Mirek Kaufman : « Les peintres sont des dinosaures »
Rencontre aujourd’hui avec le peintre Mirek Kaufman qui oscille de Prague à Paris et de Paris à Prague. Pour l’instant il a posé ses valises à Prague, mais la capitale française reste un aimant puissant.
Je me trouve dans le quartier de Libeň, un quartier un peu en périphérie du centre ville de Prague. Il est connu notamment pour avoir hébergé l’écrivain Bohumil Hrabal. Il a gardé un certain cachet c’est le moins qu’on puisse dire. Et c’est dans ce quartier de Libeň, ancien quartier ouvrier, que Mirek Kaufman, peintre, a son atelier. C’est là que je me trouve. Il y a de très grandes fenêtres et c’est un espace rempli de tableaux. Il n’y a quasiment plus de place pour les entasser, n’est-ce pas Mirek Kaufman ?
« Oui, et c’est le problème de chaque artiste. Un jour où l’autre un artiste se retrouve confronté à ce problème : que faire de tout ça ? »
Elles sont quand même bien rangées ces toiles, vous avez réussi à trouver un ordre quand même. A vue de nez, vous diriez qu’il y a combien de toiles ?
« Je n’ai pas d’idée précise, je dirais qu’il y en a un certain nombre, une centaine probablement, tous formats confondus, depuis les 10 ans que je suis ici. »
L’essentiel de vos toiles sont à Prague, mais elles sont aussi disséminées ailleurs, en France notamment…
« Il y en a pas mal qui sont en France, ça date des époques où j’ai exposé là-bas. Il y en a aussi dans d’autres lieux en Tchéquie, dans des galeries qui gardent mes toiles. »
Vous évoquez la France, vous avez un français excellent. Vous y avez vécu. Combien de temps et comment êtes-vous allé là-bas ?
« Ma première rencontre avec la France, c’était grâce à une bourse que j’ai reçue à la fin de mes études aux Beaux-Arts. Et ensuite, j’y suis retournée juste après encore, une année après la fin de mes études. Pendant deux ans. »
Quand exactement ?
« Au début des années 1990. J’ai trouvé un appartement par hasard. C’était génial, tout allait bien. J’en ai fait mon atelier. Avoir un atelier à Paris, c’est un rêve quand même. »
Vous parlez d’un atelier à Paris… Sur RP on évoque souvent tous ces artistes tchèques qui dans les années 1920-1930 sont partis à Paris, de ces liens artistiques franco-tchèques. Est-ce que vous vous êtes senti investi de cette tradition là quand vous vous êtes retrouvé à Paris ?
« A vrai dire, je ne sens pas cette présence de Tchèques à Paris aujourd’hui. Je n’ai jamais vraiment eu de contact avec des Tchèque là-bas. Je ne peux pas dire que j’ai suivi cette tradition. Mais dans les années 1920-30, ça a eu un gros impact. »
Parlez-moi de ces deux années à Paris. Comment ça se passe pour un jeune artiste tchèque qui vient de finir ses études ?
« Ce n’était pas très facile. Mais il faut s’y mettre un jour ou l’autre. Il faut s’investir à fond, chercher des contacts. Et finalement on y arrive. J’ai réussi à exposer à Paris plusieurs fois. Quand je vais à Paris maintenant, j’ai toujours des amis que je peux aller voir. Je me sens très à l’aise à Paris, c’est naturel, plus qu’à Prague. La situation au centre de l’Europe n’est pas facile paradoxalement pour les artistes, le terrain est à mon avis très restreint. La France, et le marché occidental, sont plus ouverts. »
Pour votre travail, comment est-ce que vous fonctionnez ? Est-ce que vous vous astreignez à une discipline quotidienne ?
« Ca dépend des jours. Pour moi la journée idéale, c’est de me lever tôt et d’aller assez vite à l’atelier. Mais ça ne marche pas tous les jours, à cause de diverses autres occupations. »
Pourriez-vous me présenter vos peintures ? Les cycles sur lesquels vous avez travaillé récemment ?
« Un de ces cycles d’appelle ‘Vers l’inconnu’ ou ‘Vers l’infini’. Il y a 20 ou 30 peintures. C’est une image de l’univers, tel qu’on se le représente. L’univers est tellement indescriptible qu’on a inévitablement chacun sa propre vision. »
On voit chez vous plutôt des grandes toiles, vous préférez les grands formats ?
« Je me sens plus à l’aise et plus libre sur grand format. Mais pas uniquement : ce qui m’intéresse, c’est aussi d’autres formes, des miniatures. C’est donc finalement tous formats confondus. »
Vous parliez d’autres formes d’expression, vous faites aussi de la photo…
« Oui, même si je n’expose pas souvent. Si j’expose c’est surtout la peinture, c’est le plus important pour moi. Mais j’aime la photo : le côté visuel me fascine. »
Quelle serait pour vous la définition du peintre ?
« C’est un aventurier. Aujourd’hui c’est surtout un dinosaure ! En quelque sorte. Des gens qui mettent tout en jeu. Le jeu est vraiment quelque chose qui n’a pas de sens pour la majeure partie des gens. Et c’est très bien. Parce qu’il faut chercher le sens. C’est là que réside l’aventure.
Ne me dites pas que les peintres sont une espèce en voie de disparition, ce serait trop triste…
« Je ne pense pas que ce soit le cas. Surtout aujourd’hui. Il y a une certaine renaissance de la peinture. Il y en a beaucoup même si l’art conceptuel est très important. La peinture est beaucoup plus présente dans les galeries qu’il y a cinq ou dix ans. Avant, en effet c’était un peu une espèce en voie de disparition. C’est le côté manuel qui intéresse les gens. C’est quelque chose qui n’existe pas uniquement sur un écran. On pensait il y a quelques temps que les ordinateurs c’est l’avenir, que la peinture serait éliminée par ce côté visuel de l’ordinateur. Ce n’est pas tellement vrai car on est tellement entouré d’images, à la télé, par la publicité, la peinture est plus intime, c’est statique, c’est une confrontation. Notre sensibilité se confronte à la peinture. »
Merci Mirek Kaufman.