La vie merveilleuse de Meda Mládková
« D’une façon profonde et tout à fait subconsciente elle sait découvrir une véritable qualité. » C’est ce qu’a déclaré l’historien de l’art Jiří Šetlík à propos de la mécène et collectionneuse Meda Mládková, femme qui a donné une impulsion revigorante aux arts plastiques tchèques. Sa biographie sortie aux éditions Academia est intitulée Meda Mládková – Ma vie merveilleuse ( Meda Mládková – Můj úžasný život). La vie merveilleuse de cette grande amie des artistes dure déjà depuis un siècle.
La biographie d’une femme obstinée
Elle a du flair. Elle sait dénicher les talents véritables, les aider, les encourager et les relancer. Tels sont les principaux atouts de Meda Mládková qui a aujourd’hui à Prague un musée d’art moderne. Le livre paru aux éditions Academia n’est pas une simple biographie. Meda Mládková y répond aux questions du journaliste Ondřej Kundra qui reconstitue, pièce par pièce, la mosaïque de sa longue vie. Cette vie a commencé en 1919 à une époque qui n’était pas très favorable aux femmes actives :
« Si vous prenez en considération l’époque où Meda Mládková est née il y a cent ans, vous voyez qu’en ce temps-là, les femmes n’avaient aucune certitude de pouvoir s’imposer sur le plan professionnel et de laisser derrière elles une trace profonde. Meda Mládková était de celles qui ont réussi grâce à son caractère et ses facultés dont surtout la persévérance, l’intransigeance, l’obstination et la conscience du but à atteindre. Elle ne se lamentait pas, elle ne capitulait pas lors des moments difficiles et elle a réussi à rassembler une très belle collection d’œuvres d’art, a soutenu de nombreux artistes proscrits par le régime communiste et a fini par rapporter tout cela en République tchèque. »L’enfance de Meda Mládková n’a pas été heureuse. « Mon père était un homme très grossier, un dictateur, » dit-elle. Meda adore sa mère, une femme belle et passive, aime son frère, de deux ans son cadet, et n’aime pas son père qui est maître brasseur. Elle n’est pas prête d’oublier le fouet avec lequel son père les battait, elle et son petit frère. La famille change souvent de domicile car le père travaille successivement dans plusieurs brasseries et l’enfance de Meda se déroule donc dans plusieurs villes et appartements. Pour échapper à ce père autoritaire, elle accepte volontiers la possibilité de fréquenter une école à Prague et d’habiter chez sa tante. Elle prend des leçons de danse et bientôt elle devient danseuse d’opérette. Désormais, c’est elle-même qui décidera de sa vie.
Vienne, Genève, Paris
Pendant la Deuxième Guerre mondiale Meda danse dans des cabarets et des boîtes de nuit de Prague, à Klaipeda en Lituanie, à Vienne et elle connaît les déboirs de cette vie de bohème. Après la guerre elle décide d’aller étudier en Suisse. Elle se marie avec un Belge, fait ses études, collabore à une revue littéraire, créé une maison d’édition et refuse de rentrer dans son pays après la prise du pouvoir par les communistes en 1948. Finalement elle quitte la Suisse pour la France et s’installe à Paris pour vivre aux côtés de Jan Mládek, son grand amour et son deuxième mari. A Paris, elle étudie l’histoire de l’art. Un jour elle visite l’atelier du peintre František Kupka et c’est la rencontre majeure de sa vie. Ondřej Kundra ajoute que c’était également une rencontre importante pour le peintre :
« Meda Mládková a vraiment contribué d’une façon importante à la renommée de František Kupka, un des quatre premiers peintres modernistes. Elle a déployé beaucoup d’énergie dans ce sens à l’époque où Kupka n’était pas très connu, on n’en parlait pas beaucoup outre-Atlantique. Après s’être établie aux Etats-Unis dans les années 1960, elle a attiré sur Kupka l’attention de spécialistes, de conservateurs de grands musées et de critiques d’art et elle a réussi à faire exposer ses œuvres dans des galeries prestigieuses dont la Galerie nationale de Washington. Aujourd’hui Kupka est exposé dans cette galerie à côté des toiles de Picasso et d’autres peintres célèbres. »Une collection d’art centre-européen
En 1960, Meda Mládková s’installe avec son mari à Washington. Avec le temps elle réussit à rassembler une des plus grandes collections d’œuvres de František Kupka dans le monde. Dans les années 1960, elle commence à s’intéresser profondément aussi à la création d’autres artistes tchèques. Elle se rend fréquemment en Tchécoslovaquie, visite des ateliers d’artistes, choisit et achète avec une rare sagacité les œuvres qu’elle juge dignes de figurer dans sa collection. Et elle poursuit cette chasse aux chefs-d’œuvre après l’invasion soviétique en Tchécoslovaquie en 1968. On la croit fabuleusement riche et capable d’acheter tout ce qu’elle veut, mais selon Ondřej Kundra, ces ressources financières ne sont pas illimitées :
« L’une des sources financières qui lui ont permis de réaliser ses activités, était son mari Jan Mládek, un des artisans du système financier mondial après la Deuxième Guerre mondiale qui a été pendant longtemps un des directeurs du Fonds monétaire international. Meda Mládková s’est mise également à racheter et à retaper des maisons vétustes du quartier de Georgetown à Washington. Elle a ainsi rénové et modernisé dans un style élégant toute une série d’immeubles et a gagné de l’argent en les vendant. »