Le jeu vidéo Mafia, un succès tchèque
Le jeu vidéo Mafia, sorti en 2002, vendu à des millions d’exemplaires à travers le monde, est une vraie « success story ». Le jeu a été développé à l’époque par un petit studio d’informatique, qui s’est depuis agrandi. Il s’agit aujourd’hui aujourd’hui de la société 2KCzech, dirigée par un Français, Stéphane Dupas.
J’étais surprise que le président de cette société soit français. Comment en êtes-vous arrivé à être président de 2KCzech dans ce pays ?
« Ce qui est important de garder en mémoire, c’est que bien qu’aujourd’hui ce soit un Français qui soit président du studio, ce sont bien des Tchèques qui sont à l’origine du design, du graphisme, de l’aspect cinématographique, de l’histoire du jeu. Il se trouve que quand en 2008, le studio a attiré l’attention de la société américaine, je travaillais pour cette société, dans un autre pays, à mener d’autres projets. Quand ils m’ont proposé de rejoindre la République tchèque, de pouvoir participer à Mafia, de pouvoir faire grandir ce studio, on a souhaité, avec quelques-uns de mes collègues, venir tenter l’expérience ici. Ce qu’on essaie de leur apporter, c’est notre expérience de 15 ans du jeu, d’organisation, de méthode, et d’essayer de combiner notre expérience et leur créativité, pour faire de nos projets les jeux les plus intéressants du monde. »Les compétences des développeurs de jeux vidéo français sont connues dans le monde entier. Les Tchèques n’ont pas forcément la même réputation mais ils ont pourtant réussi à avoir cet énorme succès, avec Mafia. Dans le monde du jeu vidéo, savait-on que des jeunes gens travaillaient sur ce projet et leurs compétences étaient-elles connues ?
« Je dois reconnaître que l’équipe avec laquelle j’ai la chance de travailler est un peu une exception en Europe centrale. L’Europe centrale est plutôt connue pour sa sous-traitance dans l’industrie du jeu vidéo. Il y a des ingénieurs de talent, il y a des graphistes de talent, mais en général, il y a très peu d’équipes qui ont eu la chance ou le talent de pouvoir faire leur propre titre. Si on regarde l’industrie du jeu en Europe centrale et en Europe de l’Est globalement, on est vraiment le seul studio qui aujourd’hui est en mesure de faire des produits qui vendent des millions d’exemplaires aux Etats-Unis par exemple. Ce n’est pas quelque chose que l’on peut retrouver en France où on a Ubisoft et une densité de studios assez grande. Ici, c’est beaucoup de sous-traitance. »Qu’est-ce qui a fait le succès du jeu Mafia ?
« Ce qui a fait le succès de Mafia, c’est vraiment une approche fraîche par rapport au marché de quelque chose qui combine des éléments interactifs très ambitieux, puisqu’on a une ville ouverte, énorme, dans laquelle on peut conduire, marcher, interagir avec des piétons, vivre une vie quasiment quotidienne, et en même temps un contenu cinématographique, avec un héros qui a une histoire, à qui il arrive des choses qui sont intéressantes, qui va interagir avec des personnages qui sont hauts en couleurs, qui vont le surprendre, qui vont parfois le trahir. C’est la combinaison de ce que l’interactivité peut amener ce qu’il y a de mieux avec un contenu vraiment distrayant, hollywoodien, qui fait le succès de la franchise, avec une thématique de gangsters qui est, comme on l’imagine, assez propice à de l’action. »Le fait d’avoir été racheté par cette grande société internationale ne risque-t-il pas d’étouffer cette créativité ?
« Oui, il y a le risque d’étouffer cette créativité et on passe énormément de temps à faire en sorte que cela n’arrive pas. Contrairement à d’autres industries qui sont autour de l’informatique ou autres, il y a beaucoup de sociétés qui viennent en République tchèque pour faite de la sous-traitance, pour déléguer une partie de leurs activités pour des raisons salariales, pour des raisons de proximité, de transport etc. Nous ne sommes pas du tout dans cette logique. En tant qu’éditeur, ce qui a intéressé les Américains, c’est le talent des gens aujourd’hui, c’est de leur donner plus de moyens pour s’exprimer encore mieux sur ce qu’ils avaient envie de faire. Le propos, c’est plutôt de grandir le studio, d’aller au-delà de 200 personnes, de leur donner plus de projets et plus de possibilités de s’exprimer. Le risque est là, mais l’intention est vraiment à l’opposé. »Ce talent des jeunes développeurs, graphistes etc. est-il encouragé en République tchèque ? Y a-t-il des bonnes écoles pour le secteur informatique ?
« En République tchèque, il y a une culture graphique qui est assez intéressante. On trouve par exemple des écoles qui forment les gens aux métiers de l’animation. Encore une fois, c’est parce qu’il y a beaucoup de sous-traitance, mais aussi il y a une tradition, je pense, dans cette partie de l’Europe, de faire des films visuels, des contes de fées etc. Donc au niveau visuel, on trouve énormément de gens qui ont énormément de talents, et qui sont au même niveau que n’importe qui d’autre dans le monde. Au niveau informatique, c’est un peu plus difficile. On n’a pas, si on compare au système français, des écoles d’ingénieurs informatiques où on peut identifier une formation à ces compétences. Ici, c’est l’université et il n’est pas toujours évident d’identifier les gens. On trouve beaucoup de gens qui ont du potentiel, mais il est vrai que notre travail de recrutement est beaucoup plus précis, beaucoup plus long. Les tests et l’identification des gens sont plus compliqués que ce qu’on a pu connaître dans d’autres pays. »Aujourd’hui, vous êtes aussi une vraie équipe internationale…
« Aujourd’hui, nous sommes bien une équipe internationale. Sur les deux cents personnes, on a plus de 80% de gens qui sont tchèques, avec des gens qui sont avec nous depuis longtemps et beaucoup de turn-over. On embauche deux personnes par mois donc on essaie de donner leur chance aux jeunes Tchèques. Les 20% représentent une dizaine de nationalités, qui viennent aussi bien du côté est de l’Europe que de l’Ouest. On est environ une quinzaine de Français dans le studio. »
Comment cela se passe-t-il pour organiser, manager, une équipe multinationale ?
« La difficulté, en République tchèque, c’est vraiment la barrière de la langue. Pour nous, d’apprendre le tchèque, comme pour eux d’apprendre le français, c’est quelque chose qui serait vraiment très délicat. Là où on a beaucoup de soucis, c’est que comme ils sont à l’origine des jeux, on a beaucoup de débats sur la direction artistique, sur le design, sur l’histoire, sur les orientations créatives que l’on doit avoir. Il est vrai qu’arriver à échanger de manière constructive, à bien se comprendre, être bien certain de ce que l’on fait, c’est difficile. Mais l’aspect international, ça aide. Je pense que les Tchèques ont d’excellentes intuitions mais ils n’ont pas forcément une connaissance des goûts et des envies des gens de l’Ouest – sans que ce soit péjoratif – soit de la France, de l’Allemagne, de l’Angleterre, des Etats-Unis, là où le marché du jeu vidéo est, où sont nos consommateurs. Donc l’apport des gens qui viennent de ces pays, qui peuvent leur expliquer que les jeux doivent êtres faciles et beaux, cela crée une dynamique qui est plutôt positive. »La République tchèque est sans doute un minuscule marché de jeux vidéo dans le monde mais est-il en développement ? Quelles sont ses caractéristiques ?
« Le marché tchèque est vraiment un tout petit marché, c’est certain. Ses caractéristiques principales, c’est d’être beaucoup un marché PC et pas tellement un marché console, parce qu’aujourd’hui, il y a quand même un ticket d’entrée pour les consoles qui est assez élevé. Vous prenez une console, plus l’abonnement en ligne, plus un jeu, ça peut monter rapidement jusqu’à 500 euros. C’est, je pense, quelque chose qui n’est pas adapté au pouvoir d’achat moyen en République tchèque. Par contre, un PC, c’est quelque chose qu’on a pour Internet, on trouve des jeux qui sont à des prix très raisonnables. Donc le marché tchèque, la culture jeux tchèque, elle est sur PC, par forcément sur les dernières sorties, mais sur des très bons jeux d’il y a six mois, un an, qui sont vendus à des prix très raisonnables. »Maffia I a commencé à être créé il y a plus d’une dizaine d’années. Fabriquer un jeu vidéo est toujours un long processus. Vous venez de sortir le deuxième épisode de Mafia. En attendez-vous le même succès, et comment se présentent les ventes après quelques semaines de sortie du jeu ?
« Depuis que Maffia II est sorti il y a quelque temps, on a une bonne idée du succès. Je suis content d’annoncer que le succès de Maffia II est vraiment dans la lignée de Mafia I. On a réussi à faire cette transition qui n’était pas facile. Il y a dix ans, sur PC, le marché avait certaines attentes, en terme de difficultés, de contenu, de type de jeux. Pour nous, ce qui était important, c’était de rester fidèle au premier, tout en apportant un design et une conception qui soit adapté aux attentes des gens aujourd’hui. Et si je regarde les chiffres de vente, j’ai l’impression que les gens ont trouvé ce qu’ils cherchaient dans le jeu. On est vraiment dans cette ligne, et que ce soit l’équipe de développement, elle est fière de son travail. Personnellement, en tant que président de la société, j’en suis aussi content, et je pense que mes actionnaires américains ont aussi l’impression que quand ils ont décidé il y a quelques années d’investir en République tchèque, c’était vraiment une bonne idée. Et aujourd’hui, on a envie de continuer sur cette dynamique. »