La prison, violon des creuseurs de tunnels
Vous vous en souvenez peut-être, il y a de cela quelque temps nous avions évoqué un mot très particulier, « tunelovat », un mot propre à la langue tchèque qui possède certes un rapport avec le mot « tunnel », dans le sens que l’on connaît tous de voie ou galerie souterraine, mais qui peut également désigner une fraude, une escroquerie, un moyen illégal de détourner de l’argent. Apparu vers le milieu des années 1990, ce mot « tunelovat », passé dans le langage courant, reste malheureusement d’actualité aujourd’hui peut-être plus encore que jamais. L’actualité récente, avec notamment la gestion opaque des fonds européens, qui a contraint Bruxelles à suspendre le versement des subventions communautaires à la République tchèque, nous le rappelle. Heureusement, parfois, quoique trop rarement, certaines affaires de corruption éclatent au grand jour. Dans ce contexte, une des affaire les plus médiatisées et les plus importantes a abouti à l’arrestation du député David Rath, littéralement pris la main dans le sac par la police alors qu’il venait de recevoir une boîte dans laquelle se trouvaient sept millions de couronnes. Placé en détention provisoire depuis, l’ancien ministre de la Santé a été privé de son immunité parlementaire et sera donc livré à la justice. Mais pour nous, cette affaire est d’abord l’occasion de nous intéresser aux expressions de la langue tchèque relatives à la prison – vězení, et plus généralement à l’univers carcéral.
Ce dernier petit mot « basa » est pour nous particulièrement intéressant, car il possède plusieurs sens. Le premier, le plus commun, est celui de « contrebasse ». Arrêtons-nous y un instant car il y a ici deux très belles et courantes expressions à relever : « basa tvrdí muziku » et « držet basu s někým ». La première d’entre-elles est donc « basa tvrdí muziku », soit, traduit littéralement, « la contrebasse soutient, assure la musique ». En français, cela équivaut à l’expression populaire et familière « le ton fait la musique » ou « le ton fait la chanson », c’est-à-dire « marquer une intention véritable par la manière dont on dit les choses » ou plus simplement « donner leur vrai sens aux paroles par le ton sur lequel elles sont prononcées ». Même si nous n’en avons pas trouvé la confirmation, on peut supposer, sans grand risque de nous tromper, que l’expression tchèque tire son origine du fait que lorsqu'un chef d'orchestre donne le ton avant de faire jouer un morceau, il fait s'accorder tous les instruments sur une même note, la première du morceau. De même, comme par exemple dans la musique des westerns, la contrebasse est très connue pour sa contribution à l’orchestre où il apporte non seulement de la puissance et du poids et participe à la fondation de la base rythmique.
La deuxième expression « držet basu s někým », littéralement « tenir la contrebasse avec quelqu’un », signifie, elle, « être solidaire avec quelqu’un » ou « ne pas trahir un secret commun ». En français, l’expression équivalente serait « être de mèche avec quelqu’un », c’est-à-dire être de connivence, complice avec une autre personne. Malgré nos recherches, nous devons reconnaître que nous ne connaissons pas l’origine de cette expression tchèque. Tout juste a-t-on trouvé que cela pourrait provenir d’une solidarité entre prisonniers ou du fait que les musiciens n’aimant pas abandonner ou prêter leur instrument, lorsqu’ils s’y résignent ou acceptent, cela signifie qu’ils sont complices ou solidaires avec la personne qui tient leur contrebasse. Mais attention, il ne s’agit là que d’hypothèses qu’il convient donc, en tant que telles, de prendre avec des pincettes. Ainsi donc pour le premier sens de « basa » - contrebasse. Mais « basa » peut également désigner une caisse, comprenez un casier dans lequel les bouteilles sont « emprisonnées ». Il s’agit là d’un mot d’argot très usité des Tchèques qui parlent très souvent de « basa piv » pour désigner une caisse de bières. Toujours pour ce qui est de leur boisson préférée, les Tchèques disons « un peu plus comme il faut » évoquent plutôt une « přepravka », mot « officiel » pour une caisse, voire une « bedna », un mot lui aussi amusant qui signifie à la fois caisse, boîte ou coffre, mais peut également désigner… une télévision, qui sert par exemple à regarder les nombreuses publicités sur la bière…Bref, passons pour revenir au troisième et dernier sens du mot « basa », le sens qui nous intéresse le plus puisqu’il nous permet de revenir à notre sujet originel : la prison. Nous avons parlé précédemment de « basa » comme d’une contrebasse, mais ici il s’agit plutôt de violon. « Dát do basy »équivaut en effet en français à « mettre au violon », soit « mettre en prison ». Là encore, si on connaît fidèlement l’origine de l’expression française, à savoir qu’un violon était autrefois destiné aux loisirs des prisonniers, cela est moins évident pour la tchèque, même si l’on sait qu’elle ne provient pas de l’analogie entre les cordes du violon et les barreaux de la prison…
Nous reviendrons sur les expressions de la langue tchèque relatives à l’univers carcéral dans notre prochain « Tchèque du bout de la langue ». Pas de crainte à avoir : le sujet sera toujours d’actualité dans quinze jours. D’ici-là, portez-vous du mieux possible - mějte se co nejlíp !, portez le soleil en vous - slunce v duši, ne vous servez pas de la contrebasse comme d’une caisse de bières sous peine, qui sait, de finir au violon, salut et à bientôt - zatím ahoj !