Le regard scrutateur de Vera Chytilova
Liberté de ton, originalité, insolence - tels sont les traits caractéristiques des films réalisés par Vera Chytilova. La réalisatrice qui est entrée dans les studios de cinéma déjà dans les années soixante avec d'autres cinéastes vedettes de la nouvelle vague tchèque, Forman, Menzel, Schorm, Passer, n'entend toujours pas abandonner la caméra et continue à travailler. Comme une monographie de Vera Chytilova n'a pas encore été écrite, la maison d'édition Camera obscura a réédité un recueil de textes sur elle publié pour la première fois en samizdat déjà en 1989 à l'occasion du 60e anniversaire de la cinéaste.
Aujourd'hui le recueil intitulé "Vera Chytilova parmi nous" paraît donc de nouveau et cette fois-ci il est disponible gratuitement sur le web à l'adresse cameraobscura.wz.cz/chytilova. On peut le lire, on peut l'imprimer et on peut même le faire relier si l'on tient à le lire comme un livre classique. On y trouve trois catégories de textes. Dans la première il y a deux études monographiques de Galina Kopaneva et de Jean Louis Manceau, dans la deuxième un certain nombre de compte-rendu de films et de critiques, et finalement, dans la troisième, on a rassemblé des textes que des cinéastes, critiques, artistes et amis avaient consacré à la personnalité de Vera Chytilova. On a réuni dans le livre aussi une documentation sur son oeuvre, sa filmographie, la liste de textes choisis qu'on a écrits sur elle, la liste des prix et des distinctions obtenues par la réalisatrice dans son pays et à l'étranger et aussi la liste des films qui lui avaient été consacrés par d'autres cinéastes.
Parmi les auteurs des textes on trouve des critiques bien connus des cinéphiles dont Jiri Cieslar, Jan Bernard, Stanislava Pradna, Tereza Brdeckova mais aussi par exemple Vaclav Havel. Certains films sont analysés par plusieurs auteurs et le lecteur peut se faire une opinion en confrontant des points de vue différents.
Il y trois grandes étapes dans la carrière de Vera Chytilova qui n'a pas échappé aux vicissitudes de l'histoire: son entrée fracassante dans le monde du cinéma dans les années soixante, ses démêlés avec le régime totalitaire après l'invasion soviétique en Tchécoslovaquie en 1968 et finalement sa création de la période après la chute du communisme en 1989, période qui continue encore. C'est grâce à une situation très spéciale dans le cinéma tchèque dans les années soixante que Vera Chytilova a tourné quelques uns de ses meilleurs films:
"On tournait le plus aisément lorsque le film était considéré comme le plus important de tous les arts. (Rires.) C'est ce qu'on disait sous le régime totalitaire. Avant 1968, lors de nos débuts, nous étions soutenus par une section dirigé par Ladislav Fikar. Les chefs des équipes de création dans les studios de Barrandov à Prague, en ce temps-là, étaient des écrivains proscrits qui se sont réfugiés dans la section de programme des studios de cinéma. Ils se montraient donc favorables aux jeunes cinéastes de la nouvelle vague tchèque. Ils donnaient la chance aux nouveaux venus, aux jeunes adeptes sortis de la faculté du cinéma. On nous ouvrait les portes. Chacun avait au moins la possibilité de tourner un premier film et puis il fallait se rendre à l'évidence. Il y avait des cinéastes qui se dépensaient complètement dans leur premier film et après ils n'avaient plus rien à dire. Cela arrivait."Lorsque les chars soviétiques écrasent le Printemps de Prague Vera Chytilova est déjà célèbre. Elle a sur son compte les films "Les petites marguerites" et "L'expulsion du paradis" qui sont des succès internationaux. Elle veut continuer son travail mais la situation a changé.
Vera Chytilova:
"Après l'invasion soviétique en 1968 c'était la période de la censure. On m'exhortait à l'émigration ce que j'ai refusé parce que je me rendais compte en voyant ce qui arrivait à Milos Forman qu'à l'étranger je ne pourrais pas faire des films d'auteur et ne comprendrais pas la réalité dans laquelle il me faudrait vivre. Je voulais comprendre et parler aux spectateurs des problèmes de l'actualité."Dans les premières années de la triste période dite de "la normalisation" les autorités communistes interdisent à Vera Chytilova de travailler. Elle ne se rend pas et grâce à son énergie, finit par revenir aux studios et réaliser plusieurs films excellents dont "Le jeu de la pomme" et "L'après-midi bien tardif d'un faune".
V.Ch.: "Après 1989, nous avons eu un grand espoir. C'était l'avènement des choses pour lesquelles nous avions combattu, la liberté. Mais nous ne savions pas que cette liberté apporterait aussi un désintérêt des autorités pour la culture, la disparition du milieu éthique. La situation a changé. Le régime totalitaire menaçait les existences, tandis que maintenant ce sont les esprits qui sont en danger. "
Habituée aux obstacles, Vera Chytilova ne se laisse pas décourager par les dangers et les pièges que notre époque tend aux cinéastes.
V.Ch.:"Je travaille toujours parce que je m'intéresse à ce qui se passe et me demande pourquoi cela se passe. C'est une question qui reste toujours la même, dans le passé et dans le présent, parce qu'en fin de compte les gens sont toujours les mêmes. Je suis déjà un témoin, un survivant parce qu'il y a des générations qui ne se doutent pas, qui ne savent rien de ce qui s'est passé. Quand j'essaie de transmettre quelque chose de tout cela à ma petite-fille, elle ne manifeste pas d'intérêt, parce qu'elle n'est pas encore mûre pour se rendre compte de toutes ces choses-là. On ne peut pas forcer les gens. Si je tourne encore des films c'est parce que je me demande pourquoi nous sommes tels que nous sommes, où est le fond du problème. Milos Forman dit que le bien et le mal coexistent dans chaque homme. Moi, il me semble que l'homme pourrait se dominer par sa volonté, se rendre compte de la brièveté de son existence et donner un sens à sa vie."