Les Illusions perdues de Balzac en images à Prague

'Les Illusions perdues', photo: SNKLHU

Jusqu’au 15 septembre, sont exposées à la Galerie nationale, à Prague, les illustrations du roman de Balzac, « Les Illusions perdues », réalisées par le peintre et illustrateur tchèque Antonín Pelc. Une occasion unique pour les amateurs de Balzac, et d’art en général, de voir les originaux de ces dessins. Anna Pravdová, historienne d’art et commissaire de l’exposition, profite de l’événement pour revenir sur la vie et le parcours artistique de cet artiste tchèque.

'Les Illusions perdues',  photo: SNKLHU
Né à la fin du XIXe siècle, Antonín Pelc réalisa entre autres des illustrations de livre de plusieurs auteurs français, notamment après qu’il dut quitter la Tchécoslovaquie et qu’il trouva refuge à Paris au début de la Seconde Guerre mondiale. Resté très attaché à la France jusqu’à la fin de sa vie, ces années d’émigration ne s’étaient pourtant pas déroulées dans des conditions très heureuses. Anna Pravdová raconte :

« Il était connu en Tchécoslovaquie comme un artiste très fortement antifasciste, et il a dû quitter le pays immédiatement après l’occupation allemande. Il est allé à Paris avec son ami Adolf Hoffmeister. Il a vécu à la Maison de la culture tchécoslovaque, fondée à Paris au même moment. Ils ont tous été arrêtés en septembre 1939 et emprisonnés à la prison de la Santé. Ensuite, ils ont été envoyés dans des camps d’internement à Paris, et de là, ils se sont refugiés aux États-Unis. Son séjour à Paris n’a pas été très joyeux, mais il est toujours resté attaché à la France, et il aimait la littérature française. »

Antonín Pelc ne s’est pas initialement destiné à l’illustration. Il a en effet entamé sa carrière comme caricaturiste – et travailla par exemple pour le journal tchèque Právo ainsi que pour le New York Times. Ce n’est que dans la première moitié des années 1950 qu’il décide d’abandonner ce « métier noir », ainsi que les artistes surnommaient la caricature commandée par la presse. L’illustration lui a donc servi de transition vers la création libre. Anna Pravdová précise :

« Antonín Pelc a beaucoup illustré. Il est connu notamment pour ses caricatures, il a fait beaucoup de caricatures politiques. Après il s’est tourné vers l’illustration dans l’idée qu’il allait se consacrer à la peinture, et l’illustration était pour lui une sorte de transition entre la caricature et la peinture, on le voit dans ses dessins. Ses premières illustrations, « Muži v ofsajdu » de Karel Poláček, sont encore très linéaires, mais petit à petit il arrive à une illustration très picturale et colorée comme celle qu’il a faite du Balzac. Il a même reçu un prix à la Biennale de Venise dans les années 1950 pour les illustrations d’un livre de Jean Vallès. Comme il avait déjà une bonne réputation en tant qu’illustrateur, la maison d’édition qui a réédité « Les Illusions perdues » s’est adressée à lui pour illustrer ce livre, et comme on connaissait son amitié pour la France, il a dû y répondre très volontiers. »

'Muži v ofsajdu'
Pour ses illustrations des « Illusions perdues » de Balzac, Antonín Pelc a reçu le prix de la foire du livre de Leipzig. Vives et détaillées, ses peintures de scènes et ses portraits complètent gaiement la lecture de ce chef-d’œuvre de la littérature française. Antonín Pelc réussit à peindre non seulement le visage et l’allure des personnages, mais également d’insinuer leur caractère. Partant des descriptions de Balzac, Antonín Pelc n’en use pas moins une technique qui lui est propre, ce qui donne pour effet d’avoir sous les yeux une interprétation très personnelle de sa lecture des « Illusions perdues ». Pour les dizaines d’images qu’il a réalisées, l’illustrateur a utilisé des craies de pastel, qu’il a appliquées sur du papier mouillé. Cette technique permet d’obtenir des traits de dessin très doux, tout en obligeant l’artiste à travailler rapidement. Il en résulte une simplification des formes, qui rappelle son passé de caricaturiste. Anna Pravdová donne son interprétation du style d’Antonín Pelc :

« Balzac est connu pour ses descriptions très détaillées de personnages, et Pelc, à partir de ces descriptions, fait des médaillons de chaque personnage du livre. Il se tient très prêt du livre, mais en même temps le style de ses illustrations n’est pas celui de l’époque de Balzac, du XIXe siècle, qui serait plutôt réaliste. Son style pictural s’inspire plutôt de la peinture fauviste de Paris, des années 1910-1911. Certaines images de Paris dans le livre sont très proches de ce qu’auraient pu faire par exemple Albert Marquet ou Maurice de Vlaminck dans leurs portraits. Je pense que ces illustrations sont parmi les plus belles qui ont été faites pour ce roman de Balzac. »

En tant que peintre, Antonín Pelc sera peu à peu influencé par le cubisme tardif. Il rentre à Prague après la guerre et devient professeur à l’Académie des Beaux-Arts de Prague en 1955. Il reçoit en 1963 le titre d’Artiste national.

Les illustrations originales d’Antonín Pelc des « Illusions perdues » sont exposées à la Galerie nationale pendant deux semaines encore. Nous invitons tous les amateurs d’art et les curieux à s’y rendre, même s’ils n’ont pas lu Balzac !