Les élections législatives 2013 ou la fin de « l’anticommunisme » tchèque

Photo: CT24

Les résultats des élections législatives anticipées qui se sont tenues en République tchèque les 25 et 26 octobre ont donné lieu à une multitude d’analyses et d’évaluations dans la presse sur les possibles scénarios de l’évolution à venir de la scène politique. Celle-ci est désormais plus émiettée que jamais.

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Au lendemain de la publication des résultats des élections, les médias ont constaté presque à l’unisson que les contours de la politique tchèque, définis par la rivalité des deux principaux parti le ČSSD et l’ODS (les parti social-démocrate et civique démocrate) qui a marqué les vingt dernières années, n’existent plus. Dans l’hendomadaire Týden, nous avons ainsi pu lire :

« Le clivage entre les partis de droite et de gauche ne constitue plus un trait caractéristique du spectre politique tchèque. L’idéologie dépassée, ce sont désormais les leaders à la tête de partis virtuels dépourvus de programmes et de membres qui valent plus... On voit sept partis intégrer la Chambre des députés, un événement jamais vu depuis le début des années 1990. Une chose est sûre : l’instabilité résultant de la fragilité des coalitions et des gouvernement futurs va se poursuivre. Même après ce tremblement de terre, la politique tchèque ne se débarrassera donc pas de sa malédiction. »

« Les représentants politiques sont appelés à éliminer leurs préjugés », titre l’éditorial de la dernière édition de l’hebdomadaire Respekt, dont une grande partie est consacrée aux élections. En introduction, l’article signale :

« Il arrive rarement qu’à l’issue d’élections, on ne sache définir qui est le gagnant et qui est le perdant. C’est pourtant exactement ce qui est arrivé en Tchéquie.

Formellement parlant, le vainqueur est Andrej Babiš avec plus de 18 % des suffrages pour son nouveau mouvement ANO 2011 (derrière les sociaux-démocrates, avec un peu plus de 20%), tandis que le perdant est le président Miloš Zeman, dont le parti SPOZ, en dépit d’une campagne massive, est resté hors-jeu... Concernant la future orientation de l’Etat, la situation semble cependant bloquée. »

L’éditorial souligne qu’une fois de plus, ces élections ont confirmé que les personnalités composant les listes de candidats comptent pour les électeurs plus que les idéologies. La victoire étriquée des sociaux-démocrates et l’échec de l’ODS en seraient une preuve. Il constate également :

« En votant comme ils l’ont fait, les électeurs ont placé les représentants politiques dans une situation compliquée. Les cinq partis en lice (ČSSD, ANO, TOP 09, ODS, KDU-ČSL) sont censés exclure du débat le parti communiste (KSČM, près de 15% des voix) et la nouvelle formation L’Aube de la démocratie directe (Úsvit, près de 7%). Le premier est considéré comme extrémiste et la seconde comme xénophobe, mais à eux deux ils occuperont quand même presque un quart des sièges au Parlement... Le pire scénario serait une longue situation inextricable, ou même de nouvelles élections anticipées. Ceci augmenterait encore davantage le scepticisme au sein de la société tchèque et se traduirait par un très faible taux de participation. »

Comme la plupart des commentaires publiés dans la presse, l’éditorial note également que la « vedette » de ces élections est sans aucun doute la nouvelle formation ANO du milliardaire Andrej Babiš, qui, tout en se présentant pour la première fois aux élections, a remporté un grand succès. « Le phénomène Babiš » a été examiné aussi par Jindřich Šídlo du quotidien économique Hospodářské noviny. Jindřich Šídlo écrit entre autres :

« Vingt-quatre ans après la chute du communisme, le succès de Babiš met un terme à l’étape de ‘l’anticommunisme tchèque’ qui était mise en avant comme la principale idéologie de la droite tchèque. Le fait que même certains anciens électeurs des deux partis conservateurs anticommunistes, ODS et TOP 09, n’aient pas hésité à voter pour l’ancien communiste Andrej Babiš confirme cette thèse. Andrej Babiš est un homme qui réussit sous tous les régimes, aujourd’hui plus encore qu’avant. Les avertissements contre un retour aux années 1980 ne fonctionnent plus. La ‘vieille droite’ tchèque n’a plus le choix : soit elle se réveille et trouve un nouveau programme et un nouvel éthos, soit elle tombera dans l’oubli. C’est aussi simple que ça. »

Dans une note publiée dans le journal Lidové noviny, Zbyněk Petráček constate pour sa part :

« Si les résultats des élections législatives anticipées ont un dénominateur marquant, c’est le succès des partis dits de protestation : ANO 2011, le parti communiste et L’Aube de la démocratie directe. Tout en ayant des racines et des histoires différentes, ces trois partis qui ont un trait en commun : ils ont su attirer les électeurs qui souhaitent rompre avec le système des partis traditionnels. Ces trois partis ont totalisé près de 40% des suffrages, soit près du double de ce que d’autres partis que l’on peut qualifier de protestation avaient remporté lors des élections précédentes il y a trois ans de cela. »

Avant même encore la tenue de ces élections anticipées, le journal Lidové noviny avait rappelé qu’il s’agissait des premières élections législatives se tenant sans l’ex-président Václav Havel. Dans un article signé Luboš Palata, nous avons pu lire :

« Même après l’expiration de son mandat présidentiel, Václav Havel n’a jamais donné aux gens d’indication comment voter, bien qu’il ait sympathisé avec certains partis plus qu’avec d’autres. En dépit du fait que ceux-ci obtenaient souvent des résultats plutôt médiocres et n’étaient donc que faiblement représentés au Parlement ou au gouvernement, Havel possédait une autorité naturelle qui lui permettait d’orienter le pays, discrètement, dans la bonne direction. Ainsi, tous les cabinets précédents ont été, ne serait-ce que partiellement, des cabinets « à la Havel », à l’exception de celui s’appuyant sur ‘l’accord d’opposition’ conlu à la fin des années 1990 entre Václav Klaus et Miloš Zeman. »

La Russie source d’espoir et de crainte

Photo: Archives de Radio Prague
Faut-il craindre la Russie ? Le quotidien Lidové noviny a soulevé la question la semaine dernière en réaction à l’augmentation du nombre de Russes vivant en Tchéquie, tout en y ajoutant d’autres interrogations : « Nous ouvrons la porte à la Russie sans savoir vraiment sur quoi elle s’ouvre. Faut-il craindre la dépendance énergétique, la criminalité, le chantage économique, l’influence exercée par la minorité russe établie dans le pays, les groupes possédant des intérêts économiques allant jusqu’en Sibérie ? »

A défaut d’une réponse claire, l’article rappelle certains chapitres-clés des relations entre les deux pays et constate que les Tchèques ont traditionnelement regardé la Russie avec un certain espoir – comme lors du Réveil national au XIXe siècle – pour être ensuite décus. Ce constat vaut aussi pour les communistes tchèques qui ont connu une grande désillusion après l’écrasement du Printemps de Prague en 1968. L’auteur de l’article remarque :

« Par un jeu fatal de circonstances, la Russie nous est proche. Rappelons que beaucoup de ressortissants russes qui fuyaient le communisme avaient trouvé refuge, après 1917, dans l’ancienne Tchécoslovaquie pour devenir de fidèles citoyens de la Première République de Masaryk. Ce sont des choses qu’il ne faut pas oublier... Tandis que l’expérience polonaise avec la Russie est univoque, la nôtre est contradictoire. »

Selon l’auteur de l’article, il est aujourd’hui important de savoir qui sont les Russes qui arrivent prioritairement en République tchèque. Autrement dit, s’il s’agit de membres de l’intelligentzia russe susceptibles d’enrichir notre société démocratique ou bien d’éléments criminels ou liés aux oligarques et aux puissants russes. Et de conclure :

« Pour nous, la Russie peut être source d’espoir ou de crainte. Mais il existe aujourd’hui une grande différence avec le passé : tout ceci ne dépend plus de la Russie, mais de nous... Reste à savoir si cela est une bonne ou une mauvaise nouvelle. »