Le syndicalisme tchèque à l’épreuve du communisme et du capitalisme

Photo: Site officiel de ČMKOS

Dès l’origine, les centrales syndicales tchèques ont été très liées aux partis politiques. Dans une précédente rubrique historique, Martin Myant, qui travaille à Bruxelles à l’Institut syndical européen en tant que spécialiste des politiques économiques, sociales et de l'emploi, avait raconté cette évolution qui s’est accentuée sous la Première République tchécoslovaque. Au micro de Radio Prague, le chercheur britannique revient désormais sur le développement et le rôle des syndicats sous le communisme et dans la société tchèque contemporaine.

Photo: Site officiel de ČMKOS
Divisés entre les différents partis et nationalités qui composent la Tchécoslovaquie de l’entre-deux-guerres, les syndicats vont connaître un premier bouleversement avec l’annexion des Sudètes à l’automne 1938 puis l’occupation du pays par les Allemands en mars 1939. Les autorités nazies, qui contrôlent le nouveau Protectorat de Bohême-Moravie, décident d’unifier les syndicats. Deux organisations sont créées, l’une pour les ouvriers (la Centrale syndicale nationale des salariés – NOÚZ) et l’autre, plus petite, pour les fonctionnaires (Centrale des salariés du public – ÚVZ).

Ce système centralisé va se transformer mais survivre après la guerre. L’idée domine chez les nouvelles élites tchécoslovaques que la fragmentation linguistique et ethnique des partis politiques ainsi que des syndicats dans les années 1930 a été une mauvaise chose. Alors que le parti communiste, devenu un mouvement de masse, remporte les élections législatives avec 40,17% des suffrages en mai 1946, une loi est votée ce même mois unifiant les syndicats au sein d’une organisation qui sera rapidement appelée le Mouvement syndical révolutionnaire (ROH). La centrale dispose d’un pouvoir d’influence important et, malgré la neutralité politique qu’elle proclame, s’inscrit largement dans le giron du parti communiste tchécoslovaque (KSČ). Ainsi, le syndicat joue un rôle non négligeable en février 1948, lors du Coup de Prague, ainsi que l’explique Martin Myant :

Février 1948 | Photo: ČT24
« Le rôle des syndicats était très important. Ils portaient certaines revendications. Ils exigeaient par exemple des nationalisations, un système d’assurance sociale universelle ainsi que diverses autres mesures. C’était une partie très importante dans les luttes politiques de l’année 1948, quand les communistes ont pris le pouvoir. »

La législation change en 1951 et le Mouvement syndical révolutionnaire s’inscrit désormais dans le cadre du Front national, l’organe de contrôle du parti communiste de la vie politique et sociale du pays. Martin Myant :

« Encore un grand changement : les syndicats étaient centralisés, dominés absolument par le parti communiste. Et ils n’avaient pas de rôle indépendant, ni social, ni politique. »

Le février 1948
Lénine, comme avant lui Marx, est prudent sur la question syndicale. S’il leur reconnaît un rôle essentiel d’organisation du mouvement ouvrier lors des prémices du capitalisme, le théoricien russe met en garde contre certaines dérives : corporatisme, bureaucratie, réformisme. Pour Lénine, les syndicats peuvent toutefois représenter « l’école du communisme ». Mais il reste prioritairement au parti de mener la lutte pour l’avènement d’une société communiste. En ce sens, le rôle du Mouvement syndical révolutionnaire, auquel les travailleurs tchécoslovaques sont quasiment obligés d’adhérer, se cantonne presque essentiellement à celui d’un « super comité d’entreprise » :

« En revanche, les syndicats avaient la possibilité d’organiser presque tous les employés parce qu’ils offraient des avantages comme des vacances subventionnées ou des activités sportives et de vie sociale. Ils offraient également une protection individuelle, en accord avec la loi, par exemple pour qu’il n’y ait pas de licenciement sans motif valable et des choses similaires. »

Apportant une assistance aux travailleurs dans certains cas, la centrale syndicale ne dispose d’aucune capacité de mobilisation collective. Ainsi les grèves, interdites dans les faits, sont rares et concernent essentiellement des petits secteurs d’activité. Le Mouvement syndical révolutionnaire s’autonomise quelque peu en 1968, dans le sillage du Printemps de Prague. Progressivement toutefois, il reprend la ligne décidée par le parti communiste. Aussi, la Tchécoslovaquie communiste, ne voit pas apparaître, comme en Pologne, un syndicat d’opposition de type Solidarność. Martin Myant explique pourquoi :

« Il n’y a pas eu en Tchécoslovaquie de grandes grèves comme en Pologne principalement parce que les conditions sociales et les conditions de vie y étaient toujours meilleures qu’en Pologne. Il y a avait toujours une croissance perceptible. »

L’hégémonie du Mouvement syndical révolutionnaire est contestée en 1989 par l’apparition de petites organisations syndicales autonomes. Bien qu’elle déclare son indépendance du parti communiste et que certaines de ses composantes dénoncent la brutale répression policière des manifestations de la Révolution de velours, la centrale syndicale ne s’y implique pas. Après la chute du régime communiste, en mars 1990, elle décide de s’auto-dissoudre. Le monde syndical va subir une nouvelle transformation comme le développe Martin Myant :

« L’organisation s’est transformée encore une fois avec une grande décentralisation dans les lieux de travail. Toutefois, la centrale syndicale principale, transformée, a continué avec ses adhérents et ses propriétés, c’est-à-dire ses comptes bancaires ou ses bâtiments. C’était une organisation très riche. »

La Maison de la Confédération des syndicats,  photo: Dezidor,  CC 3.0 Unported
La Confédération tchéco-morave des syndicats (ČMKOS) est ainsi largement l’héritière du Mouvement syndical révolutionnaire, dont elle récupère un grand nombre d’adhérents. Comme son prédécesseur, elle siège à la Maison de la Confédération des syndicats, un bâtiment fonctionnaliste datant des années 1930 et longtemps le plus haut « gratte-ciel » de Prague. Sans revenir à la situation qui prévalait durant la Première République, les syndicats gardent des liens parfois étroits avec les partis politiques. Martin Myant :

« Au commencent, les syndicalistes disaient qu’ils ne voulaient être liés à aucun parti politique mais je crois qu’il est clair que la politique des syndicats de la ČMKOS est similaire en de nombreux points à celle des sociaux-démocrates. Par exemple, ils sont pour l’Union européenne, pour la conception d’un Etat social, comme il le dise, ou encore pour un impôt un peu plus progressiste. »

Une nouvelle conception de la pratique syndicale s’impose également dans les années 1990, calquée sur le modèle occidental. Martin Myant précise :

« La direction politique ou la conception du syndicalisme étaient en faveur d’un mouvement syndical à l’image de celui de l’Europe de l’Ouest, à la façon dont ils le comprenaient. C’est-à-dire avec des négociations collectives, une organisation tripartite (syndicat, patronat et gouvernement, ndlr) pour influencer la haute politique et ce type de choses. »

La ČMKOS rassemblerait aujourd’hui 29 organisations et 370 000 membres. C’est bien moins qu’au début des années 1990 et seuls 17,3% des Tchèques étaient syndiqués en 2009 selon les chiffres de l’OCDE, soit deux fois moins que vingt ans auparavant. Martin Myant commente cette désaffection des travailleurs envers les syndicats :

Photo: Facebook de ČMKOS
« On peut trouver des erreurs spécifiques comme la fragmentation des syndicats par exemple au début des années 1990. Mais je crois qu’il y a quelque chose d’essentiel en plus. Après quarante ans de communisme sans activité traditionnelle syndicale, comme les négociations collectives et les grèves, il n’y avait pas un esprit du syndicalisme tel que nous le comprenons en Europe de l’Ouest. »

Les centrales auraient ainsi de plus en plus de difficultés à renouveler leurs membres et souvent, le départ à la retraite d’employés syndiqués marque la disparition de la présence d’un syndicat dans telle ou telle entreprise. Paradoxalement l’image des organisations syndicales resterait plutôt bonne d’après Martin Myant :

« Selon les enquêtes, l’opinion publique ne change pas beaucoup. Probablement environ 50% des personnes disent qu’elles ont confiance dans les syndicats. »