux lycéens de monter eux-mêmes des pièces de théâtre, de faire des défilés de mode ou de faire des cours qui se passent sur ces tables et s’y installent d’une manière tout à fait libre. Ces trois tables ont d’ailleurs les noms de trois théâtres pragois, il y a « Lucerna », « Na zábradlí » et « Semafor ». Et puis, évidement, les troupes qui montent les pièces de Václav Havel peuvent venir jouer sur ces scènes. »Il n’est pas facile de trouver en France les documents sur Václav Havel et les traductions de ses œuvres, même la bibliothèque Václav Havel n’en possède pas beaucoup et, que je sache, elle a décidé de collaborer avec l’Ambassade tchèque de Paris pour enrichir ses fonds. Où allez-vous chercher les documents pour votre bibliothèque ?
« Voilà, effectivement, dans le projet nous constituons un fonds documentaire basé sur les écrits de Václav Havel mais aussi autour de lui avec les gens qui l’ont influencé, ainsi que sur cette période de dissidence en Tchécoslovaquie et même sur la période qui vient ensuite. Il y relativement peu de livres qui sont disponibles dans les librairies. J’aimerais préciser aussi quelque chose par rapport à ce fonds documentaire. Comme les langues italienne et arabe sont enseignées dans le lycée, ce sont les langues qu’on trouve peu souvent dans les lycées, il y a dans ce fonds des livres en italien et en arabe sur ce sujet qui sont disponibles aussi. Pour trouver ces informations, c’est Internet qui facilite beaucoup les choses. Quand on peut trouver ces documents dans les librairies, on le fait, sinon, c’est par Internet, et puis c’est aussi en prenant contact par exemple avec le centre documentaire ‘Libri prohibiti’, le Centre culturel tchèque à Paris, avec Jacques Rupnik, avec beaucoup de personnes comme ça, avec Jana Claverie qui nous aide aussi à trouver des documents. Cela ne s’arrête pas seulement aux livres, on y met de la musique, on y met des affiches, on y met par exemple un badge parce qu’en travaillant sur cette notion de sourire, on a réalisé que sur le badge d’Občanské forum (Forum civique), il y avait ce sourire. Il y a des correspondances comme ça qui nous ont confortés dans notre projet. »