Le photographe Jaroslav Rössler : de l’avant-garde au poétisme

Photo: Site officiel du Salon Topič

Pendant les deux mois écoulés, les visiteurs au Salon Topič ont pu découvrir l’œuvre du photographe tchèque Jaroslav Rössler (1902-1990). L’exposition qui vient de s’achever présentait non seulement ses photographies, mais aussi de nombreuses peintures que Jaroslav Rössler a réalisées entre les années 1920 et 1970. Radio Prague s’est entretenu avec Magdaléna Havránková, l’arrière-petite-fille de l’artiste pour évoquer ses sources d’inspiration et les étapes marquantes de sa carrière artistique.

L'autoportrait de Jaroslav Rössler,  1924
Jaroslav Rössler est né en 1902 dans le village de Smilov dans la région de Vysočina. Après de brèves études au lycée, il a décidé d’aller à Prague et de s’orienter vers la photographie. Magdaléna Havránková précise :

« Ici il a fait son apprentissage pour devenir photographe sous la direction de František Drtikol. Dans cet atelier il a aussi rencontré sa future femme Gertruda Fischerová qui représentait un soutien important pour sa création artistique. »

Jaroslav Rössler, qui a vécu à Paris pendant neuf ans, est connu pour son affection pour la France. Son arrière-petite-fille évoque ses deux séjours dont le premier, en 1925, a duré quelques mois seulement :

« La première fois, Jaroslav Rössler est parti en France avec sa future femme. Quand elle a découvert qu’elle était enceinte, ils sont retournés à Prague pour se marier. Deux ans plus tard, en 1927, ils sont de nouveau partis, cette fois avec leur petite fille à Paris où ils sont restés jusqu’en 1935. »

Le long séjour parisien de Jaroslav Rössler dans les années 1920 et 1930 est l’une de ses sources d’inspiration les plus marquantes. Néanmoins, cette étape de vie s’est achevée par un événement traumatisant pour l’artiste :

« A Paris, il travaillait dans l’atelier de Lucien Lorelle où il faisait surtout de la photographie publicitaire. Mais en 1935, avec l’évolution du contexte politique, il a photographié une manifestation politique. Il a été arrêté par la police et expulsé hors de France. Pendant trois mois sa famille n’a eu aucune information à son sujet. Ils l’ont finalement trouvé trois mois plus tard dans un hôpital à Strasbourg et il ne se souvenait pas de ce qui s’était passé. »

Photo: Site officiel du Salon Topič
A l’époque, il fallait séjourner en France pendant dix ans pour obtenir la citoyenneté française. Au bout de neuf ans, une procédure d’expulsion a donc marqué la fin du rêve de Jaroslav Rössler. Magdaléna Havránková poursuit :

« Pour lui c’était très difficile parce qu’il voulait rester à Paris. Cette expérience l’a beaucoup marqué. Il a même abandonné son activité d’artiste. Il est devenu beaucoup plus refermé sur soi-même et ne communiquait pas beaucoup. Cela a duré jusqu’aux années 1950. »

Jaroslav Rössler a donc consacré le reste de sa vie professionnelle à son atelier de photographie :

« Suite à son retour en République tchécoslovaque à l’époque, il a ouvert un atelier dans le quartier de Žižkov à Prague où il travaillait avec sa femme et où il a même donné un apprentissage photographique à sa fille Sylva. Cet atelier a fonctionné jusqu’en 1964 quand il a pris sa retraite. »

Après de longues années à réaliser seulement des portraits et des commandes pour ses clients, Jaroslav Rössler est petit à petit dans les années 1960 revenu vers ses premières amours en matière de création artistique. La France est restée présente dans son œuvre. Magdaléna Havránková évoque les sources d’inspiration de Jaroslav Rössler :

« L’étape du parcours professionnel qui a le plus influencé Jaroslav Rössler, cela a été son apprentissage et sa coopération avec František Drtikol. En deuxième lieu, c’est aussi son séjour à Paris qui l’a marqué car il trouvait Paris très inspirante et il y a rencontré beaucoup de personnes intéressantes. Paris, à l’époque de l’entre-deux-guerres, était un lieu de rencontres entre les cultures et un lieu de découvertes dans le domaine artistique. »

Photo: Site officiel du Salon Topič
Le style de Jaroslav Rössler s’est formé notamment à travers son engagement au sein du groupe d’avant-garde pragois « Devětsil ». Magdaléna Havránková poursuit :

« Pendant les années 1920 avant le départ à Paris, Jaroslav Rössler a été invité dans un groupe artistique qui s’appelle Devětsil où il était le seul photographe professionnel. Grâce à ce groupe, il a pu rencontrer des artistes comme Karel Teige, Jindřích Štýrský, Toyen ou Voskovec. Ce sont tous des artistes qui appartenaient au courant du poétisme. Et cela a influencé beaucoup son œuvre future. Dans le cadre de ce groupe, Jaroslav Rössler était responsable du magazine ReD qui était la revue de Devětsil. De l’environnement international on peut dire qu’il était influencé par des photographes comme László Moholy-Nagy, Man Ray, El Lissitzky ou Paul Strand. »

L’exposition qui a eu lieu au salon Topič a montré le meilleur des photographies et des peintures de Jaroslav Rössler et certaines pièces n’étaient pas encore connues au public. Comme le souligne Magdaléna Hravránková, les visiteurs ont pu découvrir la variété des techniques expérimentées par Jaroslav Rössler.

« Il y a une partie de son œuvre qui date des années 1960 qui était restée peu connue jusqu’à maintenant. C’est en effet pendant les années 1960 que Jaroslav Rössler est retourné à la création artistique après une longue pause engendrée par son expulsion de Paris en 1935. L’exposition permet de voir plusieurs techniques photographiques qui ont dominé l’œuvre de Jaroslav Rössler durant les années 1960. Du fait de son côté expérimentateur passionné et exigeant, il s’est consacré à la découverte de nouveaux effets et de nouvelles techniques. Il s’agit de l’effet Sabatier, de l’usage du double négatif ou bien du positif à la place du négatif, de combinaisons de collages des négatifs, de photogrammes et d’autres. Dans la photographie en couleur, il expérimentait avec le système carbro (l'impression avec des pigments de charbon, ndlr). Il travaillait aussi avec des feuilles de couleur. »

Dans l’œuvre de Jaroslav Rössler, on retrouve des éléments du style avant-garde, marqué par l’usage des pigments et de l’impression à l’huile. Il a également touché au poétisme ainsi qu’au cubisme. Néanmoins, il n’a acquis sa renommée internationale que dans les années 1980 comme l’évoque Magdaléna Havránková :

« C’est seulement dans les années 1980 que le monde a commencé à découvrir son œuvre, d’abord en Allemagne et puis aux Etats-Unis, car jusqu’alors, il n’était que peu connu et cela était à mettre en relation avec son naturel et son caractère. Actuellement, ses œuvres se trouvent dans plusieurs galeries dans le monde entier. En France, elles sont au Centre Georges Pompidou ou à la Bibliothèque nationale, aux Etats-Unis, dans le musée Paul Getty à Los Angeles et dans un autre musée à New York, à Chicago ou encore à Houston. En République tchèque, il y a une exposition permanente au Musée des Arts et des Métiers à Prague, à la Galerie nationale à Prague ou à la Galerie morave à Brno. L’œuvre de Jaroslav Rössler a également été représentée dans plusieurs monographies ainsi que dans trois portfolios qui ont été créés. »

La rétrospective qui vient de s’achever au salon Topič s’inscrit dans la continuité des expositions qui se sont tenues en 2001 au Musée des Arts et des Métiers à Prague, puis en 2012 et 2013 à Prague et à Brno. Compte tenu de la popularité de Jaroslav Rössler, le public aura sans doute bientôt une nouvelle possibilité de se familiariser avec l’intégralité de l’œuvre de cet artiste.