La musique tchèque du XVIIIe siècle ne nous a pas encore livré tous ses trésors et tous ses mystères. Cette période richissime de l’histoire de la musique tchèque permet aux musiciens et musicologues encore de nos jours de faire de temps en temps une belle découverte. L’œuvre du compositeur František Jiránek en est une. Le disque que lui a consacré l’ensemble Collegium Marianum de Prague révèle le talent exquis de ce compositeur accompli. Pendant longtemps les encyclopédies musicales ne mentionnaient même pas l’existence de cet artiste ou le confondaient avec d’autres compositeurs et il a dû attendre jusqu’au début du XXIe siècle pour émerger de l’oubli. On en vient à se demander combien de richesses se cachent encore sous la poussière des archives et combien d’excellentes compositions du passé sont perdues à jamais.
Le comte Wenzel Morzin
C’est grâce au comte Wenzel Morzin, né 1675 et mort en 1737, que František Jiránek a pu se consacrer à la musique. Né le 24 juillet 1698 dans le village de Lomnice qui fait partie du domaine du comte Morzin, František entre au service de ce grand seigneur, devient son domestique, son page, son garde de la porte et finalement son musicien. Le comte qui séjourne souvent dans son palais du quartier de Malá Strana à Prague est un grand amateur de la musique et il possède un excellent orchestre. Il envoie le jeune musicien talentueux à Venise et confie son instruction musicale très probablement à Antonio Vivaldi avec lequel il entretient de riches contacts et qui travaille pour lui. L’influence de Antonio Vivaldi, une des plus grandes figures de la musique baroque, se fera sentir dans l’ensemble de l’œuvre de František Jiránek mais il y ajoutera aussi son propre talent, sa propre musicalité et des éléments du nouveau style qui se fraie un chemin en Europe.
František Jiránek séjournera en Italie de 1724 à 1726. En septembre 1726 nous le retrouvons déjà à Prague où il joue dans l’orchestre du comte Morzin considéré à l’époque comme une des meilleures formations musicale des pays de la couronne tchèque et apprécié aussi par Vivaldi qui le qualifie de « virtuosissima orchestra ». C’est dans ce milieu plein de musique et d’inspiration que mûrit le talent du jeune musicien. Il y restera pendant onze ans. Il se marie, a des enfants et vit avec sa famille dans le quartier de Malá Strana à Prague. C’est probablement après la mort des deux compositeurs attitrés de l’orchestre qu’il se met à composer le nouveau répertoire pour cette formation. Il ne crée que des œuvres instrumentales et s’impose notamment dans le concerto de soliste, une forme musicale qui convient parfaitement à son talent et lui permet aussi de mettre en valeur l’art d’excellents instrumentistes de son temps. C’est probablement pour Antonin Möser, bassoniste dans l’orchestre du comte Morzin, qu’il crée au moins un des deux concertos pour basson qui se conserveront dans l’ancienne bibliothèque de la cour de Darmstadt en Allemagne.
Heinrich von Brühl
La première étape de la carrière musicale de František Jiránek s’achève avec la mort de son seigneur et mécène Wenzel Morzin et la dissolution de son orchestre. Comme beaucoup d’autres musiciens tchèques de l’époque il s’en va chercher de nouvelles possibilités à l’étranger. Il trouvera un nouvel engagement à Dresde dans l’orchestre du comte Heinrich von Brühl, Premier ministre de l’Union de Saxe-Pologne. Il est un des violonistes les plus appréciés et donc les mieux payés de cette formation et c’est à Dresde qu’il crée aussi son Concerto pour violon en ré mineur, œuvre dans laquelle il exploite richement ses connaissances de l’instrument et qu’il compose probablement pour son propre usage.
František Jiránek restera fidèle au comte Heinrich von Brühl jusqu’à la mort de celui-ci. Il part à la retraite en 1763, vivra à Dresde jusqu’en 1778 et s’éteindra à l’âge vénérable de 80 ans. Selon le musicologue Václav Kapsa, bien qu’il soit fort probable que la majorité de ses compositions n’aient été créées qu’après son départ de Bohême, sa carrière de musicien au service du comte Morzin a eu une influence essentielle sur leur forme. L’œuvre de František Jiránek revêt donc une importance considérable pour notre regard sur l’histoire de la musique dans les pays tchèques et à Prague au XVIIIe siècle.