Miloslav Studnička : « Un bon botaniste trouve des merveilles même parmi les ordures »
Aujourd’hui, nous irons à la rencontre du directeur d’un des plus beaux jardins des plantes en République tchèque, celui de Liberec. Le botaniste Miloslav Studnička est connu pour avoir découvert plusieurs espèces de plantes carnivores. Il nous parlera de sa vie professionnelle, marquée par le communisme et ses vestiges, et aussi, par exemple, d’une sensibilité pour les plantes qui n’est pas propre à tous les jardiniers…
« Je suis originaire de Libochovice, ville de naissance du célèbre biologiste Jan Evangelista Purkyně et d’autres scientifiques encore. Je passais tous les jours à côté de la petite école que Purkyně avait fréquentée. La ville est entourée des collines du Massif central de Bohême et de forêts marécageuses. Mes copains et moi, nous y cherchions des tritons et des fossiles. Le château local dispose d’un vaste parc où se trouvaient, à l’époque de mon enfance, des serres avec des plantes précieuses, car le dernier propriétaire du château, le comte Herberstein, voyageait beaucoup, même en Afrique, et collectionnait des plantes. Je me souviens qu’il y avait aussi un grand jardin alpin…Tout cela, ce côté esthétique aussi, m’a influencé. »
Le chemin de Miloslav Studnička vers la recherche scientifique a été compliqué par le contexte politique : son père a été le fils d’un « koulak », un paysan jugé trop riche par les autorités communistes.« Mes parents étaient enseignants. Ils ont perdu leur poste pour des raisons politiques et ont ensuite travaillé comme ouvriers. Ils me disaient tout le temps que moi, je ne pourrais jamais faire d’études supérieures à cause de leurs problèmes avec le régime communiste. Mais, en 1967, à l’époque du dégel politique, il a été annoncé que les examens d’entrée dans les écoles supérieures seraient anonymes. C’est ainsi que j’ai été admis à la Faculté des sciences naturelles. C’était ma seule chance, car après l’occupation soviétique, les examens anonymes ont évidemment été supprimés. Un pont que je venais de traverser s’est alors écroulé. »
Depuis 1973, Miloslav Studnička vit à Liberec. Il a travaillé pour le musée local et, parallèlement, pour le Jardin des plantes, en se consacrant surtout aux recherches sur le terrain. Peu à peu, il s’est spécialisé dans le domaine des plantes carnivores.« Je constate, en toute modestie, que je suis arrivé aux plantes carnivores en empruntant la même voie que Darwin. Tout le monde connait ses recherches sur l’évolution, mais peu de gens savent qu’il a écrit un gros livre sur les plantes carnivores. Il s’est intéressé à ces plantes parce qu’elles possèdent certains traits relatifs à la morphologie, à l’anatomie et à l’écologie, beaucoup plus marquants que les autres espèces. Autrement dit, elles sont de bons modèles. A l’époque, quand je ramassais des graines dans la nature pour le Jardin des plantes de Liberec, la direction du Jardin m’avait demandé si je ne voulais pas commander des graines. J’avais peu de place dans mon bureau, alors j’ai opté pour les graines des plantes carnivores dont la poussée ne nécessite pas de serre. Les graines ont germé, et je ne me suis pas retrouvé avec une, mais avec mille plantes carnivores dans mon petit bureau. Je les ai donc rendues au Jardin qui m’a proposé de m’en occuper. »
Miloslav Studnička, qui s’est également consacré à l’étude des orchidées et des fougères, a découvert plusieurs espèces de carnivores auparavant inconnues : la première s’appelle Pinguicula rotundiflora (en tchèque Tučnice okrouhlokvětá), tandis que sa dernière découverte, faite en 2009 au Brésil, porte, en tchèque, le joli nom de Bublinatka růžkatá. Où se trouve, en fait, la Terre promise de ce botaniste ?« Je suis particulièrement attiré par l’Amérique latine. Evidemment, on trouve des choses fantastiques aussi en Asie tropicale, par exemple l’arum titan (appelée aussi le 'pénis de titan', espèce qui possède la plus grande fleur au monde, ndlr) découverte à Sumatra et que nous avons ici, dans notre Jardin. Mais, vous savez, un bon botaniste trouve des plantes intéressantes même parmi les ordures. Moi, je suis quand même fasciné par la végétation des forêts tropicales en Amérique. »
Nous l’avons dit, Miloslav Studnička a pris la direction du Jardin des plantes de Liberec presque au lendemain de la révolution de 1989. Il revient à ses débuts dans cette fonction qui n’était pas facile…« Le Jardin ressemblait à ce qu’on appelle en tchèque ‘skanzen komunismu’, un musée du communisme. J’étais en conflit permanent avec les soi-disant syndicalistes. Ils étaient habitués à voler des plantes, à revendre des parties des collections. Quand j’ai été nommé directeur, j’ai promis de ne licencier personne. Finalement, ces gens incompétents sont partis tout seuls. Car ce paradis où ils pouvaient s’enrichir au détriment du Jardin et faire ce qu’ils voulaient était fini. J’ai veillé à ce que rien des collections ne se perde, j’ai exigé un travail de qualité. Avec mon équipe, nous avons ensuite mis en place de nouvelles expositions, de nouvelles serres, ce qui a été une chance exceptionnelle pour nous tous. C’était un travail intense et très beau. »
Le Jardin des plantes de Liberec totalise 8 500 espèces végétales, dont une ou deux meurent chaque année. Comment cultiver des plantes avec succès ? Les personnes qui ont les doigts verts, qui savent sauver des plantes en leur parlant ou en chantant, existent-elles vraiment ou ne s’agit-il que d’un mythe ?« On ne peut pas dire que quelqu’un qui parle aux plantes aura du succès comme jardinier ou, au contraire, qu’elles auront peur de quelqu’un qui les aura mal traitées. Non, cela ne fonctionne pas. Ce qui fonctionne, c’est l’intuition, qui n’est rien d’autre que le résultat de l’accumulation d’expérience. Moi-même, je n’ai pas découvert de nouvelles espèces au Brésil par hasard, j’avais une intuition. Il existe des personnes qui ont une sensibilité pour les plantes et qui évoluent suite aux bonnes et aux mauvaises expériences qu’elles ont faites. Ça s’appelle avoir du talent pour la botanique. Je le vois même ici, au Jardin des plantes. Il y a des jardiniers qui ont les doigts verts, comme on dit, et d’autres qui n’en ont pas. Parfois, il se passe des choses surprenantes. Une de mes jardinières n’avait pas beaucoup de succès, elle me paraissait même un peu maladroite. Ensuite, elle a eu un enfant, et quand elle a repris le travail, c’était une autre personne. Elle touchait les plantes d’une autre manière, elle allait chercher des informations à la bibliothèque… C’est d’ailleurs le principe sur lequel j’insiste : il faut savoir, être instruit et ne pas expérimenter aveuglement. »