L’été des bonnes femmes et de la saint Venceslas, ou un été en automne

« Enfilez votre maillot de bain sous votre manteau » - « Pod kabát si vemte plavky », titrait dans son édition de vendredi, pour le dernier jour du mois de septembre, le quotidien gratuit Metro. Depuis plusieurs jours déjà en République tchèque, et plus généralement en Europe centrale, tandis que le matin, dans le brouillard, le thermomètre indique des températures parfois proches de 0° C, l’après-midi, au plus fort de l’activité du soleil, le mercure grimpe jusqu’à plus de 25° C. A cela une raison très simple : nous sommes en plein dans ce que les Tchèques appellent le « babí léto », une expression qui désigne une arrière-saison offrant beau temps et chaleur, une sorte « d’été en automne » correspondant en français à l’été de la saint Martin.

En français, il existe un proverbe selon lequel « Septembre se nomme le mai de l’automne ». Les Tchèques, eux, semblent plutôt voir en septembre la fin de l'été et commencent donc à guetter l'arrivée des premières journées plus froides, plus grises, comme en témoigne le proverbe « V září sice slunce ještě hodně svítí, ale kabát už připravený musíš míti », à savoir « En septembre, le soleil brille certes encore beaucoup, mais ton manteau doit déjà être prêt ». Mais fin septembre - début octobre, les Tchèques profitent aussi régulièrement des dernières journées chaudes et ensoleillées de l’année, des dernières journées estivales malgré l’automne déjà installé, du moins selon le calendrier. Il existe d’ailleurs un très beau proverbe pour mieux comprendre selon lequel « Září, na léto jde stáří », ce qui, traduit librement, donne à peu près « Septembre, l'été prend de l'âge ». Autrement dit, l’été vieillit, entre dans le troisième âge, il est sur le départ, vit ses derniers jours, et l’automne approche à grands pas.

Cette période particulière de l’année, cet été tardif peut-être un peu triste pour certains malgré le soleil très présent, les Tchèques l’appellent donc « babí léto », quelque chose comme « l'été des bonnes femmes ». « Babí » est en effet un adjectif issu du nom« baba », un mot sur lequel nous reviendrons dans une prochaine émission, mais dont pour le moment il suffit de savoir qu’il désigne de manière générale, quoique de façon pas toujours très élégante, les personnes de sexe féminin.

Le dictionnaire étymologique de la langue tchèque émet donc l'hypothèse que cette appellation « babí léto » pourrait provenir de l'allemand. En effet, certaines expressions allemandes indiquent que « babí léto » est à mettre en rapport avec la période du deuxième amour, plus tardif donc, de certaines veuves. Une explication qui n'est assurément pas dénuée de sens, mais qui n’est cependant pas la seule…

Certains linguistes estiment que l’appellation « babí léto » est plutôt à mettre en rapport avec les toiles d’araignée, nombreuses il est vrai en cette période de l’année, qui font penser aux cheveux gris des grand-mères. Or, en thèque, le mot « bába » que nous avons évoqué précédemment désigne familièrement une babička - une grand-mère. D’ailleurs, les enfants tchèques appellent très souvent leurs grand-mères « babi », qui devient alors l’équivalent de « mamie » en français. Quoiqu’il en soit, cette idée de cheveux gris des grand-mères nous fait revenir encore une fois à cette notion d’été vieillissant, sur le départ. « Babí léto » pourrait donc en quelque sorte être traduit comme « l’été des bonnes femmes vieillissantes ». On pourrait simplement se demander pourquoi il s’agit de femmes vieillissantes et non pas d’hommes, qui ne manquent eux non plus pas de cheveux gris…

Et puisqu’il est question d’hommes, précisons encore que ce « babí léto », qui dure environ du 21 septembre, premier jour de l’automne, au 2 octobre, est aussi parfois, quoique beaucoup plus rarement, désigné comme « l’été de la saint Venceslas » - « léto svatého Václava », la saint Venceslas, patron de la nation tchèque, tombant le 28 septembre, soit en plein… « babí léto ». Pour en rester donc à notre idée « d’été de bonnes femmes vieillissantes », mentionnons encore le magnifique proverbe suivant « Divoké husy na odletu, konec i babímu létu » - soit « les oies sauvages prennent leur envol, migrent, et c'est aussi la fin de l'été des bonnes femmes ».

C’est avec ces oies et cet été qui nous quittent que s’achève ce « Tchèque du bout de la langue » très saisonnier. On se retrouve dans deux semaines pour un prochain numéro, lorsque le « babí léto » sera sans doute derrière nous pour de bon. D’ici-là, portez-vous du mieux possible – mějte se co nejlíp !, portez le soleil des bonnes femmes vieillissantes en vous – slunce v duši, salut et à bientôt – zatím ahoj !