Pourquoi les Bordelais caressent une tortue tchèque ?

Stella Marisová Sirben et son époux William, photo: Magdalena Hrozínková

Il y a vingt ans, la soprano et professeur de chant tchèque Stella Marisová Sirben et son époux William ont fondé, à Bordeaux, l’Association franco-tchèque d’Aquitaine (AFTA) qui participe au rayonnement de la culture tchèque en France et vice-versa. En leur compagnie, Radio Prague a visité le centre de Bordeaux, une ville où les Tchèques ont laissé quelques empreintes.

Nous nous trouvons place de la Victoire, en plein centre de Bordeaux. Quelle est la trace tchèque que l’on peut trouver ici ?

Stella Marisová Sirben et son époux William,  photo: Magdalena Hrozínková
William Sirben : « Une colonne réalisée par le sculpteur tchèque Ivan Theimer a été érigée sur cette place en 2005. C’est un endroit symbolique. Elle se trouve sur l’axe qui avait été créé par les Romains pour accéder à la ville. Sur cette colonne, on retrouve des éléments qui représentent la région de Bordeaux et ses richesses, essentiellement la vigne et le vin. Deux tortues de bronze, elles aussi créés par Ivan Theimer, sont scellées au sol, à proximité immédiate du monument. Il a réalisé d’autres œuvres en France, par exemple des sculptures installées le long de l’autoroute de La Roche-sur-Yon, là aussi il s’agit de tortues, de même que dans sa ville natale d’Olomouc. Les tortues de la place de la Victoire sont dirigées vers la rue St-Catherine, comme si elle allait passer sous la Porte de la Victoire. »

La tortue d’Ivan Theimer est presque devenue un symbole de Bordeaux, un porte-bonheur. Tout le monde se prend en photo devant elle…

W.S. : « Oui, de nombreux touristes se viennent photographier avec la tortue, la toucher et la caresser. D’ailleurs, on voit bien des zones de contact avec les mains. Le bronze est de couleur dorée à ces endroits-là. »

Les tortues réalisées par Ivan Theimer à Bordeaux,  photo: Magdalena Hrozínková

William, nous sommes maintenant chez vous, à Bègles-Bordeaux. Vous m’aviez raconté que ce quartier, où se trouve d’ailleurs un lycée qui porte le nom de Václav Havel, était historiquement lié avec les pays tchèques. Pourriez-vous l’expliquer ?

W.S. : « Nous ne sommes pas loin de l’ancienne verrerie qui employait, avant la seconde Guerre mondiale et même après, des ouvriers d’origine tchécoslovaque. Ila avaient fui le pays et s’étaient installés, avec leurs familles, à Bordeaux et aussi à Vianne, dans le Gers. Un de nos amis, qui était le vice-président de notre association, nous a raconté qu’une des membres de sa famille, d’origine tchèque, a travaillé pour cette verrerie. »

Les pilotes tchèques en Aquitaine

Bordeaux,  photo: Magdalena Hrozínková
Vous m’avez également parlé des pilotes tchécoslovaques qui sont passés par Bordeaux pendant la Deuxième Guerre mondiale…

W.S. : « D’après les quelques informations que j’ai pu obtenir de la part du Conservatoire de l’Air et de l’Espace de Mérignac, certains soldats tchèques et slovaques qui ont quitté leur pays en urgence ont rejoint Bordeaux pour ensuite rallier la Grande-Bretagne par voie maritime, au départ de Bayonne notamment, ou par avion. Etant donné que le conservatoire est en train de reconstituer l’histoire aéronautique de la région d’Aquitaine, il est à la recherche de documents concernant 36 pilotes tchécoslovaques qui ont été répertoriés. Le conservatoire souhaiterait avoir des informations sur leur parcours pendant la guerre et après la Libération, pour savoir ce qu’ils sont réellement devenus, étant donné que l’on connaît le triste destin de nombreux héros tchèques de la Seconde Guerre mondiale persécutés par le régime communiste après 1948. »

Pour vous, Stella, y-a-t-il une trace particulière liée à la République tchèque dans la région de Bordeaux ?

Stella Sirben : « Avec l’Association franco-tchèque d’Aquitaine, nous avons organisé plusieurs concert à Saint-Jean-d’Illac, une commune située non loin de Bordeaux. Nous avons appris de la part de nos amis qu’une copie de la statuette de l’Enfant-Jésus de Prague se trouvait dans l’église de la ville. Cela nous a agréablement surpris et nous sommes allés la voir, elle est très belle. »

Change-t-elle de robes comme la statuette de l’Enfant Jésus à Prague ?

« Non, je ne crois pas. »

A la recherche d’Henriette qui a survécu aux camps de concentration

Stella et William, vous avez fondé, il y a vingt ans, l’Association franco-tchèque d’Aquitaine. Quelle était à l’origine sa mission ?

Le Site officiel de l’AFTA
S.S. : « Nous avons voulu faire connaître la République tchèque ici, car il y a vingt ans, Prague n’était pas encore vraiment à la mode comme c’est le cas aujourd’hui. A l’époque, de nombreux Français ne savaient même pas où se trouvait la Tchéquie. Nous avons organisé des dizaines de manifestations pour rapprocher nos deux pays : des concerts, conférences, expositions, voyages… Nos manifestations sont focalisées sur la culture, même si nous avons commencé avec le sport : en 1999, nous avons participé à l’organisation du match entre le club de football du Sparta Prague et les Girondins de Bordeaux.»

« Nous organisons essentiellement des échanges de musiciens professionnels et amateurs, d’orchestres, de chorales et d’étudiants. En tout, quelque 2000 personnes ont participé à nos échanges depuis 1998. Actuellement, l’AFTA compte environ 50 membres tchèques et français. »

W. S. : « L’AFTA organise également des cours de tchèque destinés aux Français, actuellement, nous avons neuf élèves. Les cours sont dispensés par deux bénévoles, deux jeunes femmes d’origine tchèque que nous tenons à remercier pour cette activité. »

Outre ce travail culturel et éducatif, vous répondez à des demandes de la part des Tchèques et des Français qui s’adressent à vous pour des traductions, des conseils…

S.S. : « Depuis que nous avons le consul honoraire tchèque à Bordeaux, les Tchèques en difficultés s’adressent essentiellement à lui. Mais avant sa nomination, il y a quelques années de cela, nous avons été sollicités pour apporter une assistance à des SDF tchèques, à des gens qui avaient des problèmes au niveau de l’assurance, ainsi qu’aux représentants de différentes entreprises tchèques. »

La petite Henriette,  photo: Antonín Bláha / Archives du Musée de Sokolov / Facebook du Musée de Sokolov
W.S.: « Régulièrement, l’association est contactée spontanément par des personnes qui trouvent nos coordonnées sur Internet, pour des raisons très diverses : certains veulent retrouver leurs ancêtres, d’autre veulent que nous leur traduisions des documents administratifs ou personnels, issus des archives familiales. »

« Nous avons par exemple reçu un message de la part d’un musée tchèque, situé dans la ville de Sokolov. Il est à la recherche d’Henriette, une rescapée des camps de concentration. Cette annonce a été publiée par plusieurs journaux français. A l’époque, c’était une petite fille âgée peut-être de 5 ou 6 ans. Elle est probablement passée par un camp de concentration situé sur le territoire tchèque, près de Sokolov. Le musée local a retrouvé sa photo dans ses archives et voudrait en savoir plus sur elle, retracer son parcours. Nous essayons de relayer l’information par le site Internet et les réseaux sociaux, nous en parlons aux membres et aux sympathisants de l’association. On ne sait jamais, on lance une bouteille à la mer… »

http://www.franco-tcheque-aquitaine.com

Bordeaux,  photo: Magdalena Hrozínková