La vie de bohème en Bohême ?
Salut à tous les tchécophiles de Radio Prague – Ahoj vám všem, milovníkům češtiny Radia Praha ! Evoquons aujourd’hui la Bohême, cette région qui loge Prague et qui fait rêver les Français en mal de vie de bohème... Qu’ont en commun la bohème et la Bohême ? C’est la question à laquelle nous allons tâcher de répondre dans ce Tchèque du bout de la langue.
« La bohème, la bohème, ça voulait dire qu’on est heureux… », chantait Charles Aznavour. La Bohême, c’est cette grande terre autour de Prague, c’est l’ouest de la République tchèque, qui est divisée en deux parties avec la Bohême à l’ouest et la Moravie à l’est. Moravie se dit en tchèque Morava, et Bohême … Čechy. La Bohême, c’est 52 750 km² et 6,25 millions des 10,3 millions d'habitants de la République. Et « la bohème, ça voulait dire qu’on est heureux… »
Essayons donc de comprendre : au départ, un peuple de Celtes, les Boïens, s’installe dans la fameuse région en l’an 587 avant notre ère, c’est le peuple qui aurait donné son nom à la région de Bohême. Ce peuple aurait été rapidement chassé plus à l’ouest, donnant naissance aux Bavarois et à la Bavière. Boïens, Bohême, Bavière… ? Les Boïens partis, la Bohême reste. Et les Slaves arrivent. Leur chef légendaire est Čech, c’est lui qui donne le nom tchèque à la région : Čechy. Le nom français, lui, reste : la Bohême. La région prospère et donne naissance à la légendaire Prague. Puis, au XVIe siècle, l’Empire d’Autriche s’empare du territoire, qui lui appartient jusqu’en 1918. A ce moment, la Bohême et la Moravie forment le territoire tchèque qui, uni au territoire slovaque, devient le cœur d’un nouveau pays, la Tchécoslovaquie. Belle histoire, mais qui ne nous aide pas à comprendre pourquoi d’après Charles Aznavour, « la bohème, ça voulait dire tu es jolie… »Une piste : la bohème de Charles Aznavour a perdu l’accent circonflexe de la Bohême de Charles IV. C’est un autre mot, un mot français. Nous y sommes : le mot bohème, tel qu’on l’utilise en français, est apparu en 1659 chez Tallemant des Réaux. Des Roms de la région de Bohême sont arrivés. Ils sont porteurs d’un sauf-conduit protecteur, édité en Bohême par Zikmund, roi de Bohême. Les Français d’alors les adoptent naturellement comme Bohémiens… et l’histoire du mot français commence. Ces Bohémiens font rêver ces Français en soif de vie modeste et poétique. La bohème commence son aventure française et Balzac de décrire, quelques siècles plus tard : « Ce mot de bohème vous dit tout. La bohème n’a rien et vit de tout ce qu’elle a. L’espérance est sa religion, la foi en soi même est son code, la charité passe pour être son budget. Tous ces jeunes gens sont plus grands que leur malheur, au-dessous de la fortune mais au dessus du destin. ». Le roman d’Henri Murger de 1848, ‘Scènes de la vie de bohème’, achève de populariser le mot tel qu’on le connaît aujourd’hui, tel que le chante Charles Aznavour.
Que reste-il de l’esprit de bohème en Bohême ? Les Roms sont toujours là, ignorant sûrement qu’ils ont donné leur nom à une avant-garde artistique, à un mode de vie qui a fait rêver des générations d’Européens. Et le mot est revenu : « bohém », en tchèque, désigne également un rêveur émancipé des conventions sociales. L’histoire d’un aller-retour. Et même si Charles Aznavour est formel : « La bohème, ça ne veut plus rien dire du tout… », le mot fait son chemin, et se renouvelle en France, formant la moitié de la désignation très parisienne des « bobos », ces « bourgeois bohèmes » qui ont trop d’argent pour être juste des bohèmes.
La boucle est bouclée, le mot « Bohême » est donc parti en France avant de revenir poétisé sur le territoire tchèque. Et c’est ainsi que se referme ce « Tchèque du bout de la langue » consacré donc à la Bohême, cette région qui donna son nom à l’esprit de bohème à la française. En attendant de vous retrouver la semaine prochaine, portez-vous du mieux possible – mějte se co nejlíp !, portez le soleil en vous – slunce v duši, salut et à bientôt – zatím ahoj !