Le Sud de la France vu par des artistes tchèques

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En plein coeur historique de Prague, à deux pas de la place de la Vieille-Ville et du quartier juif de Josefov, se niche une petite galerie dont le nom annonce tout de suite la couleur... et la forme... Comme son nom l'indique, la galerie La Femme, en français dans le texte, s'intéresse essentiellement à ce sujet éminemment classique. Classique n'est toutefois pas synonyme de banal : ainsi que le clame le mot d'ordre de la galerie, pour les artistes, la femme reste une « source infinie d'inspiration ». C'est pourquoi la majeure partie des oeuvres exposées et en vente a pour thème la femme.

Cela n'empêche cependant pas le galeriste inspiré Miroslav Lipina d'organiser d'autres événements. Comme l'exposition en place jusqu'au 16 novembre intitulée « Le sud de la France vu par les artistes tchèques », résultat d'un séjour de plusieurs peintres à Canet, dans le département de l'Hérault, en juin dernier. Un séjour de découverte et même de redécouverte pour ces artistes, car, en effet, c'est la deuxième année consécutive que cette expédition créatrice est organisée.

Le jour du vernissage de l'exposition, j'ai rencontré Monika Lipinova, la fille de Miroslav Lipina, qui l'aide à la galerie. Elle nous en a dit un peu plus :

« Le séjour a duré quinze jours. Il y avait sept artistes et un musicien, Dragan Hodza, un Albanais, qui nous a accompagnés. »

Ce sont les mêmes artistes que l'année dernière ?

« Il y avait quatre artistes qui étaient les mêmes et trois nouveaux. On a donc un peu changé. On veut qu'il y ait plusieurs styles différents, par exemple, le réalisme, l'art abstrait, ou un peu humoristique, figuratif... On veut que le choix soit plus riche et plus vaste. »

Pouvez-vous me présenter un tableau qui vous plaît particulièrement et qui serait révélateur de l'ambiance de ce séjour ?

« Ce qui était intéressant cette année, d'après moi, c'était la présence d'une femme peintre, Eva Sebikova, qui a un regard un peu spécial sur la réalité et sur ce qui se passe autour d'elle. Elle est très bonne observatrice. Elle observe des situations, et après, elle fait des tableaux avec un humour très spécial, très personnel. Par exemple, elle commence à dessiner des oreilles, comme le tableau qu'on voit : elle l'a commencé avec trois ou quatre oreilles, et seulement après, elle a rajouté des têtes, et ça a donné le tableau « L'écoute nocturne du rossignol ». C'est une scène dans le jardin, une situation presque quotidienne puisqu'il y avait un rossignol qui chantait dans le jardin. Ça nous montre autour d'une table, écoutant avec les oreilles grandes ouvertes le chant du rossignol. »

Daniel Krejbich était un des peintres présents à Canet, la première année ainsi que cette année en juin. Ce dernier séjour a représenté pour lui un changement majeur :

« Lors de ce deuxième séjour, j'ai appris la richesse de la nature en France. J'ai complètement changé les couleurs avec lesquelles je travaille, depuis ce séjour, j'ai beaucoup d'énergie, beaucoup d'idées. Donc je suis très satisfait. »

Pouvez-vous me montrer ce que vous avez fait ?

« C'est une journée à la mer, au Cap d'Agde, j'ai imaginé une maison au bord de la mer. Et là, c'est la cour où nous avons travaillé. »

Vous estimez donc que ce séjour a complètement transformé votre création ?

« Oui, exactement. »

Et maintenant, vous travaillez sur quoi ? Etes-vous encore sur les souvenirs de la France ou êtes-vous passé à autre chose ?

« Je continue mon travail sur les paysages. Mais j'ai aussi changé les couleurs et les formes dans mes tableaux figuratifs. »

Parmi les personnes passées voir les tableaux, la comédienne française Chantal Poullain installée depuis plusieurs années en République tchèque :

« C'est ma petite galerie préférée, j'y viens très souvent. Il se passe dans la galerie La Femme des rencontres très sympa. C'est ça que j'aime beaucoup. Une galerie, ce n'est pas seulement un lieu, où silencieusement, les gens observent des oeuvres d'art, mais c'est un lieu de rencontre, de communication. »

Avez-vous vu les peintures ? Elles sont inspirées par la France, cela vous touche, je suppose ?

« D'abord il faut avouer qu'ici, dans cette galerie, il y a beaucoup d'amour pour la France. Bien sûr que ça me touche, j'habite ici depuis tellement d'années... J'ai besoin d'avoir le sentiment d'être un peu en France et de savoir que la France inspire. »

Dans le sud de la France, la petite troupe de peintres a été accueillie par un couple d'artistes français, comme le raconte Monika Lipinova :

« Deux artistes, deux amis à nous, des Français, tiennent un endroit très sympa qui s'appelle le Centre Nyama, c'est un petit centre culturel où ils organisent des projets artistiques avec danse, musique, peinture, théâtre... C'est madame Nizoucha et Patrick Thomas. Ils nous ont aidés avec l'endroit que nous avons trouvé l'année dernière. Cette année, nous y sommes retournés pour peindre et faire de nouvelles expériences. »

Matériellement, comment ça s'est organisé ? Comment se sont-ils organisés pour loger tout ce monde-là ?

« On était logés directement au centre, il est assez grand. Nizoucha et Patrick l'ont amélioré tout au long de l'année dernière. C'était encore plus confortable pour nous. Il y avait le dortoir où tout le monde a dormi. Le centre est un endroit très particulier, plein d'émotions, d'énergie positive. Je pense que les artistes étaient contents, ils ont vécu beaucoup de choses, ils ont beaucoup de souvenirs avec lesquels ils ont travaillé. »

Et pour parler un peu plus de ce centre culturel méditerranéen, je cède la parole à Patrick Tomas, artiste et chanteur de son état, son fondateur, avec Nizoucha, danseuse et chorégraphe. On écoute Patrick Tomas :

« C'est un centre que nous avons créé petit à petit dans le but de créer des rencontres entre les artistes, que nous souhaitons arriver maintenant à porter à réalisation, puisque le lieu est prêt. »

Comment vous êtes-vous rencontrés avec les gens de la galerie La Femme ?

Nizoucha : « Il y a quinze ans, des organismes montpelliérains organisaient des rencontres entre quinze Tchèques, quinze Allemands et quinze Français. Nous en faisions partie, en tant que musiciens et moi danseuse et chorégraphe. C'est de là qu'est partie une très forte amitié avec les Tchèques. Dans ce groupe-là, il y avait un peintre, qui fait partie de ceux qui exposent à la galerie La Femme. Il y a deux ans, Monika, la galeriste, a vendu un de ses tableaux. Elle lui a dit que cela faisait plusieurs mois qu'elle cherchait à trouver un lieu en France pour recevoir en séminaire des artistes tchèques. Il lui a dit qu'il avait des amis qui avaient un lieu en France. Ils nous ont appelés, tout de suite, et à la minute même on a dit oui. Ils étaient en séminaire chez nous. On leur montre la mer, les coins sauvages autour de chez nous, la montagne, des coins fabuleux, ils peignent, la nuit, le jour, on fait beaucoup la fête. Et à la fin du séjour, on fait un vernissage avec toutes les peintures faites sur place. Patrick chante et moi je danse... »

Il y a eu deux années, vous avez donc vu deux fois des groupes de Tchèques. Quelles différences avez-vous ressenties par rapport à la première année ?

PT : « Je pense que la rencontre est restée la même dans la beauté. On a retrouvé la même atmosphère, la même recherche de travail. On avait l'impression d'emmener un groupe de touristes dans des lieux, qui se posaient, qui regardaient, qui se baignaient, qui étaient en vacances, mais ce qui était étonnant, c'est qu'en rentrant le soir, on retrouvait dans les peintures comme une photo imprimée de ce qu'ils avaient vu. C'est quelque chose qui m'a beaucoup marqué. C'était étonnant de voir le travail nocturne de ce qu'ils avaient vu pendant la journée. »

N : « Surtout, de voir par rapport à un même paysage la différence de technique ou le fait que chacun avait pu voir un détail différent. C'est là où on voit les artistes... Tous n'ont pas vu la même chose du même paysage, d'une même situation vécue. Pour nous c'est fabuleux de voir ces peintures qui commencent et on se demande toujours ce qui va se passer sur cette toile blanche. »

Y a-t-il des choses qui vous ont surpris dans les réactions ?

PT : « Oui, j'ai d'ailleurs une chose à dire à ce sujet, on a remarqué qu'ils aimaient particulièrement le vin (rires), qu'ils étaient très attirés par cette couleur, le rouge. Et qu'ils aimaient la pétanque ! »

J'ai cru remarquer la présence assez récurrente d'un animal dans les créations, un élan ! Alors pourriez-vous m'expliquer sa présence, ce n'est pas vraiment un animal très traditionnel du sud de la France a priori...

N : « C'est parti d'une blague. Ca a été inventé et placé pour faire une blague à Miroslav Lipina. Ils lui ont fait croire qu'au lac, où on va tout le temps, ils avaient vu un élan et que depuis, ils ne peuvent plus peindre que ça. »

PT : « Le sujet de la femme était bien remis en question ! »

N : « Quand Miroslav est arrivé, ils ont caché tous les vrais tableaux pendant les deux semaines. Et ils ne lui ont montré chacun qu'un seul tableau qu'ils avaient fait en vitesse, avec un élan. Mais il est très calme, il n'a trop rien dit sur le moment, mais le lendemain, il a dit qu'il fallait commencer à travailler sérieusement ! (rires) »

Allez-vous continuer avec ces séjours d'artistes ?

PT : « Bien sûr... »

N : « Bon, nous, ça fait déjà quinze ans qu'on vient à Prague puisque c'est Patrick et moi qui avons amené et fait découvrir la danse africaine à Prague et dans le pays à l'époque. C'est moi qui ai commencé à donner des stages de danse africaine ici. »

PT : « Vous savez, on a fait des rencontres avec plusieurs personnalités, ça n'a accroché qu'avec les Tchèques. On ne peut pas expliquer cela, en tout cas, ce n'est qu'avec le peuple tchèque qu'il s'est passé quelque chose d'harmonieux, de durable. On adore venir ici, on adore le climat d'une capitale telle que Prague. C'est un endroit où on aime être et c'est très paradoxal pour nous. Il se passe quelque chose de particulier entre nous et la Tchéquie. »