Letní Letná : la Compagnie Rasposo à Prague sans son tigre
Pour la toute première fois, la Compagnie Rasposo de France se produit en République tchèque, et plus précisément à Prague dans le cadre du festival de théâtre et de cirque nouveau Letní Letná. Le public tchèque peut découvrir cette compagnie familiale, considérée aujourd’hui comme à la pointe du cirque contemporain, avec ses quatorze représentations du spectacle Morsure. Radio Prague a rencontré la directrice artistique de la troupe, Marie Molliens, dans sa roulotte située à quelques pas du chapiteau dressé sur la colline de Letná jusqu’au 3 septembre :
Vous venez d’une famille d’artistes. Avez-vous depuis toujours eu cette envie de faire du théâtre ?
« C’est vrai que j’ai baigné dedans, que je suis en quelque sorte un ‘enfant de la balle’. Lors de la crise d’adolescence, je voulais faire vétérinaire parce que je suis très proche des animaux. Mais j’ai vite compris que cela n’allait pas être pour moi et que ma vie est de continuer comme mes parents. »Pourquoi avez-vous finalement décidé de vous orienter plutôt vers le cirque nouveau ?
« La compagnie est née à peu près en même temps que le cirque contemporain en France. J’ai suivi depuis toute petite ses premiers représentants : le Plume, l’Archaos, le Zingaro… Tous les précurseurs du cirque nouveau, je les ai vus en spectacle. J’ai donc été très vite nourrie de toutes ces influences. Pour la Compagnie Rasposo, c’était donc aussi assez évident puisque mes parents venaient du théâtre et ils étaient très attirés par le monde forain, le cirque et les bateleurs du théâtre de rue. Nous avons donc mélangé toutes les disciplines. Des arts se sont croisés… »
Votre dernier spectacle que l’on peut voir à Prague s’appelle Morsure. Pouvez-vous le présenter plus en détail ?« Morsure est le quinzième spectacle de la Compagnie Rasposo mais en même temps, il est le premier que j’ai mis en scène. Avant, c’était ma mère qui était directrice artistique. A partir de Morsure, on m’a passé le flambeau. Il s’agit donc de ma première mise en scène et de ma première écriture. Ce spectacle matérialise un sentiment fort que j’ai eu en moi et que j’ai voulu donner au public. Il parle de la férocité des rapports humains et d’une violence contenue qui est un sentiment surtout féminin et qu’ont les femmes à l’intérieur d’elles. »
Morsure présente un vrai mélange des genres théâtraux. Vous êtes fildefériste et acrobate. Ainsi, le spectacle met en scène surtout de l’acrobatie mais il y a également de la danse…
« Dans Morsure, c’est la première fois que nous travaillons avec un chorégraphe. Le spectacle est donc assez chorégraphié car je suis aussi très amoureuse de la danse contemporaine et je trouve que tous ces arts sont assez proches. En mélangeant la danse, le théâtre, le cirque, mais également la musique parce que nous sommes accompagnés par des musiciens en direct, on arrive à un spectacle complet. »Quelle est donc la place de l’improvisation dans vos représentations ?
« L’improvisation est surtout dans l’interprétation de personnages par les artistes. Nous leur donnons plutôt des traits de caractère et puis, chaque artiste modèle son personnage comme il veut. »
Sur combien de temps s’étale le processus de création d’un tel spectacle de cirque nouveau ?
« Pour Morsure, le processus a été relativement long. Nous avons commencé à penser au spectacle au moins trois ans avant la première représentation. Nous avons d’abord tous dû apprendre une nouvelle discipline, celle de la barre russe. Nous sommes donc ‘débutants’ dans ce domaine. Nous avons fait beaucoup de stages avec des entraîneurs professionnels. En ce qui concerne l’écriture, j’ai fait plusieurs ‘essais’, des résidences où j’ai commencé à chercher mon univers et à chercher en même temps une équipe qui allait correspondre à Morsure. »Comment s’est alors formée la troupe actuelle ?
« Le noyau de la compagnie constitue les musiciens qui sont avec nous déjà depuis dix ans. Ils composent la musique pour chaque spectacle. Ils sont devenus de vrais musiciens de spectacle vivant. Ils sont pour nous très importants puisqu’ils nous soutiennent, ils nous suivent et ils forment en quelque sorte la pulsation du spectacle. Puis, nous avons toute une équipe de techniciens qui fait aussi partie du noyau de la compagnie. Au contraire, les acrobates qui se présentent dans Morsure sont très spécifiques à ce spectacle puisque pour raconter ce que je voulais raconter, il me fallait trouver un groupe d’hommes très sanguins et puissants. Ce sont donc des acrobates qui viennent de France et qui ont été formé dans les écoles de cirque en France. »
Est-il vrai que la scène finale s’achève en France avec l’entrée d’un vrai tigre ?« Oui. La dresseuse que vous pouvez voir dans le spectacle est une vraie dresseuse qui a ses tigres en France. Mais en raison des lois actuelles, nous ne pouvons pas passer la frontière avec notre tigre, c’est de plus en plus compliqué. Mais normalement, le tigre y est présent. »
Pourquoi ce choix qui est lié plutôt au cirque traditionnel qu’au cirque nouveau ?
« Parce que pour moi, il n’y a pas de frontières. C’est le cirque ! »
Pour Morsure, vous avez également été récompensée par le Prix des arts du cirque décerné par la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD)…
« Pour moi, c’était une grande reconnaissance. Ce prix a récompensé vraiment l’écriture du spectacle. Et je trouve que pour une première tentative c’est très beau. »
C’est la première fois que la Compagnie Rasposo se produit en République tchèque. Dans quels pays vous vous présentez habituellement ?« On tourne beaucoup en France. Avec Morsure, nous sommes beaucoup allés en Europe limitrophe. Nous avons été en Italie, en Espagne, au Pays-Bas, en Belgique… Avec un précédent spectacle, nous sommes allés même à Montréal. Nous avons donc traversé l’Atlantique avec le chapiteau, c’était toute une épopée et nous en sommes très fiers. »
En regardant ce qui se passe au niveau du cirque nouveau dans d’autres pays, par exemple en République tchèque, voyez-vous des différences ?
« Non, je pense que les différences sont produites seulement par le fait que l’on en est pas vraiment au même endroit dans le parcours, dans l’émergence. En France, le cirque nouveau existe déjà depuis 30 ans. Dans d’autres pays d’Europe, c’est une effervescence pour l’instant. Mais les directions sont les mêmes. »Avez-vous déjà d’autres projets après Morsure ?
« A Prague, ce sont les dernières représentations de ce spectacle. Et puis, dès le mois d’octobre, nous allons commencer les répétitions pour un prochain spectacle sur le thème de la femme de cirque qui apparaîtra en 2016. »