Les nouveaux magnats tchèques

La vie de chaque jour, en République tchèque, c'est celle de monsieur tout le monde, celle du sans abri, aussi bien que celle du millionnaire. On dit que 10 % de la population fait partie de la catégorie des riches. Mais, parmi les riches, on trouve des différences : il y a les très riches et les moins riches. Nous avons choisi de vous présenter les nouveaux magnats tchèques, les super grands patrons de l'économie, donc des très riches, à priori.

En novembre 1989, le régime totalitaire est tombé en Tchécoslovaquie. Avec le retour de la démocratie, le capitalisme est aussi revenu. Avec lui, plus d'égalité forcée, mais la concurrence, la mise en oeuvre du savoir-faire, de la capacité de faire de l'argent. On pourrait dire que les 10 dernières années ont été une sorte de paradis offrant des possibilités de s'enrichir qui ne se répéteront, peut-être plus. Pourquoi ? C'était le grand changement : l'économie étatique se transformait en économie privée, ce qu'on appelle, plus précisément, l'économie de marché. Cela veut donc dire que les biens de l'Etat étaient privatisés. Ce processus créa des possibilités extraordinaires et les institutions bancaires étaient prêtes à ouvrir, largement, leurs escarcelles. On aurait pu dire, qu'au départ, tous les Tchèques étaient égaux, avaient les mêmes chances de devenir riches...

Cela ne s'avéra vrai qu'en théorie. Seuls quelques Tchèques habiles ont réussi à contrôler un tel volume de biens pour qu'on puisse en parler en tant que milliardaires, en tant que nouveaux Crésus. Il est intéressant de constater qu'il serait difficile, justement, de trouver quelque chose de commun entre eux, quelque chose qui les aurait prédestinés à devenir milliardaires. Voyons en peu qui ils sont, sans pour autant les nommer encore. Au début de leurs carrières, beaucoup n'avaient même pas la trentaine. Le socialisme aboli, certains l'avaient connu au temps où ils étaient étudiants, d'autres, au contraire, occupaient des postes importants, déjà à l'époque de l'économie planifiée centralisée, avant 1989. Certains goûtèrent au capital grâce à la privatisation par coupons, d'autres eurent la chance d'avoir de bonnes relations dans les banques. Force est de constater, pourtant, que la plus grande majorité des milliardaires tchèques du troisième millénaire, ne le seraient pas sans les contacts qu'ils avaient, et ont toujours, avec les politiciens. C'est chez eux qu'ils ont trouvé le soutien pour leurs activités économiques et commerciales, pour leurs objectifs stratégiques. En effet, il fallait bien savoir quelle entreprise acheter, savoir si telle ou telle loi allait changer, aller au devant des futures subventions. De toute manière, les Crésus tchèques ne furent pas les seuls à exploiter leurs contacts au sein de la scène politique...

En examinant l'économie tchèque, dans toute son ampleur, il apparaît que ce sont les investisseurs étrangers qui y possèdent la plus grande influence. Le flambeau est toujours porté par Volkswagen, le groupe allemand qui a acquis l'usine automobile Skoda, déjà au début des années quatre-vingt-dix. Les gros investisseurs étrangers ont, tout d'abord, goûté un peu à l'économie tchèque, avec des expériences dans le processus de privatisation. Peu à peu, toutes les portes leur ont été ouvertes, grâce aux liens créés dans la scène politique aussi. Ils se sont orientés, en premier lieu, sur les grandes institutions bancaires tchèques, qu'ils ont rachetées. Cela a contribué, énormément, à l'enrichissement de la culture du milieu financier, en Tchéquie. La situation géopolitique de la République a, grandement, contribué à l'augmentation de son attrait pour les investisseurs. Après l'adhésion de la Tchéquie à l'OTAN, et avec sa perspective de devenir un membre de l'Union européenne, les investissements étrangers ont encore augmenté. Il ne s'agissait plus seulement d'acquérir les sociétés privatisées, mais aussi de construire de nouvelles entreprises, d'investir directement dans la production, de produire sur le territoire tchèque. Exemple : Phillips, Matsushita ou Panasonic. L'Etat reste, pourtant, le propriétaire de sociétés colossales, comme la compagnie de production et de distribution de l'électricité, CEZ, des Chemins de fer tchèques ou de Telecom. Trop cher pour les grands patrons tchèques, trop cher même pour les éventuels acheteurs étrangers, mais jusqu'à quand ?

Revenons à nos moutons. Qui sont-ils donc ces magnats de l'économie tchèque ? Soulignons, là, que nous ne parlons pas des personnes qui ont gagné beaucoup d'argent par des fraudes diverses, comme Viktor Kozeny, par exemple. Il s'agit des Tchèques qui ont acquis leurs biens par des manières légales, non pas en trompant son prochain, le simple et confiant citoyen. Nous avons choisi les plus gros capitaux, dans différentes sphères de l'économie, de la finance à la télévision, de la porcelaine à la margarine.

Le plus gros groupe industriel tchèque privé est Agrofert. Il est dirigé par un Slovaque, Andrej Babis. Agrofert a vu le jour, tout de suite après la partition de la Tchécoslovaquie, donc en 1993. En 1995 déjà, le groupe, tout en augmentant son capital, a coupé ses liens avec l'ancienne société de commerce extérieur, Petrimex. Comme le nom de cette dernière l'indique, il y avait du pétrole là-dedans... Agrofert représente dans les 10 milliards de couronnes, le plus important groupe de l'industrie chimique tchèque, un groupe qui a réussi à battre les étrangers dans la privatisation de l'industrie du pétrole, avec l'acquisition de la société Unipetrol. L'ancien ministre, Tomas Jezek, avait qualifié la privatisation des Mines d'Ostrava-Karvina, en Moravie du nord, d'inceste. En effet, les barons du charbon moraves, Viktor Kolacek et Petr Otava, avaient tout d'abord vendu leurs propres sociétés aux Mines, pour investir, ensuite, le bénéfice de ces ventes dans l'achat de ces mêmes mines ! Le plus gros groupe financier privé, PPF, ne pensait pas à contrôler les actions de Ceska pojistovna, la Compagnie d'assurance tchèque. En 1995, il acheta 10 % des actions de la compagnie d'assurance, pensant les revendre avec bénéfice. Mais l'appétit vient en mangeant. Un an plus tard, PPF se fixe comme objectif le contrôle total de la société ! Objectif difficile à réaliser, mais le processus compliqué est couronné de succès et, en 1999, la société qui est la plus grande compagnie d'assurance tchèque est la propriété de PPF, qui a battu un géant étranger des assurances, Allianz ! Bien sûr, cela n'aurait pas été possible sans une certaine complicité des institutions bancaires, de la Banque centrale et de son gouverneur et même - souffle-t-on - du ministre des Finances de l'époque...

Derrière ces super puissances on trouve Setuza, entreprise de fabrication de margarine. Le propriétaire a gagné ses premiers millions en revendant aux grossistes du rhum tchèque, exempt de l'impôt sur le chiffre d'affaires dans les années quatre-vingt-dix, la chaîne de télévision Nova, celle qui a le plus d'audience en Tchéquie, fondée avec l'aide financière des Américains, mais tchèque à 100 %, la société des jeux Sazka, Moravie Steel, dans l'acier, SPP Bohemia ou Porcela Plus. L'histoire des magnats tchèques est, souvent, assez ténébreuse. Il ne s'agit pas que des plus riches, seulement. Beaucoup de grands patrons tchèques ont dû, au début, ou au cours de leurs carrières, faire un ou plusieurs pas sur une glace bien fine - comme on le dit en tchèque. Beaucoup se sont, souvent, retrouvés au bord du gouffre, mais le jeu en a valu la chandelle pour certains... ceux qui, de nos jours, sont à la tête d'un empire dans l'économie tchèque. Pour d'autres, la frontière entre le succès et la ruine s'est avérée trop mince. Après la gloire, ils ont connu la déchéance, certains le méchant côté de la justice, la prison. On ne peut que constater pour ceux qui ont réussi, que la recette de Rockfeller est tout aussi valable dans le nouveau monde que dans la vieille Europe, en son centre, en République tchèque.