Lacrimae : une rencontre artistique européenne
Voici maintenant une semaine que la 9ème édition du festival du nouveau cirque « Letní Letná » a commencé dans le parc du quartier de Letná, non loin du Château de Prague. Un des principaux invités du festival est la compagnie Lacrimae, qui est en réalité constituée de trois compagnies différentes, venant de trois pays : République tchèque, Suède et France, et qui se sont réunies dans le cadre d’un projet européen de cirque contemporain. Ils ont présenté cette semaine leur spectacle intitulé « Le Cabaret », créé ici même, à Prague, à l’occasion du festival. Radio Prague a rencontré Daniel Gulko, metteur en scène de la compagnie française Cahin Caha. Il nous en dit un peu plus sur cette curieuse trinité.
« Le spectacle a une forme de Cabaret, on retrouve des tableaux, des belles images, des choses amusantes, des choses excitantes. C’est une rencontre entre trois projets et trois créations : le spectacle tchèque de La Putyka, le spectacle suédois de Cirkus Cirkör et le spectacle français de Cahin Caha. Nous avons chacun un spectacle, avec des thématiques différentes, ce que nous présentons à Letní Letná c’est l’histoire de notre rencontre, ce qui se passe lorsque trois compagnies travaillent ensemble pour faire de la recherche, tout en restant chacun de son côté, en conservant un but artistique propre, chacun avec son style très différent. Nous avons un protocole avec des règles de fonctionnement sur la recherche, sur des thématiques partagées, sur la forme du spectacle, comme la taille par exemple pour pouvoir ainsi se retrouver dans le même espace, ou bien encore sur le fonctionnement des échanges. A partir de cela nous travaillons chacun de notre côté. Le spectacle que nous présentons à Letní Letná est composé d’extraits des trois spectacles, environs 20 minutes par compagnie. Lacrimae qui veut dire larme, c’est l’idée que les gouttes qui tombent, une fois rassemblées, créées un courant. C’est donc le mélange des trois styles, des trois thématiques et des trois équipes. Et cela fait déjà un an que nous avons commencé ces échanges. »
Cela fait donc un an que vous préparez ce spectacle?
« Il y a deux jours, le spectacle était le travail de trois compagnies différentes, c’était trois projets, trois spectacles. Mais en réalité durant toute l’année nous avons échangé des idées sur nos projets, nous avons suivi le travail des autres, et son évolution, à travers des photos, des vidéos, des écrits… Nous recommencerons à jouer ensemble en fin janvier à Marseille, les trois compagnies se réunissent et là nous présenterons les trois spectacles différents dans leur totalité mais présentés les uns après les autres. Nous partirons ensuite en Suède participé à un grand festival, et en août prochain nous serons de retour à Prague pour vous présenter les trois spectacles complets. »Comme vous nous l’avez précisé ce sont uniquement des « best of » que vous présenterez ici, n’est ce pas ?
« C’est en même temps une assiette de tapas, c’est ça c’est un tapas, avec des goûts de chaque pays, ayant chacun leur propre projet et leur propre culture, et en même temps cela forme un tout délicieux et digeste, qui devrait bien aller avec un bon verre de vin. »Et pensez-vous que le vin pourrait être la musique par exemple ?
« C’est un bon exemple, parce qu’au début nous partions sur l’idée que chacun aurait sa propre musique puis nous avons réalisé que nous voulions que certaines choses soient communes. Parce que ce spectacle est réalisé pour Prague, les styles sont différents, les costumes sont complètement différents mais nous voulions quelque chose qui puissent lier tout cela et donc nous avons décidé, et le choix était facile, de travailler avec les musiciens du Cirque La Putyka car ils ont un groupe de musique qui est chouette et qui est souple. Ils aiment bien improviser, donc ils vont jouer toute la musique du spectacle. Et donc, oui même si il y a plein de petits plats il y a une bonne bouteille pour tout le monde pour arroser ça. »
Et quel genre de musique allons-nous retrouver dans le spectacle, sera-t-elle variée ?« Oui, les musiciens du cirque La Putyka font plutôt partie du genre rock indépendant, une sorte de musique alternative contemporaine rock et en même temps, ils vont interpréter des morceaux des deux autres compagnies donc c’est plutôt rigolo. Ils vont prendre notre musique mais l’interpréter à leur manière donc leur style va se mélanger avec nos esthétiques. »
Donc pas de musique médiévale pour cette fois-ci alors ?
(rires) « Je suis assez gourmand en matière de musique, j’aime toutes les musiques et du coup c’est une sorte de luxe que je me donne en tant qu’artiste - oui c’est vraiment un luxe - d’explorer sur chaque spectacle une musicalité radicalement différente. Donc dans notre spectacle « Rev » par exemple on avait cette possibilité mais c’était surtout une rencontre avec trois chanteuses que j’aime énormément et avec qui j’ai travaillé pendant trois ans et j’avais envie de les embarquer. C’était comme un choix d’aventures que de mettre de la musique médiévale en spectacle pour le cirque, ce n’est pas très courant et c’est vrai que c’était super chouette. Et cette fois-ci notre musique est plutôt une opposition entre des morceaux très connotés ‘funk’ et ‘country’ donc très américains et puis une musique beaucoup plus contemporaine plutôt dans le style ‘ambiance sonore’. Dans notre prochain spectacle en particulier la musicalité de ‘Rose’ sera une contrebalance entre des morceaux très connus que tout le monde adore et qui sont super chouettes et des atmosphères très étranges, donc notre musique est un peu particulière. »Avez-vous d’autres projets pour la suite ?
« Aller sur une île un peu perdue, pendant à peu près un mois et ne plus rien faire (rires). En ce moment c’est un peu intense parce qu’il y a à la fois la création du spectacle et la réalisation du projet entre les trois pays donc c’est une année plutôt chargée. Mais en réalité j’ai un projet ici, en République tchèque pour 2014, j’espère que nous allons monter un petit spectacle à trois, quatre artistes mais avec des tchèques parce que notre idée est de transmettre une atmosphère plus ‘trash’. Cette façon qu’ils ont de travailler dans un univers d’émotions et de vulnérabilité assumée correspond au style Cahin Caha. Ce qui est drôle, c’est que dans notre spectacle nous avons dû, ici aussi, choisir des choses pas trop ‘hard’ parce que Letní Letná est un festival familial mais le but de notre spectacle était de faire quelque chose un peu érotique, qui parle de questions destinées aux adultes, et du coup ça a été très difficile pour nous de vendre nos spectacle. Le cirque, on veut que ce soit pour les familles, c’est pourquoi nous restons plus dans le milieu de la danse et du théâtre pour cette fois-ci. On se limite sur le réseau pour ne pas se limiter sur le projet mais on s’est dit que quand ce spectacle sortira en février, nous en ferons un spectacle pour enfants. Le même groupe, le même décor, la même thématique : celle de l’intimité, mais adapté aux enfants, donc sans le côté érotique du spectacle. L’intimité, le corps, les sens, les questions sur l’identité, je suis un garçon ou je suis une fille, la douleur, est-ce de la douleur ou du plaisir ; ces choses-là sont adaptés à l’univers des enfants. Donc nous allons faire le ‘Rose bis’ qui sera un spectacle pour enfants et ça je pense que c’est vraiment chouette, on aura deux versions, que nous pourrons jouer le même jour. »Pensez-vous continuer à faire des projets avec Lacrimae?
« Oui c’est le but, nous aimerions avoir des lieux permanents, qu’à l’avenir il y ait des artistes suédois qui puissent descendre dans mon laboratoire pour travailler sur leur projet, et vice-versa et ainsi l’échange sera plus construit. Par la suite nous voudrions rajouter des villes, nous aimerions bien inviter Barcelone, et Zagreb est intéressée aussi. C’est cette idée que petit à petit nous puissions créer des ondes de création artistique et qu’on puisse bouger entre ces ondes, et bouger avant de vendre. Je considère qu’il relève de ma responsabilité, que quand les gens viennent voir le spectacle ils sentent que je viens de mettre deux années de ma vie à me gratter la tête, à lire, parler et regarder, voyager, agir physiquement pour dire ‘voilà ce qui se passe dans le monde et j’ai envie de vous le faire découvrir.’ »C’est transmettre finalement ?
« Oui, on est un petit peu dans ça. Donc je pense que Lacrimae va ressembler un peu à ça et j’espère que… Je suis sûr même qu’il y aura un Lacrimae II. Il y aura une sorte de deuxième étape. »
Parce qu’il vous manque l’ouest finalement…
« Oui, il nous manque l’ouest, parce que la construction de Lacrimae était uniquement personnelle, j’ai passé beaucoup de temps ces dernières années en République tchèque ainsi qu’en Suède et j’ai vu qu’il y avait des choses qui se passaient et qui étaient très différentes et qui en même temps se reliaient les unes aux autres. Donc c’était plutôt un geste d’artiste, ce n’était pas du tout une vision institutionnelle de la culture européenne, qui consisterait à dire ‘Hé, c’est drôle mais dans ces trois pays, dans ces trois villes, il y a des gens qui travaillent de manière complémentaire et ce serait intéressant de faire quelque chose’. Donc c’est parti comme ça, nous n’avions pas cette rencontre à l’ouest mais d’ailleurs comme je l’ai déjà dit il y a déjà des villes à l’est, au nord et au sud qui vont se rajouter : Helsinki, Zagreb et Barcelone et là il y a un bonhomme d’Anvers qui s’intéresse à ce que nous faisons et nous allons le rencontrer cet automne. J’espère qu’on finira par devenir la boussole de l’Europe en rassemblant tous les points cardinaux. »