L’imposante voix d’Yvonne Přenosilová

Photo: Supraphon

La voix de la chanteuse Yvonne Přenosilová est une des plus emblématiques des années 1960. Si son timbre unique a accompagné le public pendant une décennie, soit une durée assez courte, il n’a pas été oublié pendant le régime communiste et a été « retrouvé » peu de temps après la Révolution de velours. Dans la demi-heure qui suit et en compagnie des plus grands tubes d’Yvonne Přenosilová, nous allons retrouver ensemble la scène musicale des années 1960, où l’arrière-plan politique du durcissement du régime a dicté les changements dans la vie de centaines d’artistes.

Yvonne Přenosilová, une future légende apparue dans les années soixante

« Lips sweeter than wine
Ah, eyes that sparkle and shine
Oh, well, that's my baby
Right down to the tee Here on Earth But he's so heavenly
Yeah, here on Earth
But he's so heavenly »

Photo: Supraphon
Yvonne Přenosilová grandit dans une famille pour le moins atypique, dans la mesure où sa mère est autrichienne et son père un officier de l’armée tchèque, qui sera condamné à perpétuité dans les années 1950 pour avoir lutté contre les nazis aux côtés d’Anglais. Il ne fera finalement qu’un an de prison. S’ensuivent alors pour la famille des moments difficiles de terreur et de psychose, qui alimenteront un sentiment de peur permanent. Malgré cela, Yvonne Přenosilová démarre sa carrière de chanteuse à l’âge de 16 ans, après avoir participé à une audition du théâtre Semafor en 1963, une audition d’ailleurs secrètement filmée par le réalisateur Miloš Forman, qui intitulera ce documentaire « Konkurz ». Parmi les trois cents candidates inscrites, seule Yvonne Přenosilová obtiendra son ticket d’entrée pour le Semafor. Cette reconnaissance lui ouvrira les portes notamment du célèbre groupe Olympik ainsi que celles d’un autre théâtre, Apollo, devenu par la suite le Studio Ypsilon. A l’âge de 17 ans seulement, soit en 1964, Yvonne Přenosilová réinterprète en tchèque la chanson de l’Américaine Brenda Lee « I’m sorry », un morceau devenu extrêmement populaire et qui reçoit le titre tchèque de « Roň slzy » - « Verse des larmes ». C’est cette même année qu’Yvonne Přenosilová est récompensée lors de la remise des prix des Zlatý slavík – Les Rossignols tchèques, où elle arrive deuxième.

« Tellement vides, tellement vides, tellement vides
Sont ces matinées, que j’accueillerais même des larmes. C’est alors que je comprends que cette culpabilité repose sur mes
épaules
Et c’est aussi de ma faute que le temps s’écoule en vain
Je voulais déjà être mariée
Mais je me réveille en pleurs
Les rendez-vous sur les quais me manquent. Tellement vides, tellement vides, tellement vides
C’est comme cela que j’imagine toutes mes matinées
Tellement vides, tellement vides, tellement vides
Qu’il serait meilleur d’aller dormir. »

Une carrière prometteuse stoppée nette après son exil

Photo: Supraphon
Yvonne Přenosilová enchaînera avec des morceaux devenus des tubes comme « Pomalu a líně » - « Lentement et paresseusement », « Měsíc » - « La Lune », « Tak prázdná » - « Tellement vide » ou « Boty proti lásce » - « Des chaussures contre l’amour », une reprise de la chanson « These boots are made for walking » interprétée par Nancy Sinatra en 1966. Yvonne Přenosilová se rendra notamment pendant un mois à Londres, où elle chantera non seulement pour la radio de Londres, et enregistrera quelques chansons en anglais, mais se produira aussi sur la même scène que les Rolling Stones. Néanmoins la carrière très prometteuse d’Yvonne Přenosilová sera interrompue par l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie en août 1968.

Quelques mois auparavant, Yvonne Přenosilová, fait partie des premières personnes qui signent le manifeste Les Deux milles mots (Dva tisíce slov), un important document écrit pendant le Printemps de Prague et critiquant le conservatisme du parti communiste ; un document qui sera alors qualifié par le parti de contre-révolutionnaire. Si cette signature sera à l’origine de menaces prononcées à son encontre, suivies d’un harcèlement téléphonique continu et d’une angoisse omniprésente, l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes au mois d’août 1968 représentera la dernière goutte d’eau. Yvonne Přenosilová ainsi que ses parents décident d’émigrer et de rejoindre l’Allemagne.

« Nous irons à la cave,
Nous nous asseirons dans un coin, à l’ombre doux. Nous nous embrasserons,
A côté de ces chaleureux verres de vin remplis,
De très bons vins. Nous allons boire cet amour sanglant ensemble,
Et cette cave à vin
Sûrement qu’elle te fera accélérer ton battement
Et que tu me voudras de nouveau. »

Photo: Supraphon
Yvonne Přenosilová reste en exil à Munich pendant près de vingt-six ans. Si elle tente d’y poursuivre sa carrière de chanteuse, ce sera toutefois sans grand succès, elle deviendra par la suite hôtesse de l’air (sans pouvoir voler pour autant) et fondera une famille. Egalement exilé à Munich, le chanteur Karel Kryl lui suggère un poste à la Radio Free Europe au sein de la section tchécoslovaque, où elle devient donc journaliste spécialisée dans la musique. Grâce à la chute du communisme, au mois de novembre 1989, Yvonne Přenosilová effectuera des va-et-vient entre les deux pays, mais lorsque la section tchécoslovaque à Munich est supprimée, elle décide de retourner au pays pour de bon. A Prague, elle réintègre la Radio Free Europe, tout en se produisant sur différentes scènes et en retrouvant son public, qui ne l’avait pas oubliée.