Le carnet d’un acteur

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«Il savait créer autour de lui une atmosphère particulière qu’il n’est pas facile de décrire, une atmosphère qui était à la fois pleine d’engagement intense, de bien-être et de calme. Avec lui on se sentait en sécurité, avec lui le travail devait tout simplement réussir. » C’est par ces paroles que la célèbre actrice Dana Medřická a évoqué son collègue du Théâtre national de Prague, Karel Höger. A l’occasion du centenaire de sa naissance la maison d’éditions XYZ a publié un recueil de ses souvenirs et réflexions intitulé «Le carnet d’un acteur». Voici la reprise d’une émission que nous avons consacrée à ce livre en juillet 2009.

Karel Höger est le dernier-né d’une famille de treize enfants, dont le père était briquetier de la ville de Brno en Moravie. D’abord instituteur, il se sent irrésistiblement attiré par le théâtre, joue dans un théâtre de marionnettes, fait partie d’une troupe de théâtre amateur. Après avoir étudié au conservatoire de Brno il prend son premier engagement dans un théâtre de cette ville, et déjà en 1940 il entre au Théâtre national de Prague où il créera plus d’une centaine de rôles. Grâce au cinéma et plus tard aussi à la télévision Karel Höger deviendra l’un des acteurs tchèques les plus populaires de son temps.

Il ne perdra jamais un léger accent de Moravie qui rehausse encore le charme de sa voix. Cette voix qui marie simplicité et émotion a le don extraordinaire de devenir familière à tous ceux qui l’écoutent. Elle fait merveille à la radio car elle a une grande force évocatrice et donne une nouvelle vie à la parole. Les enfants tchèques de ce temps-là n’oublieront jamais la voix de Karel Höger leur lisant des contes de fées.

C’est un artiste qui cherche la vérité dans l’art et aussi la vérité dans la vie ce qui n’est pas sans danger au vu des régimes totalitaire sous lesquels il lui faut vivre. Sous l’occupation allemande il risque sa vie en aidant des personnes persécutées et pourtant, après la guerre, on le soupçonne de collaboration avec l’occupant. Sous le communisme il se voit obligé de se taire face aux aberrations dont il est le témoin, il se le reproche amèrement et finit par se révolter. Après l’invasion des troupes soviétiques il est écarté des studios de cinéma et de télévision. En 1977 il prend la défense d’une actrice du Théâtre national injustement congédiée et, pour la soutenir, donne lui-même sa démission. Il meurt, peu de temps après, à l’âge de 68 ans.


Le recueil de souvenirs et de réflexions intitulé Le Carnet d’un acteur a vu le jour, grâce entre autres à l’historien de la littérature et éditeur Vladimír Justl. Ce dernier s’en est souvenu à l’occasion de la dernière édition de cet ouvrage:

«Nous nous sommes rencontrés et avons collaboré ensemble dans la seconde moitié des années 1960 dans le café poétique Viola où Karel Höger lisait le récit humoristique « La Petite renarde rusée » de Karel Poláček. Il a présenté dans ce café trois programmes différents. Un jour je lui ai donné une copie des mémoires du célèbre acteur du Théâtre national Eduard Kohout et il m’a dit que lui-même n’avait pas l’intention d’écrire ses Mémoires. Il est venu pourtant, quelques mois après, pour me dire qu’il avait beaucoup de divers articles et m’a demandé si je voulais y jeter un coup d’œil et si on pouvait les utiliser d’une façon ou d’une autre.»

Les papiers se trouvent dans deux coffrets. Vladimír Justl promet à l’acteur d’examiner les articles pendant les vacances d’été. C’est donc pendant les soirées des vacances dans les Hautes Tatras en Slovaquie que Vladimír Justl étudie ces documents et se rend compte qu’il ne serait pas du tout facile d’en faire un livre.

«Il m’a donné une promesse que je n’exigeais pas du tout de lui. Il m’a dit tenir beaucoup à ce livre et qu’avant de le préparer à l’édition il n’allait accepter aucun nouvel engagement à la télévision et au cinéma et qu’il travaillerait à cet ouvrage. (…) Nous nous sommes donc mis d’accord. Moi, j’ai divisé les textes d’après mes notes en douze chapitres selon les thèmes car on pouvait déceler dans ces textes plusieurs ensembles thématiques. Nous nous sommes mis d’accord pour que je choisisse les textes utilisables. Quand à lui, il a promis que dans le cas où il y aurait plusieurs articles ou interviews sur le même thème, il écrirait un texte nouveau se basant sur les articles déjà existants. Mais il n’a pas eu assez de temps pour le faire. Il n’a réussi qu’à achever le premier chapitre et il est mort. »

Il fallait donc faire tout ce travail à la place de l’auteur. Vladimír Justl l’a achevé et le livre est sorti en 1979, deux ans après la disparition de Karel Höger. Et en mai 2009, l’année du centenaire de la naissance de l’auteur, ce livre a été réédité pour la troisième fois déjà.


En 1962 Karel Höger a parlé à la radio. C’est à cette occasion qu’il a évoqué le rapport délicat entre l’artiste et son public. En parlant du rôle de l’acteur il a fait aussi une sorte de profession de foi:

«L’acteur et les spectateurs, oui, ils sont aussi liés comme l’oxygène et l’azote dans l’air. Sans l’un deux il n’y aurait ni le théâtre, ni le cinéma, ni la télévision. Vous voulez que l’acteur joue bien, que son jeu vous apporte l’essence même de la vie, comme le dit Hamlet aux comédiens. Et l’acteur ? Il aime évidement vos applaudissements et vos lettres, quand elles ne sont pas qu’un amas de phrases vides. Il n’aime pas ça pour assouvir son amour-propre. Un menuisier quand il achève de fabriquer une chaise, il la regarde, il souffle sur elle, il s’assoit dessus. De même qu’un mécanicien, un boulanger, un potier, un médecin. L’acteur n’a que l’écho de la salle qui lui confirme que son travail est bon. (…) Il faut vous dire que je n’aime pas jouer là où les jeunes confondent le théâtre avec le terrain de jeu, où ils rient quand ils entendent un mot tendre ou exalté. Vous n’êtes pas contents non plus quand quelqu’un se moque de votre travail. Sachez que l’acteur aux côtés du poète, du dramaturge, de l’écrivain cherche à enrichir votre cœur. Vous le sentirez quand vous vous rendrez compte de ce que c’est que d’avoir un cœur. Chacun s’en rend compte à un autre moment de la vie.»