Miloš Síkora : « Je veux m’effacer moi-même »

Miloš Síkora

Miloš Síkora est peintre. Né en 1945, en Bohême du Sud, il vit depuis 1989 en France où il puise son inspiration pour ses peintures. Ses voyages l’ont également mené en Inde, en Irlande. Exposé au début de l'année dernière au Centre tchèque de Paris, c’est là que Radio Prague l’a rencontré.

Miloš Síkora
Miloš Síkora, vous êtes peintre, vous avez à l’heure actuelle une exposition au Centre tchèque de Paris, à l’heure où nous diffuserons cette émission cette exposition sera terminée, mais cela n’empêche pas d’en parler car cela permet de parler de votre travail. Pour commencer je vais rappeler que vous êtes né à Nesměň, en Bohême du Sud en 1945. Vous avez grandi là-bas, est-ce que cette région vous a marqué ?

« Oui, c’est à côté de České Budějovice, c’est un village que j’aime beaucoup. Mon père est mort l’année dernière à 94 ans, j’ai hérité d’une maison là-bas. J’y vais souvent, je connais les gens depuis que je suis petit. L’année dernière le village fêtait ses 600 ans. A côté du village il y a un étang qui s’appelle Pusťák, le village était là-bas avant, mais les Hongrois et les Avars ont totalement détruit le village. J’ai été forcé d’immigrer en France ! (rires) »

Plus tard vous avez fait des études aux Arts et Métiers de Prague. Qu’est-ce qui vous a poussé à la peinture à l’origine ? C’est quelque chose de famille ?

« Non, pas du tout. Mon père était instituteur et ma mère couturière. J’ai commencé à dessiner des objets en noir et blanc, je n’aimais pas tellement la couleur. Mais c’est la France et sa luminosité qui ont changé cela. J’ai commencé à vraiment faire de la peinture en 1989. »

J’ai lu que vous aviez été proche du milieu surréaliste tchèque. Dans quelle mesure ce courant vous a-t-il apporté quelque chose ? Qu’est-ce qui vous a plu dans ce groupe ?

« Avant 1968 c’était quelque chose de révolutionnaire, j’avais des copains artistes et poètes, je les admirais. Mais je pense que maintenant c’est vieillot, même par exemple le film ‘Survivre sa vie’, mais je crois que c’est un cliché surréaliste. »

A l’époque c’était plus avant-gardiste ?

« C’est cela oui. A l’époque il n’y avait pas le choix. Tout a commencé dans les années 1960 avec Mikulaš Medek, Kolbasa. A l’époque c’était vraiment quelque chose. »

Comment avez-vous vécu 1968 ?

« Je me suis réveillé à quatre heures et ma mère m’a dit : les Russes sont là. Je suis allé voir un copain et à partir de cinq heures on a vécu les journées comme ça. Un jour j’étais à côté des chars, ils ont brûlé des tanks place Venceslas. Les Russes ne savaient même pas où ils étaient, on leur posait des questions, ils disaient ‘nous sommes en Allemagne’ ou quelque chose comme ça. A côté de Český Rozhlas, la radio tchèque, ça bataillait dur, on a eu la trouille. »

Quand avez-vous pensé à partir ?

« C’est le groupe surréaliste qui est parti en entier, Petr Kral et notamment Prokop Voskovec. Petr est resté, moi j’avais un an de retard et donc je suis parti en 1969. J’étais presque admis aux Beaux Arts à Paris mais cela a commencé à se dégrader parce qu’en octobre ils ont totalement fermé les frontières. On m’a dit qu’il fallait que je rentre car si je restais j’étais un méchant immigrant et je ne pouvais pas avoir une bourse pour faire des études aux Beaux Arts. A l’époque j’étais en couple et on s’est dit que l’on ne pouvait pas venir car elle ne pourrait pas me rejoindre à cause de la fermeture des frontières. Je suis rentré en février, mars, 1970 à Prague. Je suis parti définitivement au printemps 1989. J’étais dans un foyer à Amiens, avec des Roumains, des Turcs, des Vietnamiens, on a appris la langue française. C’était agréable finalement. »

Pourquoi vouliez-vous aller en France ?

« A l’époque dans les années 1960 on fumait des Gauloises, on buvait du pastis, c’était le plaisir total. Le premier mot qu’on a appris était ‘chauffage central’, ça me plaisait. »

Je disais en introduction que le Centre tchèque de Paris présente votre exposition qui est terminée au moment où l’on diffuse cette émission. Pouvez-vous détailler votre travail ? Que peut-on y voir ?

« C’est un carnet de voyage d’Inde. Et des phares. Il y a six ans j’ai eu un cancer des ganglions, pendant six mois j’étais en chimio, j’ai commencé à dessiner des phares comme ça, et je me suis rendu compte que c’était un SOS, ils clignotaient. J’ai fait le tour des côtes de France, de diverses régions, j’ai commencé par la Normandie, après on est resté trois semaines à l’île d’Ouessant, c’était merveilleux, je me suis dit que c’était l’Eden sur terre. Quatre phares clignotent la nuit, il y a les étoiles et la mer... Des gens magnifiques. »

Est-ce que cela n’est pas une caractéristique tchèque du fait de ne pas avoir la mer ?

« Exactement ! En plus ma première fois à la mer c’était en 1974, en Pologne, donc la Baltique n’a rien à voir avec la Normandie ou la Bretagne. J’avais envie d’être marin à l’époque, après l’école, on m’a proposé Odessa ou Gdansk en Pologne. Je devais faire mon baccalauréat, j’ai alors décidé de ne pas aller à Odessa mais à Gdansk. »

Vous dessinez la mer, c’est moins fatigant…

« Oui voilà, c’est moins fatigant, mais quand même les vagues ça se répète. On dit souvent que le peintre répète un tableau, mais je ne crois pas, il faut répéter des choses et puis ça vient comme des vagues. »

Vous avez également une technique particulière : vous lavez vos dessins. Pouvez-vous nous la décrire ?

« C’est un effacement, je veux m’effacer moi-même. Quelque chose reste et devient autre chose. J’ai des dessins sur du papier de riz, assez solide, je dessinais et lavais dans une douche afin de donner quelque chose d’autre. J’étais même étonné du résultat. »

Parfois, quand on regarde vos travaux exposés au Centre tchèque, on dirait que vous utilisez des pochoirs à la manière des hommes préhistoriques, comme des empreintes. C’est quelque chose à laquelle vous avez pensé ou alors c’est un résultat ?

'Piafs'
« C’est le résultat. Le dernier, c’est la technique au savon de Marseille, ça tient et on dirait du yoghourt bio. On ne voit presque rien du tout mais j’aime ça. C’est un peintre coréen qui m’a inspiré, je m’approprie l’Asie. Je lave au savon des dessins déjà lavés. »

Comment êtes-vous parvenu à cette technique ?

« Par hasard, lorsque j’ai glissé du savon de Marseille, je me suis fâché et j’ai commencé à laver les dessins. Du coup ça a donné quelque chose de plus doux et qui sent bon. »

Vous partagez votre vie entre la France et la République tchèque, est-ce cette situation est difficile ou enrichissante ?

« J’ai des amis à Prague depuis toujours, mais en ce moment j’aime la région de Bohême du Sud, c’est enrichissant, j’y ai trouvé mes racines. Je suis naturalisé français, mais je suis tchèque. »

Avez-vous d’autres projets de voyage ? Vous voyagez beaucoup en Irlande, en Inde …

'Le rêve irlandais'
« L’Irlande c’est magnifique. Je veux aller en Amazonie, j’espère que je vais survivre, j’irai avec une amie qui y est déjà allée et dont le cousin est gendarme en Guyane. Après on ira en pirogue avec des orpailleurs en Amazonie. J’ai un peu peur car quand mon amie est revenue elle était pleine de piqûres d’insectes. Peut-être que j’aime ça. »


Rediffusion du 03/03/2012