Letní Letná : Viens voir Les Colporteurs !

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La 10e édition du traditionnel festival international du nouveau cirque et du théâtre Letní Letná a démarré à Prague le 18 août. Les artistes français y sont représentés par deux compagnies, Les Colporteurs et Cahin-Caha. Ce sont Les Colporteurs, ensemble créé en 1996, qui ont ouvert le festival avec leur spectacle « Le bal des intouchables ». Radio Prague s’est entretenu avec Antoine Rigot, le fondateur du groupe.

'Le bal des intouchables',  photo: Site officiel de Letní Letná
Les Colporteurs ont été fondés par deux comédiens, Agathe Olivier et Antoine Rigot en 1996. Leur première création, inspirée par le roman « Le baron perché » d’Italo Calvino, s’appelle « Filao » et elle a été représentée 220 fois en trois ans. Il y cinq ans, l’ensemble a participé au festival Letní Letná avec « Le fil sous la neige ». Ils se présentent au public cette année avec une performance créée en 2012 intitulée « Le bal des intouchables ».

Le spectacle « Le bal des intouchables » est un chef d’œuvre du cirque, qui soulève des interrogations quant aux frontières de l'impossible. Mais évoquons tout d’abord le choix de son nom puisque la référence au film « Les intouchables » paraît logique, même si elle est démentie par le fondateur du groupe, Antoine Rigot. Il estime que le lien est plus souvent fait par des médias que par des spectateurs, et que le film est une création indépendante et postérieure à la représentation des Colporteurs qui utilise l’image de l’intouchable :

« Il y a le côté de l’intouchable qui fait référence à la caste indienne des gens qui sont mis au bord de la route, mis à côté, donc, la question c’est pourquoi l’humain est mis à côté, pourquoi on n’est pas capable de construire un système où on pourrait faire attention à tout le monde. D’autres part, dans le cirque, les circassiens sont intouchables, quand ils sont en haut sur le trapèze, très concrètement, on ne peut pas les toucher, non plus quand ils nous font rêver en étant là-haut sur le fil, on ne peut pas y toucher. J’ai aimé cette idée de l’intouchable dans les deux sens. »

'Le bal des intouchables',  photo: Site officiel de Letní Letná
« Le bal des intouchables » se revendique de plusieurs sources d’inspiration, comme Francis Bacon ou encore le comédien américain, Buster Keaton. Antoine Rigot précise quels éléments ont été les plus séduisants pour son équipe :

« Au départ quand on fait un spectacle on cherche des sources d’inspiration pour pouvoir rentrer dans un univers et y ramener tout le monde. Il y a plusieurs sources d’inspiration, parmi eux, Francis Bacon, chez lequel le corps est présent avec des visages effacés, on sent que c’est un beau corps, mais il se retrouve dans des situations très contraignantes. Il y a donc une image d’être dans le cadre ou en dehors des cadres. Il travaille sur le corps, qui n’a pas vraiment sa place ni le droit d’exister et se trouve dans des cadres, donc c’est ce travail là qui nous intéresse au fond chez Bacon, mais il ne s’agit pas de reproduire cela, mais de proposer une réflexion à l’équipe et de réunir les gens ensemble. Donc il y avait plusieurs sources d’inspiration du point de vue philosophique et puis pour construire le groupe. On se réfère également à Buster Keaton qui parle souvent de choses tragiques mais qui s’en sort grâce à son humour, c’est aussi un regard sur l’humain et l’humanité qui met une distance et qui avec la pirouette de l’humour parle de choses dramatiques. Ce que ces gens arrivent à faire est énorme est nous aimerions juste toucher à cela. »

Ces points de départ servent de socle commun aux improvisations des artistes sur lesquelles se construit ensuite le spectacle. Antoine Rigot en décrit le processus :

'Le bal des intouchables',  photo: Site officiel de Letní Letná
« On met donc en condition un peu le groupe, avec les sources d’inspiration que je viens d’écrire, ensuite on a des thématiques sur lesquelles on discute, on écrit et on fait des petites improvisations, parce qu’on ne veut pas rentrer au premier degré dans des histoires, mais tout cela existe en dessous de ce qu’on va raconter et après des situations arrivent lors des improvisations. C’est vrai que pour moi ce n’est pas une obligation d’avoir quelque chose de narratif qui raconte et qui fait forcément passer un message, mais par contre ce qui sera montré au public pour nous, on sait d’où ça vient et ça vient sur certaines réflexions. Après, le fait que le public le voit directement n’est pas forcément important, mais à mon avis, il ressent quelque chose et il peut se raconter ses propres histoires avec les situations et donc comprendre ou réinventer à sa manière ces questionnements que nous avons sur l’humain. »

Même si l’interprétation du spectacle est une entreprise subjective, il est clair que les huit artistes provoquent des émotions. Ils ne présentent pas une ligne narrative claire mais donnent des indices quant à la découverte de soi et de sa place dans la société. « Le bal des intouchables » fait répondre la virtuosité et la sagesse à la cruauté et la rivalité. C’est une pièce très individualisée qui permet à chaque artiste, seul ou en binôme de faire ressortir son originalité. Antoine Rigot l’avoue, la place de l’individu se trouve au cœur du spectacle dans lequel on découvre un accent humaniste et à sensibilité sociale. La pièce s’ouvre avec une scène de foule qui écrase un individu, plus fatigué, ou peut-être moins brillant que les autres. Cela résonne effectivement avec les images des personnes exclues de la société, une image récurrente de notre vie quotidienne. En ce qui concerne Antoine Rigot, le spectacle lui permet de mettre en scène sa vision de la place de l’individu au sein de la société. Il se dit idéaliste :

'Le bal des intouchables',  photo: Site officiel de Letní Letná
« C’est l’humain qui est au centre du spectacle. Enfin, c’est le public qui doit le dire, mais ce que nous on essaie c’est de mettre en valeur les personnes qui sont là et qui font le spectacle, toute leur sensibilité, leur intimité, d’essayer de faire cela au mieux pour qu’ils puissent s’exprimer. C’est de se dire, quelle est la vraie richesse aujourd’hui, dans notre système, si ce n’est pas les gens eux-mêmes. Alors que notre système a tendance à mettre les gens sur le côté pour une richesse artificielle. Donc de se demander qu’est-ce qui est important et à quoi il faut faire attention. »

En l’an 2000, Antoine a été victime d’un accident grave qui l’a empêché de continuer avec le cirque tel qu’il en était habitué. Malgré des prédictions pessimistes, il continue son engagement avec le cirque et plusieurs spectacles des Colporteurs évoquent de différentes manières son expérience. Normalement, il participe lui-même au « Bal des intouchables ». Pour des raisons de santé, à Prague, il est remplacé dans son rôle par un clown. Il exprime la particularité de cette situation :

'Le bal des intouchables',  photo: Site officiel de Letní Letná
« La situation est un peu particulière ici à Prague parce que j’ai dû me faire opérer de l’épaule et on a fait le pari avec l’organisateur de faire le spectacle quand même et de me faire remplacer. J’ai choisi un clown pour me faire remplacer. J’ai pensé que ça serait un peu plus compliqué pour un comédien de jouer mon rôle au premier degré, tandis que le clown a du recul et il a sa place dans le cirque. Moi-même, si je suis allé faire du cirque, c’est parce que je voulais faire le clown donc c’est quelque chose qui me parle et j’aurais voulu oser faire mon rôle en clown, ce que je n’ai pas encore osé. Le clown peut s’approprier n’importe quelle histoire. C’est un enfant, naïf, il n’a peur de rien, il peut aller dans tous les sens et on ne va pas le juger. Il peut toucher des gens simplement et directement et donc on a fait le pari de me faire remplacer par un clown. On est content du travail qu’on a fait avant de venir. On est curieux de découvrir le spectacle avec ce nouveau personnage et donc c’est encore une première ici à Prague ce qui est vraiment chouette. »

Enfin, nous avons abordé avec Antoine Rigot un aspect pratique de la vie du cirque – c’est-à-dire l’impact d’une telle troupe sur l’environnement. Il s’est avéré que l’équipe prend très au sérieux ce côté écologique :

'Le bal des intouchables',  photo: Site officiel de Letní Letná
« C’est un peu compliqué parce qu’une structure comme un chapiteau c’est un peu tout le contraire de quelque chose d’écologique. Il faut le déplacer, il faut les camions, quand il fait froid, il faut chauffer et ça gaspille beaucoup. Mais nous avons commencé à considérer comment réduire les frais avec le financement qui baisse. Donc on a mené la réflexion sur la location du matériel et la réduction des coûts, et dans tout ce qu’on invente, on prend en compte le développement durable. Quand on tourne en France, au lieu de louer des toilettes chimiques, ou des structures qui sont compliquées et coûtent cher, on amène nos propres toilettes sèches, des choses toutes simples qui font un peu avancer les choses. On essaie de comprendre comment on peut réinventer l’itinérance de manière moins chère et plus intelligente. Ce n’est pas facile, c’est des petites choses. »

Le festival Letní Letná est devenu un rendez-vous incontournable du nouveau cirque et du théâtre en République tchèque. Les organisateurs font venir à Prague une pléiade d’artistes de renommée internationale et permettent donc au public d’assister à des spectacles inédits. L’année passée, plus de 25 000 spectateurs avaient assisté au festival. Cette année également, la popularité est telle qu’il vaut mieux réserver ses places à l’avance. Les Colporteurs jouent « Le bal des intouchables » chaque soir à quelques exceptions près jusqu’au premier septembre.

www.letniletna.cz