Le palais Schwarzenberg, haut lieu de la Renaissance tchèque
Monument incontournable de Prague, le palais Schwarzenberg fait face au château des rois tchèques. Le style de cette grande demeure a fait école et se reflète dans d’autres palais et châteaux de la Renaissance tchèque. Sa silhouette robuste se dresse au-dessus de la ville et ajoute un contraste pittoresque aux tours gothiques de la cathédrale Saint-Guy et aux façades baroques du château. La Galerie nationale de Prague vient de publier une monographie de ce monument qui abrite ses collections. Le livre illustré de nombreuses photos s’intitule Schwarzenberský a Salmovský palác (Les palais Schwarzenberg et Salm).
Au-dessus de la ville
Vu de la ville, le palais Schwarzenberg surprend par sa forme élancée et la monumentalité de ses fondements qui rappellent un peu le palais du dalaï-lama à Lhassa. Du côté de la place du château, sa façade ornée de sgraffites, de corniches et de tourelles illustre les changements que l’architecture de la Renaissance importée d’Italie a subis sur le sol tchèque. Il voisine avec le palais Salm construit au début du XIXe siècle par Guillaume-Florentin de Salm-Salm, archevêque de Prague et évêque de Tournai. Les deux édifices ont une histoire commune parce qu’ils ont longtemps appartenu à la famille Schwarzenberg et font aujourd’hui partie de la Galerie nationale. Pendant quelque temps, on les a même appelés le Grand et le Petit palais Schwarzenberg. La monographie publiée récemment par la Galerie nationale est consacrée aux deux palais. Marius Winzeler, directeur de la collection d’art ancien de la Galerie nationale et coauteur de la monographie, constate :« Les palais Schwarzenberg et Salm sont des édifices iconiques dans le panorama de Prague. Ils occupent une place importante dans l’histoire de l’architecture de la capitale. La nouvelle exposition au palais Schwarzenberg mettra d’avantage l’accent sur l’espace, et c’est pour cette raison que nous avons voulu analyser l’importance actuelle de ce palais dans l’architecture de la ville. »
Le style novateur
Le palais n’a pas été bâti par les Schwarzenberg mais par un descendant illustre d’une autre famille noble de Bohême. Marius Winzeler précise :« Le palais Schwarzenberg a été construit au XVIe siècle et c’était un édifice d’une rare monumentalité. Il a été bâti par Jan IV Popel de Lobkovice, membre d’une des plus importantes familles aristocratiques tchèques du XVIe siècle, homme qui a été nommé, à la fin de sa vie, margrave suprême du royaume de Bohême. Il a fait des voyages en Italie et eu la possibilité de voir les édifices les plus modernes bâtis en Italie à cette époque. Il possédait également le château de Horšovský Týn construit dans le même style que le palais de Prague. Les deux édifices ont été construits par le même architecte qui s’appelait Agostino Galli et a défini avec ses collaborateurs le style et le décor de ce genre d’architecture. »
Les scènes de la mythologie antique
La façade de ce palais d’un style novateur pour l’époque a été ornée de sgraffites, tandis que sur les murs et les plafonds des salles les peintres de la Renaissance ont fait revivre les dieux, déesses et héros de la mythologie antique. Ces peintres anonymes ont souvent cherché de l’inspiration dans les œuvres du célèbre graveur Virgil Solis qui était, lui, inspiré par les Métamorphoses d’Ovide. La monographie reproduit ces nombreuses peintures qui représentent, entre autres, la chute de Phaéton, les Héliades en pleurs transformées en arbres, l’Orphée jouant aux animaux, le jugement de Pâris, l’enlèvement d’Hélène et la guerre de Troie. Les auteurs de la monographie constatent que les grandes richesses picturales du palais restent méconnues et ne sont pas appréciées à leur juste valeur. Marius Winzeler répertorie les familles nobles entrées successivement en possession du palais et qui ont vécu dans ce décor mythologique :« Le palais Schwarzenberg n’a été la résidence des Lobkovic que pendant une période très courte. Dèsla fin du XVIe siècle, le palais a été confisqué puis d’autres familles nobles importantes, parmi lesquelles les Švamberk et les Rožmberk, sont entrées en sa possession au XVIIe siècle. En 1639, il a été acquis par Hans Ulrich d’Eggenberg. Selon l’ancien ministre des Affaires étrangères Karel Schwarzenberg, qui est l’un des derniers descendants de la famille, le palais Schwarzenberg ne peut pas servir de lieu d’habitation car il est inchauffable. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il a presque toujours été utilisé d’une autre façon. »
Une restauration précautionneuse
La famille d’Eggenberg s’éteint au début du XVIIIe siècle et le palais est acquis en 1719 par les Schwarzenberg. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, il abrite des bureaux d’administration, avant de rester pratiquement inoccupé au XIXe siècle puis d’être transformé en musée au début du XXe siècle par les Schwarzenberg. C’est quand même un vieil édifice Renaissance qui n’est pas confortable et les propriétaires sont très contents de pouvoir acquérir aussi le bâtiment voisin, le palais Salm, dont les salles sont moins grandes et plus agréables pour la vie quotidienne. Selon Marius Winzeler, le palais était donc considéré par les Schwarzenberg davantage comme un monument historique inadapté pour un usage pratique :« Dès la restauration du palais au XVIIIe siècle, les Schwarzenberg ont conservé le style Renaissance de la façade. C’était une restauration très précautionneuse qui peut être considérée comme un exemple avant-coureur de la protection du patrimoine. Au XIXe siècle, l’architecte Josef Schulz a rénové les sgraffites de la façade. Certains éléments et certains détails du palais étaient typiques aussi pour le style national de l’architecture tchèque. Le palais n’a pas joué un rôle important que dans le contexte de la Renaissance, mais aussi beaucoup plus tard dans la période des styles historisant du XIXe siècle. »
Musée militaire, musée technique, musée d’art
Au XXe siècle, le palais Schwarzenberg abrite d’abord un musée technique, puis les nazis y installent leur musée militaire. L’idée du musée militaire est reprise aussi par les autorités communistes après la Deuxième Guerre mondiale et les collections militaires, des armes et des canons, occuperont les salles du palais jusqu’en 2001. Comme cet édifice élancé offre une vue unique sur l’ensemble du quartier de Malá Strana, la STB, la police secrète du régime communiste, y installe au deuxième étage et dans les combles son centre d’observation. Cela permet aux agents de la STB de suivre de près entre autres l’ambassade de Suisse se trouvant au palais Salm. C’est ainsi donc qu’il a fallu attendre le XXIe siècle pour que le palais trouve enfin une mission vraiment digne de son architecture. Marius Winzeler fait partie de l’équipe qui prépare pour ses salles une nouvelle exposition permanente d’art ancien :« En collaboration avec le studio P - Josef Pleskot, nous présenterons une nouvelle exposition qui sera inaugurée en septembre prochain. Elle sera intitulée Les maîtres anciens, et dans son cadre le public verra les meilleurs tableaux et statues de la collection d’art ancien de la Galerie nationale, des œuvres de Cranach, de Dürer, de Rubens, etc., mais aussi des œuvres tchèques dans le contexte de l’art européen. »La monumentalité de sa conception architecturale et son inadaptation à l’usage pratique ont donc sauvé le caractère unique et la pureté du style Renaissance du palais Schwarzenberg. Considéré comme « invivable », il échappe aux restaurations et rénovations dans les styles postérieurs, et au XVIIIe siècle les Schwarzenberg n’osent plus le « moderniser ». Aujourd’hui, il est comme un chaînon précieux dans l’éventail des styles du panorama du Château de Prague, éventail qui couvre l’art roman de la basilique Saint-Georges, le gothique de la cathédrale Saint-Guy, la Renaissance du palais Schwarzenberg, le baroque du château royal et du palais archiépiscopal et le classicisme du palais Salm. C’est là comme un résumé de la grande aventure de l’évolution architecturale de Prague.