Ivan Diviš, un poète aux ambitions de démiurge
«Ai-je donc tout gâché ? » s’interroge le poète Ivan Diviš dans un de ses poèmes. Sa vie bornée par les dates 1924 et 1999 a été une suite interminable de conflits car il refusait d’accepter l’imperfection, la lâcheté et la cruauté du monde. Bien sûr, c’était se battre contre des moulins à vent, mais il se servait de la poésie comme d’une épée, comme d’un instrument terrible pour exorciser tous les démons de son existence et de l’existence des autres humains.
Pour Ivan Diviš, la poésie est le penchant incessant de l’homme à répondre par le style et la noblesse au chaos et à la vulgarité : «…je dirais, a-t-il écrit, que le problème fondamental est l’effort de surmonter la solitude et de dépasser ou de transformer la simple existence ici en une image créée et créatrice de l’Être non pas comme il est, mais comme il doit être. » Evidemment, une telle ambition digne d’un démiurge, ne pouvait qu’engendrer un conflit incessant entre le poète et le monde et marquer profondément sa vie.
Le futur poète et essayiste Ivan Diviš est né à Prague en 1924, donc il y a 85 ans. En 1968, il évoquera ses origines dans une émission de radio :
«Je suis un Pragois baptisé à l’eau de la Vltava. Un Pragois du quartier de Žižkov. Pour le dire franchement, j’aime Prague évidemment, mais je n’aime pas les grandes villes, vraiment, je les déteste. Un million de personnes entassées dans un seul endroit crée un énorme problème. Et c’est le climat le moins favorable à la concentration. »
En 1949, Ivan Diviš termine ses études et devient ouvrier, puis éditeur dans une maison d’édition. En 1969, après l’invasion de l’Armée soviétique en Tchécoslovaquie, il s’exile en Allemagne et on peut entendre sa voix dans les programmes de Radio Europe Libre. Finalement, il s’installe à Londres mais il ne parvient pas à se faire à l’exil. Après la révolution de velours en 1989, il revient donc de plus en plus souvent dans sa patrie avant de s’y réinstaller définitivement en 1997. Il meurt en 1999 après une chute dans l’escalier de sa maison.
Ivan Diviš publie son premier livre de poésies en 1947, mais le recueil intitulé « Musique pour mes frères » ne sera suivi d’autres livres qu’en 1960. Il publiera entre autres les recueils « Crachement de sang » (1964), « Thanatea » (1968), « Mouton sur la neige » (1980) et « Psaumes » (1986). Selon le critique et historien de littérature Vladimír Justl, éditeur de sa poésie, Ivan Diviš reste un auteur très actuel même au seuil du XXIe siècle:
«Il est l’auteur d’une vingtaine de recueils de poésie et on y trouve beaucoup de thèmes qui résonnent avec notre temps. Diviš est un poète qui n’est pas mort avec l’époque dans laquelle il a vécu. C’était un grand expérimentateur de la langue. Il avait une formation philosophique. Après la guerre, il a étudié la philosophie à la Faculté des lettres. C’est un homme qui réfléchissait aux problèmes du monde y compris aux problèmes politiques de la position de poète-philosophe.»
Dans ses poèmes, Ivan Diviš n’hésite pas à malmener la langue, la syntaxe et l’orthographe pour bouleverser et blesser le lecteur. Dans son journal publié en 1994, il donne une image du monde souvent horrible et répugnante. Il juge et condamne ce qu’il voit autour de lui dans différentes étapes de sa vie, sous le communisme, pendant les années d’exil et après la chute du régime totalitaire avec une terrible perspicacité, avec un grand courage et parfois avec injustice. Il donne un diagnostic catastrophique de l’esprit national tchèque et fait voler en éclats les idées reçues sur l’histoire tchèque. Sa vie est une recherche permanente des vérités blessantes mais aussi de la solitude, dont il a besoin pour créer, pour se concentrer:
« …plus nous vieillissons, plus nous nous rendons compte que le seul environnment nécessaire est la solitude. Ce n’est que dans la solitude que nous sommes suivis par les dons spirituels qui nous mènent jusqu’au sommet. Dans la ville qui est une horizontale, un désert, rien de ce qui est pur et sans ingrédients indésirables ne peut prendre racine, s’épanouir et donner des fruits. La grande ville semble être une conspiration colossale contre la concentration.»
Ivan Diviš aura beaucoup de critiques. Il ne s’agit pas que de ceux qui se sentent directement visés par ses poésies et par son journal. On lui reproche son injustice et sa dureté, son manque de compréhension pour les faiblesses humaines, mais aussi une certaine monotonie dans le flot de ces observations. Le ton accusateur de la grande partie de ses poèmes fait oublier aujourd’hui non seulement que c’était un homme au sens de l’humour très développé, mais aussi un homme profondément lyrique. Vladimír Justl rappelle que ce grand solitaire cherchait à être utile à la jeune poésie et aux jeunes auteurs tchèques:
«Ses vers ont la valeur du métal frappé. Souvent, c’est une réponse intransigeante à tous ses problèmes intérieurs. (…) Les poètes comme Ivan Diviš ne se répètent pas. (…) Je l’ai connu au début des années 1960 lorsqu’il est venu dans la maison d’édition Mladá fronta pour devenir éditeur de la poésie. C’est un chapitre qui n’a jamais été apprécié à sa juste valeur parce qu’il avait un grand talent pour trouver de jeunes auteurs et leur donner la possibilité de publier. Et il a également ouvert la porte aux auteurs qui étaient interdits de publication pendant toute la période qui a suivi février 1948.»
Certains poèmes de ce juge intrépide font entrevoir un autre Diviš, homme vulnérable et presque tendre, sensible et ému par la beauté. Ces poèmes-là sont autant de signes de l’espoir de salut pour ce chantre des affres de l’existence. Ils montrent que le poète qu’on a comparé à Jérémie, prophète du désespoir, a eu aussi quelques moments d’apaisement et de bonheur.