Les chants et les cris d'Ivan Martin Jirous

Ivan Martin Jirous, photo: CTK

C'est à Ivan Martin Jirous qu'a été décerné cette année le prix littéraire portant le nom de Jaroslav Seifert, l'unique lauréat tchèque du prix Nobel de littérature. Le poète connu en Tchéquie sous son surnom de Magor (toqué, dingo) ne ressemble pas du tout à l'image qu'on se fait en général d'un représentant de la grande littérature.

Ivan Martin Jirous,  photo: CTK
Bien qu'il ait étudié l'histoire de l'art, Ivan Martin Jirous ne s'est pas illustré dans cette discipline mais s'intéressait beaucoup plus à la culture non officielle, l'underground. En 1971 il devient leader du groupe de rock The Plastic People of the Universe, dont le répertoire corrosif et provocateur ne tardera pas à déclancher la colère du régime communiste. Pendant la triste période de la normalisation, sous l'occupation de la Tchécoslovaquie par l'armée soviétique, il travaille comme gardien et main-d'oeuvre. Arrêté pour la première fois en 1973, il sera emprisonné encore quatre fois par la suite et passera au total huit ans et demi en prison. Il est évident que ses oeuvres littéraires ne peuvent paraître qu'en samizdat et à l'étranger. Son premier recueil de poésies « Le chant matinal de Magor » est créé en 1975. Suit le recueil « Les Chants de cygne de Magor » pour lequel il reçoit en 1985 le prix Tom Stoppard. Les poèmes de ce recueil mariant l'humilité chrétienne à une expressivité agressive ont été écrits dans la prison de Valdice et étaient sortis sous forme de billets clandestins.

Les écrits d'Ivan Jirous ne commencent à paraître normalement qu'après la révolution de velours et la chute du communisme en 1989. En 1998, il publie « La Somme de Magor », couronné par la critique comme le meilleur livre de l'année. Tout récemment, il a fait paraître un volume de 500 pages « Les Lettres de Magor » qui réunit ses lettres écrites en prison aux femmes de sa vie. Ce livre qu'on compare parfois aux « Lettres à Olga », d'un autre prisonnier politique Vaclav Havel, sera particulièrement apprécié par le jury qui lui accordera le prix Jaroslav Seifert.

Aujourd'hui, donc, Ivan Martin Jirous est lauréat de ce prix qui a déjà été décerné, entre autres, à Ludvik Vaculik, Milan Kundera, Vera Linhartova, Viktor Fischl et Josef Skvorecky. Il se trouve donc en bonne compagnie :

« Ce prix est doté d'une certaine somme, ce qui est certainement agréable ; mais le plus important est qu'en recevant ce prix je me suis retrouvé en compagnie de gens, d'autres lauréats du prix, que j'estime et dont certains sont mes amis. Ce qu'il y a de mieux dans tout cela, c'est donc, je crois, le fait d'avoir pu me joindre officiellement à ces gens-là. »

Cela ne veut pourtant pas dire qu'Ivan Jirous est aujourd'hui un poète rangé. Il ne cache pas sa répugnance pour le régime actuel qu'il qualifie de « dictature d'un néocapitalisme pervers », il continue à provoquer les bien-pensants, il a des démêlés avec la police. Il reste toujours en marge, refuse de se joindre à la culture officielle et adapte toute sa vie à sa marginalité. « Je n'ai pas de grands besoins, dit-il. Je n'ai pas de voiture, parce que je ne supporte pas les chauffeurs bourrés et parce que je me connais. Je n'ai pas de télévision parce que je ne la supporte pas. » Publié officiellement, décoré de prix littéraires, Ivan Martin Jirous n'en reste pas moins ce « Magor » qui a été le cauchemar des autorités communistes.