Maria Bonsanti : le documentaire, une forme difficile à définir, ouverte à mille possibilités

Maria Bonsanti, photo: Film Servis Festival Karlovy Vary

Dans cette rubrique panorama, Radio Prague revient sur le plus grand festival de cinéma de République tchèque, le Festival international du film de Karlovy Vary, qui se déroule chaque année au début du mois de juillet. Pour cette 48e édition, Maria Bonsanti, la directrice artistique du festival du Cinéma du réel à Paris, était membre du jury dans la catégorie film documentaire. Elle a accepté de s’exprimer au micro de Radio Prague pour mettre en relief ces deux expériences professionnelles et cinématographiques.

Maria Bonsanti,  photo: Film Servis Festival Karlovy Vary
« Pour cette édition, je suis à Karlovy Vary en tant que membre du jury de la compétition de documentaires. C’est un peu une expérience « à côté » dans le sens où nous sommes ici pour travailler, pour fournir un service professionnel. Mais ce n’est pas la première fois que je viens à Karlovy Vary. J’étais très contente quand Karel Och m’a invité dans le jury (le directeur artistique du festival, ndlr) parce que j’avais déjà participé et je trouve que c’est un festival très particulier car c’est un grand festival mais avec une atmosphère amicale et détendue. »

Vous avez le temps de voir également des fictions ou vous vous concentrez uniquement sur les documentaires ?

« Non, j’en profite aussi pour voir des films des différentes sections, des films de fiction et des films que je n’ai pas eu l’occasion de voir dans d’autres festivals, à Cannes ou autre. Donc, c’est une façon de découvrir de nouveaux films. Une partie des films, on les voit pour des raisons professionnelles et d’autres pour le plaisir mais cela fait partie d’un tout. »

Y-a-t-il un regard différent quand on coordonne la programmation d’un festival et quand, en tant que membre d’un jury, on doit juger les films ?

« C’est une expérience assez différente dans le sens où quand on fait partie d’un comité de programmation, on cherche surtout à composer un dialogue entre les différents titres. Les raisons qui aident à faire un choix sont donc multiples. On ne pense pas au meilleur film mais à ceux qui permettront de construire une ligne, de fournir une proposition artistique. Quand on est dans un jury, choisir le meilleur film n’est pas l’expression exacte, mais c’est vrai qu’il faut faire un choix. »

Qu’attendez-vous d’un film documentaire ? Qu’est-ce qui vous enthousiasme ?

« C’est difficile à dire. En ce moment, je dirais le courage, le courage dans l’approche, le courage d’un rapport personnel avec la réalité, le courage de profiter d’une forme de plus en plus difficile à définir et donc explorer les mille possibilités du cinéma, pas seulement du documentaire. Après, il s’agit de trouver des films qui ont un respect pour leur sujet. »

Et sur les films que vous avez pu voir jusqu’à présent ?

« Déjà, c’est assez difficile de dire quelque chose quand on est membre du jury. Mais mon impression, c’est qu’il y a une ligne dans la sélection qui a été faite et c’est une ligne qui montre souvent des portraits avec des histoires à la fois personnelles et universelles. Donc, la bonne impression, c’est de voir qu’il y a un choix artistique dans un sens. »

Et dans les autres films dans d’autres sections ?

'Eat Sleep Die',  photo: Film Servis Festival Karlovy Vary
« Oui ! Par exemple, je pense au film Eat Sleep Die (un film suédois de Gabriela Pichler à propos d’une jeune femme à la recherche d’un emploi et qui doit en même temps s’occuper de son père malade, ndlr). C’est un film de fiction mais qui a une qualité, une capacité de raconter le réel, le monde du travail, le travail comme dignité, qui m’a beaucoup touché. »

Pour revenir à votre travail de directrice artistique, le festival du Cinéma du réel propose peu de films relativement par exemple à d’autres festivals de documentaires, comme en République tchèque avec celui de Jihlava et One World à Prague. Il y a plus de 200 films projetés ici à Karlovy Vary. C’est votre volonté au Cinéma du réel de proposer une sélection plus resserrée ?

« En fait, cette année, il y avait quatre sections et on a présenté 43 titres. Ensuite, le Cinéma du réel a une partie assez forte constituée de rétrospectives et hommages. Donc en tout il y a environ 120 titres. La sélection officielle, c’est-à-dire les compétitions, si l’on veut vraiment aider les films, il faut valoriser les titres qu’on arrive à choisir après un an de travail. Et c’est sûr que de pouvoir montrer les films trois fois, d’inviter les réalisateurs, de leur donner la possibilité de rencontrer le public à plusieurs reprises, c’est plus efficace pour les films qu’on choisit. C’est en tous cas la volonté du Cinéma du réel, de valoriser les titres. C’est pour cela que l’on hésite et que l’on ne veut pas augmenter de façon exagérée les titres en compétition. Même si j’ai augmenté les titres par rapport aux années précédentes. Le festival doit surtout parler au présent. »

Cela pose aussi la question de pouvoir se distinguer pour un festival, il y en a beaucoup. Comment on se distingue des autres festivals ?

Photo: Kristýna Maková
« Je crois qu’il faut trouver le bon équilibre entre tradition, lieu et capacité de regarder le présent et le futur. En ce sens-là à Paris, le festival a une tradition très longue, une identité très forte et très précise. Et c’est aussi sa force. C’est un festival qui laisse la place aux films les plus indépendants et à la recherche sur le langage, sur le cinéma avec toujours cette idée du documentaire comme du cinéma. C’est vrai qu’il faut se distinguer parmi les grands festivals mais pour les festivals de taille moyenne, c’est leur identité qui va aider les films que tu montres. »

C’était votre première année en tant que directrice artistique du festival du Cinéma du réel. Quel bilan vous en avez tirez et qu’envisagez-vous pour l’année prochaine ?

« Après deux mois très difficiles et fatigants, car nous avons préparé le festival en cinq-six mois, j’ai été nommée en octobre et le festival a eu lieu en mars, je suis contente. Il y a eu une augmentation du public très forte. Le programme a été bien reçu mais avec quelques légers changements que j’ai pu proposer dans la programmation. Je vais essayer de continuer sur cette ligne, c’est-à-dire d’un côté de renforcer encore plus les liens internationaux du festival et de l’autre de renforcer les moments de rencontre dans le festival. Par exemple à Karlovy Vary, une des forces du festival, c’est vraiment la possibilité de rencontrer les professionnels. Je crois que c’est un bon choix de faire cela à Paris, les gens veulent venir à Paris, donc on va continuer dans cette direction. »

'Český Sen'
Enfin, j’aimerais savoir quel est votre rapport au cinéma documentaire tchèque. Il y a des personnalités actuellement comme Olga Sommerová ou encore Vít Klusák et Filip Remunda, qui se sont fait connaître avec Český Sen…

« Vous prenez l’exemple de Český Sen. Ce film a été reçu à l’étranger comme un ‘turning film’, c’est-à-dire un film qui a donné beaucoup d’attention au cinéma thèque. En ce moment, j’ai envie à Karlovy Vary de découvrir ce qui se passe en République tchèque. Ce qui est très intéressant, c’est qu’il s’agit souvent de jeunes réalisateurs. Il faut regarder les écoles, des écoles qui ont une longue tradition et qui ont été capables de se renouveler. Donc, c’est sûr que les documentaires tchèques et d’Europe de l’est sont des films auxquels il faut donner une certaine attention et pas seulement à Český Sen. Il y a aussi les films qu’ils ont fait ensuite ou ceux d’Helena Třeštíková (connue pour ses documentaires en forme de portrait réalisés sur de longues périodes) qu’on programmait toujours quand j’étais à Florence. »

'Beach Boy',  photo: Film Servis Festival Karlovy Vary
Avant de devenir la nouvelle directrice artistique du Cinéma du réel en octobre 2012, Maria Bonsanti était en effet codirectrice du festival dei Popoli à Florence. A Karlovy Vary, c’est l’œuvre Beach Boy du cinéaste Emil Langdalle qui a été récompensée dans la catégorie documentaire de moins de trente minutes. Du côté des long-métrages, c’est Roura (le Tuyau) de Vitalij Manskij qui a été distingué.