L’art contemporain cubain s’invite au DOX
En coopération avec la photographe Iveta Kopičová, le centre d’art contemporain DOX à Prague accueille, jusqu’au 4 avril, Cuba en vivo. Tout en abordant tous les thèmes de la société cubaine, cette exposition met surtout en lumière la répression d’un régime sous la dictature de la famille Castro depuis plus de cinquante ans. Cinq artistes cubains, dont le célèbre dissident politique Francis Sanchez, expriment pour la première fois librement leurs ressentis et leurs opinions.
Le 1er février dernier, en visite diplomatique à Paris, Raul Castro a repris officiellement contact avec l’Europe. Si l’ouverture économique de l’île est donc désormais une réalité, quid du reste ? En effet, la reprise des échanges commerciaux n’a pas pour autant sonné le glas du régime autoritaire. C’est ce qu’Iveta Kopičová tente d’illustrer à travers cette exposition dont elle est la conservatrice. Photographe engagée, elle explique son projet :
« Cette exposition parle de mon expérience à Cuba. L’entreprise pour laquelle je travaille m’a envoyée à Cuba en novembre 2014, mais je ne suis pas une bonne touriste. J’ai toujours besoin de faire quelque chose quand je suis dans un pays. Dès le deuxième jour, j’ai donc rencontré des artistes, des peintres, des photographes, et j’avais cette idée fixe de vouloir les ramener en République tchèque. Vous savez, la plupart d’entre eux n’ont jamais quitté leur pays et j’ai pensé que l’art était quelque chose d’extraordinaire. J’ai vu dix à quinze artistes pour finalement en choisir cinq. Francis Sanchez parce qu’il est un opposant au régime et les quatre autres parce qu’ils sont jeunes. Je voulais qu’ils voient ce qui se passe dans le monde. » Représentatives d’une société en quête de liberté d’expression, les œuvres de Cuba en vivo s’attaquent à tous les sujets. Le photographe Batista Herrera a par exemple pour dessein de représenter la mort et de la questionner. Le peintre Maczel Lang Santiesteban, lui, dénonce la culture du capitalisme qui envahit de plus en plus l’île. Mais le poète et peintre Francis Sanchez, farouche opposant au régime castriste, est bien celui qui reste au cœur de l’exposition. Iveta Kopičová souligne la singularité de la force des convictions politiques de l’artiste :« J’ai pensé que pour les besoins de l’exposition, il fallait séparer Francis Sanchez des autres en partie à cause de sa vision politique. Il est définitivement engagé contre le régime. A chaque fois qu’on l’interroge là-dessus, quel que soit le média, il affirme son opposition au régime. Les autres artistes, eux, ont peur. Il y a eu d’ailleurs des conflits entre eux pour cette raison. Les autres artistes pourraient bien se rendre compte qu’avoir une opinion n’est pas nécessairement dangereux. »
La peur de s’exprimer à travers leurs œuvres constitue en effet le quotidien de ces artistes cubains qui n’ont que très peu de possibilités pour exposer dans leur pays natal. Cuba en vivo va donc bien au-delà d’un simple engagement politique. Iveta Kopičová a de facto permis à ces artistes de s’émanciper :« Dans le travail de tous ces artistes, comme dans les œuvres de Francis Sanchez, on peut percevoir leur cri pour la liberté ainsi que la peur. Tout est là et c’est très fort, même si ce n’est qu’un mot. »
« Pour eux, l’exposition au DOX est la meilleure et la plus importante expérience artistique de leur vie. D’habitude, ils ont deux ou trois œuvres exposées quelque part. C’était vraiment spécial pour eux. »
L’organisation de cette exposition est aussi l’occasion pour Iveta Kopičová de rappeler qu’elle ne croit plus à la condamnation par la République tchèque du régime cubain. Selon elle, le gouvernement, comme il le fait également avec d’autres pays, joue désormais davantage sur une stratégie économique :« Je n’adhère pas vraiment à la politique de notre gouvernement actuel. Notre président aime la Chine, il va visiter Cuba cette année. Je pense qu’il sera heureux d’être reçu par Castro. Ce n’est pas notre attitude… »
L’éclectisme de Cuba vu par cinq artistes cubains, c’est à voir au DOX jusqu’au 4 avril.