Monique Mangold ou le dialogue des cœurs entre la France et la République tchèque

Monique Mangold vit à Mulhouse en Alsace, et est l’auteur de nombreux ouvrages consacrés à des villes et villages d’Alsace. Elle a notamment collaboré avec le photographe tchèque, installé en Alsace, František Zvardon, sur un ouvrage consacré à la route des vins. Il y a quatre ans, Monique Mangold s’est lancée dans un projet auquel elle a consacré tout son temps et son énergie. Lors d’un voyage à Prague juste au moment de l’entrée de la RT dans l’Union Européenne en 2004, elle succombe à la magie de la ville, et se décide de se lancer dans une aventure dont la plus grosse étape s’achève ces derniers temps.

Quatre ans après sa visite, Monique Mangold a compilé une somme de documents et d’informations qu’elle a rassemblés dans un travail intitulé : « Prague-Praha. Regards croisés entre France et République tchèque. » Le résultat de ses recherches, ce n’est pas un livre d’histoire, plutôt un voyage très personnel à laquelle elle veut inviter son potentiel lecteur. Pour l’heure, le livre n’est pas encore sorti, mais elle a trouvé la maison d’édition et un photographe tchèque, Jiří Všetečka, qui a d’ailleurs justement une exposition de ses photos au Château de Prague.

Rencontre donc, avec Monique Mangold et retour sur ces quatre ans de travail.

« Cela a été une quête… J’aime bien ce mot. Une quête en France bien sûr. En Alsace puisque j’ai essayé de trouver tous les liens qui existaient en particulier entre l’Alsace et la RT. Mais j’ai aussi eu des contacts avec les archives de Prague, avec des historiens, qu’ils soient à Paris, à Strasbourg ou à Prague. En fait, je suis partie de Prague, et c’est Prague qui m’a inspirée. »

Vous vous intéressez donc aux liens franco-tchèques, vous n’êtes pas la seule, mais vous le faites de manière très personnelle. Ceux qui s’intéressent à ces liens, connaissent évidemment certains « classiques » : Charles IV et sa francophilie. Beneš aussi. Les artistes passant par Paris dans les années 1920-30. Mais vous êtes aussi allée à la pêche aux petites perles, aux choses moins connues. On apprend comme ça que Charles IV est passé par l’Alsace…

« Pendant des siècles, nous avons eu en Alsace, avec les Tchèques, le même empereur du Saint Empire romain germanique. Charles IV est en effet venu à plusieurs reprises en Alsace, c’est d’ailleurs lui qui a créé la Décapole (en 1354 : ligue des dix villes marchandes les plus importantes, sous la protection impériale, à savoir les cités libres de Mulhouse, Colmar, Munster, Turckheim, Kaysersberg, Sélestat, Obernai, Rosheim, Haguenau, et Wissembourg, ndlr). Et il était grand collectionneur de reliques saintes à qui il attribuait des pouvoirs exceptionnels. C’est ainsi qu’il est venu au Mont Sainte-Odile. Il a souhaité qu’on lui offre l’avant-bras droit de sainte Odile. Il a ensuite été à Niederaslach où on lui a offert le bras droit de saint Florent, et enfin le bras droit de Lazare de l’abbatiale d’Andlau ! »

On a parfois l’impression que tout a été dit sur Prague et sur la RT, il existe une bibliographie énorme. Mais vous avez déniché quelques inédits, ou des choses moins connues. Vous avez rencontré des gens qui ne sont pas forcément sous le feu des projecteurs. Je pense à Ivan Theimer, sculpteur tchèque, originaire d’Olomouc, qui vit en France depuis des années. Et vous l’avez découvert par hasard en découvrant une de ses sculptures en France…

« Je feuilletais un magazine édité par la Société des autoroutes du Sud ! Pour cet ouvrage – mais quand j’écris c’est pareil – j’immerge totalement, alors pendant quatre ans, j’ai lu énormément d’ouvrages, écouté beaucoup de musique tchèque et il suffisait que je voies le mot ‘tchèque’, ça faisait tilt en moi. Donc je vois les portes de la vallée du Lay, et c’était indiqué, 'sculpture d’Ivan Theimer, tchèque'. Je téléphone à Paris, à la Société, qui confirme. Mais on ne me donne pas ses coordonnées. Ensuite j’ai cherché d’autres réalisations d’Ivan Theimer. Il a aussi fait des sculptures à Poissy. A la mairie on m’a dit, on m’a aussi confirmé cela, on m’a envoyé un fascicule sur son œuvre à Poissy : une fontaine. Il a aussi fait une sculpture à Bordeaux. Et là, j’ai eu de la chance, j’ai tellement insisté qu’à la mairie on m’a donné son numéro de téléphone personnel. J’ai réussi à la joindre, je lui ai dit ce que je faisais. Je savais qu’il partageait sa vie entre Paris et l’Italie, je lui ai dit que j’étais prête à aller à Paris ou au bout du monde, mais je voulais le rencontrer ! Ca a été une rencontre exceptionnelle… »

Il a aussi réalisé une sculpture en plein Champ de Mars à Paris…

« Il a réalisé le monument de la commémoration de la déclaration des droits de l’Homme. C’était en 1989. C’est un très bel ensemble sculpté, sur le Champ de Mars. »

C’est tout un symbole : un Tchèque émigré, qui a été en quelque sorte ‘adopté’ par la France, qui fait un monument consacré aux droits de l’homme…

« Oui. D’ailleurs je lui ai demandé de m’expliquer, comment lui un Tchèque, avait pu réaliser ce monument. Normalement cela aurait dû être un Français… Il m’a dit qu’il y avait eu un concours et qu’il l’avait gagné. C’est vrai que ce monument est extraordinaire, il faut aller le voir de près. Tous les textes de la déclaration des droits de l’homme sont inscrits sur les stèles. »

Tant qu’on parle de Paris, vous avez aussi déniché une plaque au Palais de Justice, qui rappelle encore ces liens franco-tchèques. Elle a été dévoilée il y a quelques années…

« Oui, ça aussi c’était un moment privilégié. J’avais rencontré maître Yves Laurin, qui est avocat international et cofondateur de l’Association Masaryk. Je lui avais parlé de mon projet, et très gentiment, il m’a demandé si je connaissais cette plaque, au Palais de Justice à Paris, qui est l’ancien Palais royal où a vécu Charles IV. Et effectivement, il y a depuis l’an 2000, grâce à l’Association Masaryk, une plaque qui y a été apposée et qui dit ‘En souvenir de Charles IV de Bohême qui séjourna au Palais de la Cité quand il était enfant de 1323 à 1330’. Il est revenu en 1378, à la fin de sa vie, car il voulait revoir Paris avant de mourir. Cette plaque a été dévoilée entre autres par le ministre de la Justice de la RT à l’époque. »

Si cet ouvrage est en effet publié, il tombe en plein dans le mille au moment de la passation entre les deux présidences successives de l’UE, la France puis la RT. Dans votre ouvrage, on sent cette Europe. On sent que ces liens franco-tchèques ont tissé une sorte d’Europe imaginaire transfrontalière à travers la littérature, les arts, la culture. Votre ouvrage serait une bonne introduction à ces deux présidences, qui sont certes des présidences politiques, mais qui aussi doivent être des présidences culturelles.

« Absolument. On ne peut pas parler que de présidences politiques ou économiques. Ce sont des présidences globales sur tous les plans. Les hommes avant tout. Pour moi cet ouvrage pourrait être le symbole de ce passage de relais entre les deux présidences, puisqu’il s’appelle Regards croisés. Ces échanges, ces passages datent depuis des siècles. Il se suffit de se souvenir de Václav Havel qui avait dit que ces échanges ne dataient pas d’aujourd’hui. Il avait dit : ‘cette remarquable affinité spirituelle de nos deux nations ne date pas de la République tchécoslovaque’. Ce à quoi le président français François Mitterrand avait répondu : ‘ce dialogue des cultures et des cœurs n’a pas cessé’. »