Le fabuleux destin d’Oscar Hendrych

Photo: Éditions JPO

« Je me souviens qu’il m’avait dit qu’il avait horreur des chants de Noël, ça ne lui disait rien. Peut-être y avait-il une blessure d’enfance, car Noël pour lui, ce n’était rien. Il n’aimait pas ce côté festif et il y avait quelque chose de frelaté selon lui. Ce n’était pas sa vie. » Et vous, le Noël tchèque ? « Ah moi, j’adore ! Les Noëls d’Europe centrale sont merveilleux, c’est bien connu. Bon, à part la carpe, hein… » S’il avait été réalisateur, peut-être en aurait-il fait un film. Mais voilà, ancien journaliste français aujourd’hui à la retraite à Prague, après avoir couvert notamment les grands changements en Europe centrale puis les guerres en ex-Yougoslavie au tournant des années 1990, Pierre Peyrichout a préféré raconter cette histoire avec sa plume. « Oscar Hendrych – La vie extraordinaire d’un homme libre » est le titre d’un livre publié il y a quelques mois de cela aux éditions JPO. Un livre qui raconte le fabuleux destin d’un Tchèque devenu un homme du monde.

Photo: Éditions JPO
« C’est un gars qui a beaucoup bourlingué durant sa vie. Mais c’était surtout un homme avec beaucoup de charisme vers lequel on ne pouvait s’empêcher d’aller quand on le rencontrait. J’ai fait sa connaissance tout à fait par hasard à l’hôtel Ambassador [sur la place Venceslas à Prague] qui me servait de quartier général durant la révolution de velours. Oscar y venait prendre son café tous les matins. Il parlait sept langues, dont un français qui nous ferait honte à nous, Français. Et comme beaucoup d’autres, je suis immédiatement tombé sous le charme de cet homme exceptionnel. »

« Beaucoup de femmes d’ailleurs étaient folles de lui, car en plus de tout le reste, c’était aussi un beau mec. C’était presque le sosie du comédien Lex Barker, qui est très connu des Tchèques pour son rôle d’Old Shatterhand dans la série de films Winnetou (Lex Barker a aussi interprété Tarzan au cinéma, ndlr). Oscar mesurait 1,87 mètre, il était donc un peu plus petit que Lex Barker, mais c’était quand même un gars bien bâti… »

Ce livre est donc le fruit de l’amitié que vous entreteniez avec lui. Vous vous êtes rencontrés au début des années 1990 dans un pays, la Tchécoslovaquie, où, l’un comme l’autre, vous étiez des étrangers. Car si Oscar est né dans un pays libre et démocratique, il l’a quitté très jeune pour fuir le nazisme et finalement n’y revenir qu’après l’effondrement du régime communiste.

Oscar Hendrych
« Il a effectivement quitté la Tchécoslovaquie à l’âge de 18 ans, pratiquement le lendemain de l’arrivée des nazis en Tchécoslovaquie en mars 1939. Il a alors demandé à sa mère qui était juive ce qu’elle comptait faire et celle-ci lui a répondu que rien ne pouvait leur arriver… Il est donc parti. D’abord en Italie via l’Autriche qui était sous l’Anschluss en passant par le col du Brenner, puis il est arrivé deux mois plus tard en France, pour laquelle il a eu un coup de foudre. Et c’est là que la grande aventure a véritablement commencé. »

« Cette affinité qu’il avait pour la France a d’ailleurs beaucoup contribué à notre rapprochement à Prague. Oscar a d’abord travaillé à Nevers dans une entreprise franco-tchèque qui s’appelait la SIAMEC et qui travaillait à l’époque pour la défense nationale française. »

Le début de votre livre m’a fait un peu penser au Papillon d’Henri Charrière…

« Ah bon… Je suis flatté, car j’ai beaucoup aimé ce livre. Mais pourquoi pas ? Oscar a été accusé d’espionnage et il s’est effectivement évadé d’une prison martiniquaise… Mais entre la France et la Martinique, il y a aussi eu le Maroc et l’Algérie. Il a été très déçu en Martinique, car il s’attendait à y trouver un îlot de liberté, alors qu’en réalité il y avait sur place un général pétainiste en diable qui, dans l’esprit, avait déjà précédé les Allemands. Il y avait donc une répression très forte à Port-au-Prince. »

Comment qualifieriez-vous votre livre ? Est-ce une biographie ? Un livre d’aventures ?

« Vous savez, j’ai été séduit par le personnage parce qu’un beau jour, comme je le raconte dans le livre, Oscar m’a remis dix-sept pages tapés sur une vieille machine de type Remington en me disant qu’avec ça, je saurai tout ou presque. Or, Oscar était un type d’une grande franchise. Sa vie était tellement extraordinaire qu’il n’avait pas besoin d’exagérer. J’ai donc lu ce petit papier, puis je l’ai oublié dans un tiroir de mon bureau avant de le retrouver lors d’un déménagement une dizaine d’années plus tard. Et c’est en relisant cette histoire et en redécouvrant cette histoire que je me suis dit qu’il fallait en faire un livre. Je me suis donc mis à l’écrire en 2013, mais il m’a d’abord fallu retrouver quelques témoins, notamment son épouse brésilienne qui était 37 ans plus jeune que lui et un certain Václav Hladký, un ancien ami d’Oscar qui avait travaillé avec lui à Nevers. Ces deux rencontres m’ont alors permis de disposer de suffisamment de matière pour écrire un livre. »

Aucun passage n’est donc romancé ?

« Absolument rien. Même tous les dialogues du livre sont authentiques. C’est un livre qui, certes, a été long à écrire, mais le travail a été assez facile. Oscar était un séducteur involontaire qui possédait une grande culture. D’avoir quitté l’école à 18 ans ne l’empêchait pas par exemple de connaître Les Rougon-Macquart par cœur. Il était une anthologie de la chanson française. Il en connaissait un paquet, y compris des chansons paillardes, dont je ne savais même pas qu’elles existaient. Bref, c’était tout un personnage, comme on dit. »

« Juscelino Kubitschek lui a fait un pont d’or »

C’était un homme qui aimait raconter les histoires de sa vie ?

« Non, au contraire, il fallait toujours insister. Même s’il avait des défauts comme tout le monde, c’était quelqu’un de très discret et modeste. Disons que ce n’était pas un expansif. »

Quels sont selon vous les passages de sa vie les plus passionnants de sa vie ?

Juscelino Kubitschek en 1956 | Photo: Governo do Brasil/Wikimedia Commons,  public domain
« Je retiendrais tout le chapitre sur ses années passées à Tanger, où il a quand même monté une société avec le fils de Sir Arthur Conan Doyle, le créateur de Sherlock Holmes, où il a fait la connaissance Lex Barker ou Barbara Hutton, la milliardaire américaine dont il a été le confident. Elle l’a invité plusieurs fois chez elle au Mexique et je précise qu’il ne s’est rien passé entre eux parce qu’Oscar lui-même disait que c’est une des rares femmes avec qui il n’a pas couché et que c’était d’ailleurs peut-être précisément cela la raison de leur amitié. »

« Et puis il y a eu aussi bien entendu cette rencontre complètement folle avec Juscelino Kubitschek, président du Brésil, dans un hôtel à Madrid. Sa mère était d’origine tchèque et son père était amérindien. Il était donc un métisse avec un nom tchèque (cf. : https://www.radio.cz/fr/rubrique/histoire/le-bresil-terre-dimmigration-tcheque-au-xixe-siecle). Voilà donc : Tanger parce que c’est une ville qui fait rêver et qui comme Valparaiso incite au voyage et Juscelino Kubitschek parce qu’il a fait un pont d’or à Oscar pour lui permettre de s’installer au Brésil dans de bonnes conditions. »

Oscar Hendrych est un débrouillard qui retombe toujours sur ses pattes. C’est aussi un homme qui a eu de la chance, et son parcours confirme que cette chance se provoque…

« Oui, il n’y a pas de chance innocente. Mais bon, c’est un gars qui avait un sacré culot. C’est d’ailleurs peut-être là le propre des gens qui n’ont rien à perdre et qui n’ont pas été vernis par la vie. Il s’est quand même très vite retrouvé livré à lui-même et il fallait donc oser pour s’en sortir. Il n’a peut-être hésité que lors de sa rencontre avec Antoine de Saint-Exupéry, où il s’est demandé ce qu’il allait bien pouvoir faire avec ce bonhomme. Mais bon, il a quand même discuté avec lui… »

Malgré toutes ses années passées à l’étranger, Oscar (Oskar en tchèque) Hendrych est-il toujours resté tchèque ?

Photo: Éditions JPO
« Oui ! C’était un Tchèque mâtiné de français. Il entretenait par exemple un amour pour la bonne bouffe qui était assez extraordinaire. Il était comme tous les gens qui ont beaucoup voyagé, deviennent des éponges et s’imprègnent des cultures des différents pays dans lesquels ils ont vécu. Mais cela n’enlève rien au fait que c’était un Tchèque dans l’âme. »

Oscar revient en Tchécoslovaquie dès la fin du régime communiste. Le livre laisse alors la place à un homme très déçu…

« C’est vrai, il est resté très amer jusqu’à la fin de sa vie. Il est tombé dans une mauvaise période où – comment dire pour ne pas être trop méchant ? – il y avait beaucoup d’irrégularités juridiques et de corruption dans le pays. Or, ce n’était pas le mode de fonctionnement d’Oscar, qui était un type droit et franc. Il avait horreur de tout ce qui était tordu et il ne pouvait donc pas s’intégrer dans le système des années 1990. Il était revenu pour récupérer l’immense patrimoine qui avait appartenu à ses parents, qui étaient très riches, et qui aurait dû lui revenir [dans le cadre de la restitution des biens par l’Etat]. Or, sauf en Allemagne, il n’a absolument rien récupéré en République tchèque. Il a finalement vécu à Prague grâce à l’hospitalité d’un couple qui l’a hébergé pratiquement jusqu’à sa mort. Malheureusement, comme cela arrive parfois et même s’il n’est pas à plaindre car il a eu une belle vie, la fin n’a pas été très glorieuse. »

« En novembre 1989, on a trop rêvé, mais c’était beau »

D’un point de vue plus personnel, quel souvenir gardez-vous de la Tchécoslovaquie de cette période durant laquelle vous avez rencontré Oscar Hendrych ? Vous vous montrez très critique au début de votre livre.

« Je suis critique, mais j’en garde un merveilleux souvenir ! Imaginez un journaliste français qui débarque dans ce pays à cette époque… Vous savez, je venais assez régulièrement en Tchécoslovaquie depuis 1986 pour couvrir toutes les manifestations qui annonçaient d’ailleurs la chute – certaine à mes yeux, même si je ne savais pas quand – du régime. »

« Je suis critique parce que j’ai du recul et qu’il y a des choses qui n’auraient pas dû se passer. Si ça ne tenait qu’à moi, la révolution, il faudrait la refaire. Notez, il faudrait la refaire en France aussi, mais c’est un autre débat… Mais la révolution en Tchécoslovaquie reste mon plus beau souvenir. Si j’ai décidé ensuite de m’installer ici, c’est parce que j’y ai vécu les plus belles années de ma carrière de journaliste. »

« Toutes les révolutions sont porteuses d’espoir. Et si ce n’était pas le cas, on ne les ferait pas. On fait la révolution parce qu’on n’a rien à perdre et qu’on est persuadé que ce sera mieux après. Je me souviens de la manifestation du 24 novembre 1989 [sur la place Venceslas], où j’étais au premier étage du bâtiment où siégeait la rédaction du journal Svobodné slovo. Il y avait là Václav Havel et Marta Kubišová qui se tenaient par la main sur le balcon (cf. le journal de la Télévision tchécoslovaque du 24.11.1989 à partir de 6’50, ce reportage du 23.11.1989, ou encore la chanteuse Marta Kubišová sur le balcon) et moi, je me trouvais juste derrière eux. On sentait qu’il y avait une espérance complètement folle. C’était du délire et c’en était même trop pour moi. J’ai versé des larmes et je me souviens que le journaliste anglais qui était à côté m’avait confié que voir des gens heureux le faisait pleurer aussi. »

« L’émotion était contagieuse. On avait le sentiment que le pays était devenu invulnérable. C’était impressionnant. On avait l’impression – et ça ne l’a pas forcément été – que tout le monde serait beau et gentil. On a rêvé… Et on a trop rêvé d’ailleurs. Il n’y a pas qu’Oscar qui était déçu. D’autres gens – que je cite dans le livre - m’ont dit qu’on avait laissé faire trop de saloperies. Est-ce le prix à payer pour la démocratie ? Je n’en suis pas sûr, mais c’est facile avec le recul de juger et de dire ce qui aurait dû ou n’aurait pas dû se passer. Je ne me le permettrais pas. Je suis bien ici, donc je reste ! »

Pour plus de renseignements sur le livre : http://www.editions-jpo.com/fr/home/177-oscar-hendrych-9782373010817.html