Les gars d’en bas, un groupe qui voyage… et qui déménage
Demandez-leur de qualifier leur musique et ils vous répondront ‘jazz music mais pas que’, ‘c’est très difficile à dire’ ou encore ‘jazz-punk qui voyage’, avant de se mettre d’accord sur ‘musique acoustique du monde’. Les Gars d’en bas, c’est un groupe franco-tchèque composé de cinq musiciens qui voyagent, tout comme leur musique, et qui ont choisi la République tchèque pour enregistrer leur dernier album, ‘Rien ne sert de dormir’. A la suite du concert qu’ils ont donné au café de la Radio tchèque, jeudi dernier, nous avons rencontré le breton Grégoire Brun, chanteur du groupe, contrebassiste, guitariste, et compositeur à ses heures perdues.
Bonjour Grégoire Brun, et merci de nous accorder cet entretien à l’occasion de la sortie du nouvel album des Gars d’en bas, intitulé Rien ne sert de dormir, dont nous venons d’écouter un extrait de la chanson éponyme. On y retrouve une dominante jazz, qui ne vous empêche pas de mélanger les styles ainsi que les langues. Pouvez-vous nous parler de ce nouvel album ? En quoi diffère-t-il de vos deux albums précédents ?
« Déjà, il change parce qu’on l’a enregistré en République tchèque. C’est le seul album où il y a plus de Tchèques que de Français qui jouent. On est assez contents d’avoir fait ce CD-là qui a demandé beaucoup de concentration, de travail et de temps en studio pour faire un son plus correct que celui des albums précédents. »
« On est également assez fiers du fait qu’il mélange plusieurs styles différents, aussi bien dans les textes que dans les musiques. C’est principalement jazz effectivement, mais on peut aussi bien entendre du rap, du rock’n’roll, du swing manouche, des valses ; plein de choses différentes. C’est pour le public, bien entendu (pour que ça change, qu’il puisse entendre des musiques différentes), mais c’est aussi et principalement pour nous : on joue, au sens littéral du terme. On a envie de s’amuser ! »« Donc le style change, mais aussi les langues. On ne chante pas qu’en français mais aussi en tchèque, en anglais et aussi un petit peu en italien. On en est assez contents. On verra bien ce que le public en pense. »
« Pour présenter les membres du groupe, je vais raconter l’histoire des Gars d’en bas. Ça a commencé il y a environ une dizaine d’années lorsque je faisais des chansons avec mon père. Je faisais la musique, et lui les textes. On a créé ensemble une dizaine de chansons dans un café chantant que mes parents avaient, qui s’appelait ‘Le trousse chemise’. ‘Le trousse chemise’, c’est une chanson d’Aznavour et comme on en était tous fans, on a choisi ce nom. Et donc, juste avant les chanteurs qui s’y produisaient, j’avais la possibilité de chanter ces chansons-là. Après un certain moment, ça a commencé à m’ennuyer de jouer tout seul. J’ai donc demandé à d’autres musiciens de jouer avec moi, et on a décidé de s’appeler ‘Les Gars d’en bas’. »
Vous parliez à l’instant de Charles Aznavour et de l’influence qu’il a exercée sur vous et certainement aussi sur votre musique – je pense notamment à des titres comme ‘Le retour’, issu de votre premier album. Hier et pour le public du Radiocafé, vous avez repris l’un de ses succès, ‘Pour faire une jam’, dont nous écoutons tout de suite un extrait.
« Il y avait beaucoup de musiciens qui étaient français à cette époque-là : un violoniste, un caroniste, une guitare basse,... on avait un peu de tout, puisqu’on expérimentait, chacun jouait de plusieurs instruments. »
« Ensuite, on a voyagé un peu en République tchèque où l’on a rencontré Matěj Heinzl, qui joue de la clarinette, et Vojtěch Vasko, qui joue de la contrebasse et de l’accordéon. On a créé ensemble un CD en 2013, et c’est à ce moment-là que certains musiciens français ont décidé de partir, parce qu’ils ne voulaient pas faire de la musique toute leur vie. Ils voulaient faire d’autres choses. De ce groupe-là ne sont restés que moi Grégoire Brun, Maxime Lhermitte, qui joue de la guitare, ainsi que Vojtěch et Matěj. Nous avons fait un deuxième CD qui est en fait un live, enregistré justement au café chantant ‘Le trousse chemise’ de mes parents. »
« Il y a deux ans, Zdeněk Tománek, le cinquième membre du groupe actuel, qui joue du saxophone soprano et du ténor, s’est greffé au groupe. Maintenant et depuis assez longtemps, on joue comme ça, à cinq. Lorsque vous viendrez nous voir en concert, vous entendrez ces cinq musiciens (rires). »
Vous êtes cinq donc, issus d’univers musicaux divers et tous très polyvalents puisque chacun joue au minimum de deux instruments différents. Comment est-ce que vous composez ensemble, à la fois la musique et les textes ?
« C’est principalement moi qui compose les chansons, mais pas que. Il y a Maxime, qui sur ce dernier CD a écrit ‘Prête l’oreille’, une jolie chanson sur la nature. Même s’il n’y a pas de chanson de lui sur le dernier album, Matěj écrit, lui aussi. Enfin, mon père écrit des textes. »« On a plusieurs modèles d’écriture. Il y a par exemple des fois où Maxime ou moi venons avec un petit texte et quelques accords. On commence alors à jouer la chanson, et elle évolue petit à petit avec les idées de chacun. Pour ce qui est du deuxième modèle, que je préfère ces derniers temps, je viens avec la chanson entièrement écrite, en disant aux autres : ‘je veux que vous jouiez ça, à cet endroit-là’. J’aime bien quand la chanson a grandi chez une seule personne. L’idée principale de la chanson est alors plus complète, plus sûre, plus… ‘jasný’! En tchèque on dirait ‘jasný’ (rires) : plus compréhensive, peut-être. »
Aujourd’hui vous êtes le seul Français du groupe puisque vous venez de Rennes, en Bretagne. D’où vous est venu cet amour pour la République tchèque, un pays dans lequel vous vivez aujourd’hui avec votre famille ?
« En fait, c’est un pur hasard. L’amour est venu après. C’est juste une coïncidence, comme plein de choses dans la vie où je me suis un petit peu laissé porter, avec le vent on va dire. Et l’atmosphère qui règne ici m’a beaucoup plu, tout comme la relation des gens avec la nature, la simplicité des choses, le goût pour le jazz à Prague,… C’est pour tout cela que j’ai décidé de rester. »
Dans ce nouvel album, on trouve des chansons un peu plus subversives, ou en tout cas il y a un ‘petit côté rebelle’ pour reprendre le titre de l’un de vos premiers titres, comme dans ‘Interdisez’ ou ‘Vopice’. Est-ce que cette dimension un peu politique était volontaire ? Vouliez-vous faire passer certains messages ?
« Oui je pense… Nous n’essayons pas forcément de faire passer de message ‘politique’ mais peut-être juste de créer un débat au sein de la société, de poser des questions. Il ne s’agit pas nécessairement d’imposer une idée préconçue mais plutôt de faire réfléchir. Par exemple, réfléchir à ce qu’il se passe en ce moment en France : les autorités ‘un peu agressives’ on va dire… »
« La chanson ‘Interdisez’, c’est plutôt une blague, mais c’est un peu subversif aussi. C’est rigolo parce qu’il y a de plus en plus de choses qui sont interdites, donc notre chanson dit : ‘Ça nous intéresse que les choses soient interdites parce que justement, lorsqu’elles le sont, c’est intéressant de transgresser la règle’. Faire la chose qui est interdite évoque un plaisir beaucoup plus intense. Donc ce que dit la chanson, c’est : ‘Interdisez les choses, pour qu’on puisse enfin commencer à profiter de ces choses-là’. Notamment, par exemple : ‘Interdisez les urnes pour qu’on retourne enfin voter’. A titre personnel, j’aime bien quand les artistes s’engagent, et c’est vrai que si c’est un peu rive gauche… enfin ça dépend de quel côté ils s’engagent, on va dire (rires). »
« Il y a deux chansons qui sont assez tristes dans le CD et que j’aime bien - parce que j’aime bien les chansons tristes. Après, on ne joue pas que des chansons tristes parce que le public serait tout le temps un peu dépressif, ce serait dommage (rires). »« Il y en a une, ‘Il fera beau l’année prochaine,’ dont le texte a été écrit par mon père et que je suis assez content de chanter parce qu’elle représente beaucoup de choses pour moi, et une autre chanson écrite en italien qui s’appelle Sant’Antonio. J’aime bien les chanter en fait. Je ne sais pas si ce sont mes préférées, mais peut-être mes préférées du moment. »
« Je sais que les autres membres du groupe auraient cité d’autres chansons parce qu’ils se concentrent sur d’autres aspects de la musique tels que les solos, l’harmonie,… Moi j’aime bien le texte, donc ce sont ces chansons-là qui m’affectent. »
« On joue beaucoup l’été. On part avec une roulotte que Vojtěch a construite. Il a pris un Mercedes Sprinter, en a ôté le châssis et a mis une maison en bois dessus, ce qui fait que l’été, on part avec ça et on va jouer un peu partout. L’été dernier ; on a été en France et l’été précédent en Italie, en Slovénie et en Croatie. »
« On continue à voyager, mais moins intensément, effectivement, parce que chacun de nous fait partie de pas mal de groupes. Moi je joue dans ‘Nerez’, un groupe qui est assez connu en Tchéquie, ainsi que dans un groupe de musique brésilienne et portugaise qui s’appelle ‘Camoes Housle band’. Matěj aussi joue dans plusieurs autres groupes, notamment ‘Tygroo’, qui est très bien et est un peu plus ‘dynamité’ on va dire ! Vojtěch et Matěj ont un groupe ensemble qui s’appelle Der Šenster Gob. Si les gens entendent ces noms-là, je les invite à aller les écouter sur Internet, aussi bien sur Spotify que sur YouTube. Ce sont des groupes qui ne sont pas forcément très connus mais qui s’efforcent de faire des choses intéressantes, qui jouent davantage avec le cœur qu’avec les instruments, et parfois ça manque... Maxime aussi a d’autres groupes en France. Il y a beaucoup de groupes parallèles aux Gars d’en bas. »
« Je pense que l’été prochain nous irons en France : que les gens s’y attendent (rires) ! Mais on continue à faire des tournées ici, en République tchèque. »C’est vrai qu’au-delà de la musique, le voyage est un élément central pour Les gars d’en bas. J’imagine que ce mode de vie un peu bohème vous inspire et joue un rôle dans vos créations...
« Oui, c’est important en ce qui nous concerne. Je pense que si j’étais resté en France, je n’aurais jamais écrit les mêmes chansons que celles que j’écris maintenant. Par exemple, si je n’avais pas rencontré ma compagne, qui est italienne, je n’aurais jamais écrit en italien. Mais au-delà de ça, le fait de voyager, de rencontrer des gens et d’entendre des musiques différentes, nous influence toujours un petit peu parce que tout d’un coup le panel de sons s’ouvre de plus en plus. »
« Et puis on aime aussi le fait de rencontrer des gens différents ; ça nous inspire beaucoup. Donc ce n’est pas nécessairement nous qui voyageons, mais aussi les gens qui voyagent vers nous, et c’est quelque chose qui nous intéresse beaucoup. »
« En fait, il y a eu une période où l’on jouait dans la rue. On prenait la roulotte, comme je disais, et on s’arrêtait si la ville nous plaisait. On essayait d’organiser des concerts, mais c’était plus difficile lorsque vous arrivez le matin en demandant si vous pouvez jouer le soir-même. Maintenant, on a davantage de contacts. On peut donc se permettre d’organiser des concerts à l’avance. »
« En avril, on part en tournée dans deux endroits où l’on vit : Bâle et Rome. La tournée durera deux ou trois semaines où on va aller en Suisse, puis en Italie. »
Toujours avec la roulotte ?
« Toujours (rires) ! Elle donne un côté romantique. Les gens aiment bien voir la roulotte devant le bar, ça les met tout de suite dans l’ambiance. »
« On fait bientôt une sortie de CD. C’est pendant Noël donc ça ne va pas forcément être facile pour les gens mais je leur conseille et leur souhaite de venir. Le 21 décembre on sera donc à Brno dans un bar/club qui s’appelle Kafara, et le lendemain à Kaštan, à Prague. Donc venez ! »
Merci beaucoup Grégoire.
« Merci pour l’intérêt, et venez tous à Kaštan et à Kafara… et à Rome! »