Les dessins de Jitka Svobodová, au-delà du monde visible

Jitka Svobodová

Parmi les artistes contemporains tchèques les plus intéressants de sa génération, Jitka Svobodová est décédée le 15 mai dernier à l’âge de 81 ans, peu après l’inauguration de sa grande rétrospective organisée par la Galerie de la ville de Prague (GHMP). L’exposition est à découvrir jusqu’au 20 août dans les locaux de la Bibliothèque municipale, Mariánské náměstí, au centre de Prague.

« Je dessinais depuis toute petite, surtout les chevaux. C’était presqu’une obsession. J’étais aussi cavalière, comme mon frère. C’est cette passion pour les chevaux qui a révélé chez moi une certaine prédisposition pour la création artistique », s’est souvenue Jitka Svobodová dans un entretien pour l’organisation Paměť národa.

Jitka Svobodová,  2016 | Photo: Paměť národa

Avec sa famille, elle vivait dans le quartier pragois de Vinohrady. Dans le même immeuble, l’artiste allait plus tard aménager un atelier où elle créait jusqu’à la fin de sa vie, de même que dans sa maison de campagne, à Senohraby, non loin de Prague, à laquelle elle était également très attachée.

Jitka Svobodová est entrée sur la scène artistique tchécoslovaque dans les années 1960, tout comme d’autres personnalités marquantes de sa génération formées aux Beaux-Arts de Prague (AVU), comme Miloš Cvach, installé depuis 1973 en France, Kurt Gebauer, Michal Ranný ou František Hodonský.  Elle a étudié la peinture monumentale, mais c’est le dessin qui est devenu ensuite son art de prédilection :

L’exposition de Jitka Svobodová,  'Au-delà du monde visible'  (Za hranou viděného) | Photo: Magdalena Hrozínková,  Radio Prague Int.

« Le dessin est plus une idée qu’une technique. Bien sûr que la peinture est aussi basée sur le dessin, mais elle le matérialise toujours d’une manière ou d’une autre. Alors que le dessin exprime purement l’idée », a-t-elle expliqué.

Diplômée des Beaux-Arts en 1967, l’artiste voit plusieurs de ses amis émigrer dans les années qui suivent l’invasion soviétique de la Tchécoslovaquie. Dans les interviews, elle se souvenait du sentiment d’isolement qui ne l’a pas quittée durant les années dites de « normalisation ». A cette époque, Jitka Svobodová a gagné sa vie comme restauratrice de monuments historiques et a participé à quelques-unes des manifestations artistiques non-offcielles :

L’exposition de Jitka Svobodová,  'Au-delà du monde visible'  (Za hranou viděného) | Photo: Magdalena Hrozínková,  Radio Prague Int.

« Je m’occupais de la restauration des journées entières. Mais le soir, quand je rentrais chez moi, je ressentais un énorme besoin de créer à ma façon. Faire de la peinture est un peu plus compliqué, mais le dessin, c’est rapide. Alors je dessinais ce que je voyais autour de moi tous les jours : des échafaudages, des tuyaux, des planches, des fils de fer. »

« Le dessin, simple et gris, m’a permis d’exprimer exactement ce que je voulais. »

La simplicité, on la retrouve aussi dans le choix des sujets : tout au long de sa vie et de sa carrière, Jitka Svobodová était fascinée par les objets et les phénomènes les plus courants de la vie quotidienne : elle dessine, au crayon ou au pastel sec, une tasse, une assiette et une cuillère, des morceaux de sucre, un torchon de cuisine, un oreiller, un livre, une enveloppe, ou encore tout un cycle consacré aux rideaux…

L’exposition de Jitka Svobodová,  'Au-delà du monde visible'  (Za hranou viděného) | Photo: Magdalena Hrozínková,  Radio Prague Int.

Ce qui l’intéresse, ce ne sont pas les objets en soi, mais leur essence, leur énergie. L’artiste est tout aussi fascinée par les phénomènes tels que la fonte des neiges, le feu et la fumée… Elle dessine mais aussi crée des installations, avec du papier-mâché et du fil de fer, inspirés du Soleil et de la Lune, des nuages, des arbres et des bougies.

L’exposition de Jitka Svobodová,  'Au-delà du monde visible'  (Za hranou viděného) | Photo: Magdalena Hrozínková,  Radio Prague Int.

L’architecte Josef Pleskot, qui a participé à la genèse de la rétrospective pragoise de Jitka Svobodová, évoque son rapport à l’œuvre de l’artiste :

« J’admire sa concentration, ainsi que l’aspect contemplatif de son œuvre, ce grand silence qui peut même devenir inquiétant voire insupportable et se transformer en un cri déchirant. »

Helena Musilová est la commissaire de cette exposition au titre pertinent « Au-delà du monde visible » (Za hranou viděného) :

« Dans l’art plastique tchèque de l’après-guerre, Jitka Svobodová fait figure d’une créatrice solitaire : on ne peut pas vraiment l’associer à un mouvement artistique, tel que la nouvelle figuration, l’art conceptuel ou post-moderne. Il y a longtemps, elle s’est créée sa propre ligne artistique et elle lui est restée fidèle toute sa vie. Son rapport étroit à la scène locale tient au fait que depuis 1990, elle a enseigné le dessin aux Beaux-Arts de Prague, où elle a formé une génération très intéressante de créateurs contemporains. »

L’exposition de Jitka Svobodová,  'Au-delà du monde visible'  (Za hranou viděného) | Photo: Magdalena Hrozínková,  Radio Prague Int.

Après la révolution de Velours, Jitka Svobodová a en effet profité de nouvelles opportunités : elle est devenue la première femme professeure à l’Académie des Beaux-Arts de Prague, où elle a pu fonder et diriger jusqu’en 2012 un atelier consacré exclusivement au dessin.

L’exposition de Jitka Svobodová,  'Au-delà du monde visible'  (Za hranou viděného) | Photo: Magdalena Hrozínková,  Radio Prague Int.

L’artiste a également parcouru l’Europe, même si, sous le régime communiste encore, elle avait déjà pu effectuer de courts séjours en France notamment et donner par exemple, à la fin des années 1980, une conférence à l’Ecole municipale des Beaux-Arts de Quimper.

La rétrospective de Jitka Svobodová est ouverte jusqu’au 20 août à la Bibliothèque municipale de Prague où elle occupe tout un étage. Un documentaire sur la vie et le parcours de l’artiste, tourné en 2018 par Jan Vidlička, y est projeté. Il est également disponible, en tchèque et en anglais, sur le site de la chaîne privée Artyčok TV.

https://artycok.tv/cs/post/jitka-svobodova

Auteurs: Magdalena Hrozínková , Karel Oujezdský
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