Le Musée national s’engage pour la sauvegarde du patrimoine syrien
La Syrie est confrontée depuis 2011 à une guerre terrible. La République tchèque, qui rechigne à accueillir les réfugiés qui fuient le conflit, privilégie l’apport d’une aide humanitaire directement au Proche Orient. Et c’est dans le cadre de cette aide que le gouvernement tchèque, via le Musée national, s’est aussi engagé à contribuer à la sauvegarde du patrimoine culturel syrien, un patrimoine d’une richesse incomparable aujourd’hui menacé.
La Syrie face à la guerre
« Depuis qu’ils sont entrés le 21 mai 2015 dans Palmyre, les djihadistes ont pulvérisé temples et tours funéraires. Exemple : le temple de Bêl, en pierres taillées de calcaire doré, l’un des plus beaux sanctuaires de l’Orient romain. » Les médias du monde entier, et ici la chaîne de télé France 2, rapportent régulièrement les destructions d’un patrimoine culturel et historique inestimable auxquelles se livre l’organisation de l’Etat islamique en Syrie et en Irak. La ville de Palmyre en est l’illustration la plus médiatisée mais constitue un exemple parmi bien d’autres à l’échelle de la région.Evidemment, la priorité est de venir en aide aux hommes et aux femmes qui souffrent de la guerre civile qui ravage la Syrie depuis déjà cinq ans. C’est dans cette optique que le gouvernement tchèque a validé cet été un programme d’assistance humanitaire et de développement pour ce pays du Levant. L’effort est principalement porté sur l’aide médicale d’urgence. Mais un volet de ce programme porte aussi sur la sauvegarde du patrimoine culturel du pays, et notamment des monuments inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Cette tâche a été dévolue au Musée national, l’institution muséale la plus importante de République tchèque. Voilà qui explique que son directeur, Michal Lukeš, a accompagné au mois d’octobre dernier une délégation du ministère des Affaires étrangères en Syrie. Quand on lui demande ce qu’il a vu là-bas, il souligne d’abord qu’il n’est pas vraiment un fin connaisseur d’une région où il n’est resté que quelques jours. Quelque chose l’a de tout de même marqué :« C’est quelque chose que je ne pouvais pas m’imaginer mais la guerre est présente partout. Evidemment il y a des combats le long de la ligne de front mais même à Damas il y a toujours des combats dans les faubourgs de la ville. Damas est toujours la cible de grenades ou de tirs de roquettes. Ce qui m’a le plus étonné, c’est le fait que la vie suit son cours à Damas, les gens ont appris à vivre avec la guerre alors que ces personnes, qui n’ont nulle part où s’enfuir, sont les premières victimes du conflit armé. »
Restaurer et conserver le patrimoine syrien
Michal Lukeš a pu se rendre dans les environs de la ville d’Homs et sur la côte, à Tartous. Mais c’est dans la capitale, Damas, qu’il a passé le plus clair de son temps. Il y a rencontré Maamoun Abdulkarim, le directeur des Antiquités et des Musées de Syrie. L’objectif était de dessiner les contours plus précis de l’aide que le Musée national sera en mesure d’apporter. Michal Lukeš :« Au moment où j’étais sur place, la situation sécuritaire ne nous permettait pas d’aller sur le terrain. Mais nous nous sommes tout de même mis d’accord sur certains points fondamentaux au sujet de l’aide que nous pouvons apporter. En premier lieu, nous aimerions dans le cadre du programme fournir une aide matérielle parce que nos collègues syriens manquent de matériel, manque des produits qui permettent de restaurer et de conserver les objets. L’avantage, c’est que des avions de transport militaire tchèques participent à ce programme. Cela veut dire que grâce à eux nous pouvons acheminer des biens directement à Damas. »
D’après Maamoun Abdulkarim, plus de 90% des objets des musées syriens ont jusqu’à présent été rapatriés à Damas, où ils sont en relative sécurité. Il s’agit désormais d’assurer leur conservation et leur restauration dans les cas où ils ont été endommagés. Tels seront également les objectifs du Musée national, comme l’explique Michal Lukeš :« Ensuite, dans un second temps, il s’agira de restaurer ici en République tchèque un certain nombre d’artefacts que nous pourrons faire parvenir en sécurité depuis Damas. Enfin, l’aide consisterait à entraîner et à former des spécialistes syriens, notamment aux technologies modernes de restauration et d’analyse des objets ou bien à la modélisation 3D et la numérisation de ce patrimoine. »
L’expérience tchèque
Si le Musée national a décidé de s’investir dans la sauvegarde du patrimoine syrien, c’est qu’il dispose déjà d’une solide expérience en la matière. Il a par exemple supervisé une campagne de fouilles au Soudan. Un certain nombre des artefacts mis au jour ont été rapatriés en Tchéquie où ils ont fait l’objet d’une restauration et d’une classification. L’institution tchèque projette également de travailler sur le site de la cité antique de Siga, une ancienne capitale numide, au nord-ouest de l’Algérie, avec des fouilles et un travail de numérisation avec des spécialistes algériens. Cette mission s’effectuerait en coopération avec des Français, avec lesquels le Musée national a déjà collaboré. Michal Lukeš :« Dernièrement, nous avons été actifs Afghanistan où les archéologues français ont mené une grande opération de sauvegarde sur le site de Mes Aynak dans la province du Lôgar. Des archéologues ont participé à cette action et nous avons ensuite, en coopération avec la DAFA, l’expédition archéologique française, préparé une exposition sur le patrimoine bouddhiste sauvegardé. Dans ce cadre, quelque 150 objets ont été ramenés en Tchéquie et pour l’exposition, nous les avons conservés et restaurés. »
Pour la Syrie, des démarches similaires à celle du Musée national existent en Pologne ou en Hongrie mais il n’y a pas pour l’heure de coopération entre ces pays. La partie tchèque attend la venue d’une délégation syrienne au début de l’année prochaine pour porter le projet plus en avant.
De son côté, le monde académique tchèque a également entrepris certaines initiatives de sauvegarde. Radio Prague évoquait par exemple au printemps dernier le projet « Monuments de Mossoul en danger », qui vise à la préservation du patrimoine architectural de Mossoul, la principale cité du nord de l’Irak, toujours aux mains des djihadistes. Un des chercheurs en charge de ce dossier, Karel Nováček, historien de l’architecture à l’Université Palacký à Olomouc, détaillait à l’époque :« Il y a deux objectifs de base. D’une part, nous voulons créer la liste la plus détaillée possible du patrimoine architectural détruit de la ville de Mossoul et rassembler des informations sur tous ces édifices afin qu’il soit possible d’en évaluer la valeur pour les spécialistes, même rétroactivement. Beaucoup de ces bâtiments n’ont en effet pas fait l’objet de recherches mêmes basiques d’un point de vue de l’histoire des constructions ou d’un point de vue archéologique. Le deuxième objectif est de fournir une aide pour une éventuelle tentative de sauvegarde de ces monuments détruits ou pour leur reconstruction. »
L’intérêt porté à la sauvegarde d’un patrimoine menacé, aussi unique soit-il et inestimable pour l’histoire de l’humanité, fait parfois l’objet de critiques de la part de certains qui trouvent indécent de s’intéresser à de « la vieille pierre » quand des Syriens meurent sous les bombes tous les jours. C’est pour cela que Michal Lukeš rappelle que le programme porté par son institution n’est qu’un volet secondaire de l’aide que la Tchéquie est prête à fournir :« La République tchèque ne s’intéresse pas uniquement au patrimoine. Evidemment la priorité, c’est l’aide humanitaire, avec la fourniture de biens de santé, de biens de première nécessité comme des produits alimentaires tels que du lait en poudre. A côté de cela, il y a ces monuments qui ne sont pas seulement très symboliques mais qui appartiennent en même temps au patrimoine mondial de l’humanité. Donc c’est quelque chose qui correspond à un supplément à l’aide humanitaire. Incontestablement, ce n’est pas comme si nous sauvegardions le patrimoine et que nous ne pensions pas à ces gens qui évidemment souffrent le plus de ce conflit. »