Marie Majerová, une communiste dans le tourbillon du féminisme
Il n’est pas facile de cerner la personnalité de Marie Majerová, écrivaine qui a laissé son empreinte dans la littérature tchèque de la première moitié du XXe siècle. C’est d’autant plus difficile qu’elle changeait avec le temps et qu’il y avait une grande différence entre la femme qu’elle avait été avant la Deuxième Guerre mondiale et celle qu’elle est devenue après la victoire du communisme dans son pays. Impossible de nier que c’était une femme de lettres de talent, mais il faut dire aussi que la fin de sa vie a été éclaboussée par le dogmatisme communiste. C’est sans doute cette dernière étape de son existence qui l’a reléguée au purgatoire de la littérature et qui en a fait le symbole d’une littérature asservie au totalitarisme. Le livre « Marie Majerová – femme fatale de l’avant-garde tchèque », une monographie détaillée parue aux éditions Akropolis, démontre cependant qu’une grande partie de l’œuvre et de la vie de Marie Majerová reste pratiquement inconnue.
« Elle était connue et en même temps ne l’était pas. On connaissait plutôt les aspects négatifs de sa personnalité. Elle a écrit beaucoup de textes dont on ne parlait presque pas. Sa personnalité d’avant-guerre était éclipsée. Au Musée national de la littérature à Prague il y a 70 caisses de documents sur elle. Il y a eu donc beaucoup de sources même de ce côté-là. »
Fille du peuple, Marie Majerová est sensible dès son enfance à la question sociale. Née en 1882, elle ne se plie pas au sort qui lui réserve l’avenir d’une servante. Son besoin de liberté la pousse à vivre d’une façon qui est scandaleuse pour l’époque. Attirée par l’anarchisme, elle n’épouse son premier mari qu’après la naissance de leur fils. Elle fait ses premières tentatives littéraires et après le succès de sa nouvelle intitulée « La virginité », elle quitte son mari et son fils pour s’installer à Paris, pour y étudier et vivre une vie de bohème. Elle ne cache pas ses sympathies pour l’amour libre, pour le socialisme et plus tard pour le communisme. Elle s’intéresse profondément à la condition de la femme et déploie une grande énergie pour apprendre aux femmes qu’elles sont égales aux hommes. La justice et la condition sociales sont les thèmes majeurs de ses œuvres littéraires et de ses activités journalistiques. Membre de l’avant-garde littéraire, amie d’écrivains et artistes connus, elle devient elle-même une personnalité littéraire de premier plan. En 1929, elle est exclue avec d’autres intellectuels du parti communiste pour avoir protesté contre les aberrations staliniennes. Elle revient au parti en 1945 et inaugure la dernière étape de sa vie qui la couvrira d’honneurs, lui assurera une situation privilégiée dans les lettres tchèques, mais n’ajoutera rien de vraiment valable à son œuvre littéraire. Elle se prête à jouer le rôle de la femme de lettres officielle et devient une personnification du réalisme socialiste et de la littérature muselée. Ses romans deviendront lecture obligatoire dans les écoles et les jeunes lecteurs déjà découragés par le côté idéologique de son œuvre, s’en détourneront définitivement. Elle mourra en 1967.Les documents sur Marie Majerová démontrent que c’était une des rares femmes de lettres tchèques de la première moitié du XXe siècle à être influencée par le féminisme. Cette tendance se heurtait cependant à son orientation politique. C’était quelque chose de nouveau, d’inattendu et cela s’est manifesté dans toutes ses œuvres, y compris dans son roman « La sirène », son plus grand succès littéraire. Dana Nývltová a cherché à effacer tous les clichés créés autour de Marie Majerová par le régime communiste, mais aussi par elle-même :
« La partie essentielle de cette étude tâche de cerner la personnalité de Marie Majerová en tant que publiciste, militante et féministe. Sa création littéraire y est un peu moins représentée. A cela correspond aussi le choix de textes qui accompagnent cette étude. Les textes sont répartis selon les chapitres de l’étude elle-même. Je me penche d’abord sur la situation de la femme en général, et puis sur la situation de la femme telle qu’elle a été perçue par Marie Majerová. »
Un chapitre de la monographie retrace les activités de l’écrivaine dans le domaine de la critique littéraire. Elle prête une grande attention à la littérature féminine et aux aspects féminins de la littérature mais son approche de cette problématique est ambivalente à cause de son orientation politique. Un chapitre important qui est intitulé « Maternité et représentation » réunit ses textes artistiques et journalistiques sur le rôle de la mère. Et Dana Nývltová examine aussi la correspondance et le journal de Marie Majerová parce que ces sources complètent le portrait de l’écrivaine. Elle se rend compte cependant que ces journaux et même ces lettres sont souvent stylisés parce que leur auteure voulait donner une certaine image d’elle-même et cette image apparaît ensuite sous une forme différente dans sa création artistique et aussi dans son œuvre de publiciste.
Deux tendances principales ont dominé l’œuvre et la vie de Marie Majerová – le féminisme et le communisme. Dana Nývltová constate que ces tendances étaient pratiquement incompatibles :
« Elle n’aurais jamais admis d’être considérée comme féministe, mais l’analyse de ses activités démontre que ce qu’elle faisait dans le cadre du mouvement socialiste et plus tard communiste était l’action féministe. Elle le faisait pourtant dans le cadre d’une idéologie qui s’opposait au féminisme. Le communisme ne faisait pas de distinction entre les droits de l’homme et ceux de la femme. Tous devaient être égaux en droits. Il s’avérait cependant que dans la pratique c’était bien différent et que souvent les hommes communistes boycottaient la distribution des périodiques féministes. Ils se comportaient donc tout à fait comme les autres hommes influencés par l’éducation patriarcale et l’évolution historique. »
Et Dana Nývltová de rappeler qu’à la différence de ce que nous croyons savoir sur Marie Majerová, elle soulignait dans ses articles d’avant-guerre que la révolution ne changerait pas, comme par un coup de la baguette magique, la situation de la femme, que les femmes communistes ne seraient pas tout à coup égales aux hommes communistes, mais qu’elles devraient travailler activement pour défendre leurs droits. C’est pourquoi elle voyageait dans tout le pays exhortant les femmes à être actives, c’est pourquoi elle écrivait dans des revues féministes et cherchait à compléter l’instruction des femmes. Elle souligne qu’il faut s’occuper des problèmes féminins de tous les jours dont, bien sûr, l’éducation des enfants. Influencée par les idéaux de la Révolution russe, elle est convaincue que l’enfant est un bien collectif, et qu’il ne doit pas être éduqué par la famille mais par la société. Et Dana Nývltová de rappeler que l’écrivaine a tenté de réaliser ces idées dans sa vie :« Par sa propre vie elle démolit un certain mythe de la maternité. Elle a un fils, mais ses rapports avec lui sont très problématiques. Elle désire réaliser dans sa vie l’idée de la maternité libre ce qui, probablement, n’était pas possible à son époque. En même temps, elle s’attaque aux icônes de la féminité de son temps – femme martyre, femme mère, femme marchandise. Elle en parle très ouvertement et souvent avec ironie et humour. »