Musique et bicyclettes sur les quais de la Vltava

Photo: Bajkazyl

Depuis quelques années, les quais de la Vltava, lieu privilégié des promenades dominicales propose de plus en en plus d'animations ; des salons professionnels y sont organisés plusieurs fois pendant l'année, mais, surtout, y prennent place les désormais incontournables marchés fermiers. On y trouve aussi de plus en plus de cafés qui permettent à leurs hôtes de se désaltérer dans un cadre qui, tout en étant au cœur de la ville, offre calme et fraîcheur. Parmi ces cafés s'est installé il y a maintenant deux ans le bar Bajkazyl, avec une formule particulière qui combine promotion du cyclisme et événements culturels. Son fondateur est Martin Kontra.

Photo: Bajkazyl
C'est donc sur les quais de la rivière qui traverse la capitale tchèque, célébrée par le compositeur Bedřich Smetana dans son œuvre symphonique Má vlast (Ma patrie), que Martin Kontra a calé sa bicyclette. Amoureux de la petite reine, il a voulu fonder un lieu de rencontres et de rassemblement pour les cyclistes praguois : un lieu qu'il a baptisé Bajkazyl. On pourrait croire à une référence nautique avec le lac Baïkal, mais il s'agit surtout d'un jeu de mots, associant le terme anglais « bike » – « vélo », et le mot « asile », ce qui reflète bien les ambitions de Martin Kontra :

« J'ai eu l’idée de ce projet un peu avant 2010, mais cela fait longtemps que je le prépare, plusieurs années même, parce que cela fait plus de vingt ans que je roule en vélo dans cette ville, et cela fait environ dix ans que je suis un avocat assez actif pour qu’on puisse y faire du vélo et qu'il y ait plus de pistes cyclables, plus d'espace pour des transports non motorisés. »

« J'ai aussi vécu à Berlin pendant quelques mois et j'ai vu ces espaces qui sont comme des ateliers communautaires pour cyclistes. Ce sont pour la plupart d'anciens squats qui sont liés avec la gauche radicale et cette scène des squatteurs berlinois. C'était en 2007, et je me suis dit que, moi, en tant que journaliste d'une part et cycliste de l'autre, je pouvais faire quelque chose pour que les vélos aient plus d'espace dans cette ville, en trouvant une variante à ce modèle de gauche radicale, sur un autre mode, avec plus d'intensité. Et j'ai finalement pensé à cette combinaison entre un bar et un atelier de cyclistes. »

Photo: Bajkazyl
Il s'agissait donc de trouver une autre formule que celle du magasin de bicyclettes où l'on peut venir faire réparer son vélo en cas de problèmes, comme il en existe des centaines dans le pays. La démarche de Bajkazyl est ainsi marquée par une véritable passion pour toutes sortes de bécanes. Marint Kontra :

« Je voulais que l'intérêt principal de la partie vélos ne soit pas seulement l'aspect banal du service. Nous savons réparer les vélos mais, avec un groupe de copains, nous voulions aller vers le recyclage de vieux vélos que nous récupérons ou que les gens nous amènent. Ainsi, selon les moyens financiers du client, à partir de vieux vélos, nous sommes capables de leur monter soit des vélos complètement excentriques ou plus simplement des vélos tout neufs, tout propres. Nous aimons travailler la vieille ferraille. Je ne savais pas si les gens allaient être intéressés mais, cette année, nous en avons réparé une centaine et refait environ vingt-cinq. Mais j'ai été surpris de voir qu'il y avait vraiment un intérêt pour transformer sa vieille épave en vélo intéressant. »

En contrebas de la place Palacky et du pont qui porte également le nom du célèbre historien tchèque, ce n’est pourtant pas cet atelier de vélos qui saute aux yeux, mais un petit débit de boissons et ses quelques tables et chaises de bric et de broc autour d’un vieux piano. Si, pendant la journée, ce sont les passants qui s’y arrêtent un instant pour se rafraîchir, les soirs de beaux temps à Prague voient les quais de ce lieu-dit de Naplavka, désignant en tchèque un quai très proche du niveau de la rivière et par conséquent inondable, se remplir dans une ambiance généralement très musicale. Martin Kontra :

Photo: Bajkazyl
« Nous voulions que les vélos soient la clé de voute du projet. J’avais l’habitude de venir faire du vélo le long de ces quais. Quand notre loyer a augmenté, nous avons pensé à vendre des choses à consommer. Nous nous sommes ainsi unis avec Ondrej du café V lese, un café assez connu dans Prague. Il m’a proposé de m’occuper de la partie bar et de la programmation culturelle. Cette saison, à partir des vélos, nous ajoutons des activités culturelles. En plus, ce lieu a l’avantage de ne déranger personne et on peut rester à l’extérieur. A l’intérieur, il n’y a qu’un dépôt, et tout ce que nous faisons, de l’atelier aux événements culturels, nous faisons en sorte que cela se passe dehors, ce qui à mon avis manque déséspéremment à Prague. »

La Bajkazyl contribue donc, avec d’autres commerces et activités, à revitaliser une partie de la capitale tchèque qui avait été peu investie jusqu’à récemment. Martin Kontra, par ailleurs journaliste pour l’hebdomadire Respekt et à ce titre peut-être plus attentif à la politique de la ville et aux orientations politiques qui pourraient être prises concernant l’avenir de cet espace, reste vigilant. Même si cet espace s’est ouvert, il sait que pendant plusieurs années, les quais étaient loués par des sociétés liées à Roman Janoušek, un homme d’affaires influent qui était au cœur du système de clientélisme développé pendant les mandats de l’ancien maire de Prague Pavel Bém.

Photo: Bajkazyl
« Les gens ont découvert ces quais, notamment grâce aux marchés fermiers. J’espère que c’est aussi grâce à nous puisque nous sommes installés ici depuis trois ans. Beaucoup ne connaissaient pas cet endroit, qui est résolument magnifique. Mais je sens que dans les conditions de la ville de Prague, où il y a beaucoup de corruption et de choses désagréables, nous ne pouvons pas exclure que vont se précipiter des gens qui ont des liens avec la ville. Nous allons voir ce que ça donnera. Moi je me bats pour qu’il y ait de tout, pour qu’il y ait des commerces plus classiques et des commerces comme les nôtres où viennent des gens plus jeunes et différents. J’espère que cet atelier va rester ici et qu’il n’y aura pas seulement des bars et des stands de saucisses. Je pense qu’il serait fantastique s’il pouvait encore se développer différents types d’activités et différents types de commerces. Ce quai est très grand, donc il a le potentiel d’offrir de la culture. Mais en même temps, je sens que la pression à Prague est incontestable. »

La gestion des quais est revenue dans les mains de la ville mais Martin Kontra espère que les représentants de la municipalité sauront laisser cet espace se développer en toute liberté.

« Il y a eu un changement. Maintenant, la ville veut manager cet espace. Ce pourrait être mieux parce qu’ils peuvent décider qui peut et qui ne peut pas être ici. Mais il y a une pression avec les charges qui sont de plus en plus lourdes. Je pense que les villes qui font payer des charges de cette façon plombent la créativité locale. Je connais d’autres villes européennes comme Vienne ou Berlin où il y a des lieux agréables comme ici. Ces lieux existent parce que les villes n’essaient pas de gagner de l’argent à tout prix. Au contraire, elles font en sorte d’aider les gérants pour qu’ils puissent penser à autre chose que de débiter de la bière à tout prix pour faire du fric. »

Photo: Štěpánka Budková
La bière coule cependant à flots, pour le plaisir des amateurs, et souvent de la jeunesse praguoise, qu’elle soit tchèque ou étrangère. Náplavka s’est en effet tranformé en un lieu volontiers cosmopolite, comme le raconte Maribel, une Espagnole qui réside à Prague :

« J’habite à Prague et je viens souvent dans ce bar à Náplavka parce qu’il y a une bonne ambiance quand il fait beau temps. Il y a toujours de la bonne musique et des gens intéressants et je pense que c’est un bon endroit pour passer le temps avec des amis et pour rencontrer des Tchèques et des gens en général. »

Les Espagnols ont l’habitude de passer beaucoup de temps dans la rue, de vivre dans la rue. Venir ici, est-ce aussi retrouver cette ambiance ?

« Oui, on a l’habitude de sortir et de boire et de passer du temps dehors. Mais l’esthétique de Prague est différente de l’Espagne donc il est difficile de croire qu’on est en Espagne, mais oui, je me sens un peu plus comme chez moi. »

Te balades-tu sur les quais de la Vltava pour d’autres événements culturels ?

« Oui, les marchés fermiers le samedi, c’est très bien. Je viens souvent surtout parce qu’il y a du poisson et ce n’est pas très facile d’en trouver à Prague !! »

Le bateau Tajemství,  photo: Anne-Claire Veluire
Et puis mentionnons aussi le retour du bateau Tajemství des frères Forman qui est revenu jeter l’ancre sur les quais de Náplavka cette saison et qui propose, de mai à septembre, un programme complet de spectacles vivants tout en naviguant sur les flots de la Vltava.


Rediffusion du 22/05/2012