La vie de Božena Němcová racontée par une grande cinéaste
« Je sais qu’il n’est pas possible d’embrasser objectivement la vie de Božena Němcová dans toute sa complexité, j’aimerais jeter donc sur cette vie un regard subjectif, » disait la réalisatrice Věra Chytilová (1929-2014) à propos de son projet de tourner un film sur la vie de la célèbre écrivaine tchèque du XIXe siècle. Le film n’a jamais été réalisé mais Věra Chytilová a au moins écrit un projet de scénario qui est une œuvre littéraire très particulière. Ce scénario sous forme de nouvelle a été récemment publié aux éditions Kodudek sous le titre Tvář naděje - Visage de l’espoir.
Un talent littéraire indéniable
Quand on termine la lecture de ce scénario qui n’a pas été porté à l’écran, on ressent un profond regret parce qu’il est évident que l’échec de ce projet prometteur représente une grande perte pour le cinéma tchèque. Cependant, cette lecture apporte aussi la découverte du talent littéraire indéniable de Věra Chytilová. Il s’avère qu’elle savait exprimer ses visions aussi bien par les images sur l’écran que par les mots dans un livre. Le journaliste et éditeur Zdenko Pavelka est de ceux qui savent apprécier ce don littéraire :
« Le conte Visage de l’espoir a été écrit par Věra Chytilová dès le tournant des années soixante et soixante-dix. Cette période se manifeste dans l’énergie qui rayonne de ce texte, c’est sans aucun doute l’œuvre d’une auteure en pleine possession de ses moyens, rédigée d’une façon tout à fait souveraine et qui aujourd’hui encore éblouit par la richesse de la langue et l’originalité du style. »
Rencontre de deux femmes exceptionnelles
Cette nouvelle est donc une espèce de rencontre entre deux invidualités exceptionnelles, entre deux femmes hors du commun qui ont marqué à des époques différentes la société et la culture de leur pays. L’œuvre littéraire et notamment la correspondance de Božena Němcová (1820-1862) démontrent qu’elle était une femme en avance sur son époque et qui refusait de se plier aux convenances et à la morale hypocrite du XIXe siècle. Elle obéissait à une voix intérieure qui la poussait vers la franchise, la liberté et l’amour.
Un siècle plus tard, Věra Chytilová trouve en elle une âme sœur, un être humain qu’elle comprend et respecte. En écrivant le scénario de son film, la réalisatrice cherche à revivre à sa façon la vie de l’écrivaine qui éblouissait, séduisait et dérangeait son entourage. Zdenko Pavelka répertorie les moyens littéraires qu’elle utilise dans son scénario :
« Quand Vera Chytilová écrit cette prose, elle se laisse guider par sa vision des images cinématographiques, leur alternances et leur interférences. Elle cherche perpétuellement à saisir toutes les facettes de la personnalité de Božena Němcová, elle donne la possibilité de se manifester à toutes les femmes qui composaient cette personnalité - l’amante, la mère, l’épouse, la femme de lettres… »
Une succession d’épisodes rapide et dynamique
La structure du texte du scénario est compliquée et fragmentaire. Le texte comprend une grande quantité d’informations et d’épisodes sur la vie de Božena Němcová et permet de comprendre sa vie, ses joies et ses souffrances, dans le contexte de son temps. Les images se succèdent avec une rapidité vertigineuse et sont accompagnées de citations de documents d’époque. Le récit chronologique est sans cesse interrompu par d’innombrables digressions et par des retours dans le temps comme si l’on suivait l’envol d’une mémoire assaillie par de nombreux souvenirs. Petit à petit, émerge du passé une femme exceptionnelle qui n’est pas un personnage littéraire, mais un être vivant. Zdenko Pavelka remarque :
« Par la succession d’épisodes très rapides et extrêmement dynamiques la réalisatrice brosse un portrait de Božena Němcová comme une femme qui, quoi qu’elle fasse, le fait toujours avec toute son énergie, ce qui se manifeste dans chacun de ses actes, dans chacun de ses gestes. »
Les idées préconçues et les obstacles politiques
Dans les années 1960, lorsque Věra Chytilová cherche sa place parmi les cinéastes tchèques, elle se heurte, comme Božena Němcová jadis, à l’incompréhension et à des idées préconçues. Il n’est pas facile pour elle de s’imposer dans le milieu masculin des studios de cinéma Barrandov à Prague, elle doit surmonter aussi des obstacles politiques. Avec une énergie inépuisable et beaucoup d’astuce, elle lutte pour la réalisation de ses projets et très souvent, elle réussit. Son art et son style la propulsent bientôt sur la scène internationale et ses films remportent de nombreux prix à des festivals de cinéma. Elle est une des rares cinéastes tchèques qui réussissent à réaliser de bons films malgré la censure totalitaire des années 1970-80.
Un roman passionnant
Pendant presque la moitié de sa vie elle luttera en vain pour la réalisation du film sur Božena Němcová. Cet échec qui est rare dans une carrière remplie de succès, ne peut pas diminuer cependant la force évocatrice du scénario de ce projet avorté. Zdenko Pavelka souligne la qualité littéraire de ce texte :
« Dire qu’il s’agit d’un conte, plus précisément d’un conte cinématographique, est tout à fait naturel vu les circonstances de la création de ce texte. Mais par la complexité de ses images, par son élan créateur et par sa poétique Visage de l’espoir échappe à toute catégorisation. Věra Chytilová a écrit un roman passionnant sur Božena Němcová et on pourrait dire même que c’est un poème en prose unique en son genre. »
Le portrait d’une femme libre d’esprit
L’image de Božena Němcová que Věra Chytilová brosse dans son scénario est d’une telle expressivité qu’elle pourrait éclipser, si elle était connue du grand public, toutes les autres tentatives de raconter la vie passionnée, féconde et tragique de la grande écrivaine. Ceux qui évoquent sa vie ont souvent tendance à l’idéaliser, d’autres insistent trop sur les traits intimes de sa biographie qui ont l’odeur du scandale. Věra Chytilová a échappé à ces pièges parce qu’elle a mobilisé toute la puissance de sa sympathie pour comprendre la femme qu’était Božena Němcová. Parmi ceux qui ont lu ce scénario et qui regrettent qu’il n’ait pas été porté à l’écran, il y a aussi la réalisatrice Olga Sommerová :
« J’ai lu ce scénario après sa publication. C’était quelque chose de sensationnel. Věra Chytilová était une cinéaste formidable. Je la considère comme le meilleur cinéaste tchèque, hommes et femmes confondus. Elle n’a pas présenté la personnalité de Božena Němcová comme un portrait respectueux et historique d’une grande femme de lettres mais comme une femme libre d’esprit. Je suis désolée que ce projet n’ait pas été réalisé parce que cela aurait été sans doute le meilleur film tchèque sur Božena Němcová. »